Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... D... et Mme E... D... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à leur verser la somme globale de 141 475 euros en réparation des préjudices subis par leur mère et de leur préjudice d'affection, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation et de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales les dépens ainsi que la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis au tribunal administratif de Montpellier, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, la demande présentée par les consorts D....
Par un jugement n° 2025242 du 17 octobre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande indemnitaire et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et mis à la charge définitive pour moitié des requérants pour moitié de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 3 040,52 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 décembre 2022 et 18 juillet 2023, M. F... D... et Mme E... D..., représentés par Me Callon, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°2025242 du 17 octobre 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à leur verser la somme globale de 141 475 euros en réparation des préjudices subis par leur mère et de leur préjudice d'affection, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales les frais de l'expertise judiciaire et une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur mère a été victime d'un aléa thérapeutique devant donner lieu à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ; les critères de gravité sont remplis puisqu'elle était atteinte d'un déficit fonctionnel permanent à hauteur de 40 % ainsi que les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ; l'accident médical est directement imputable à un acte de soins, la pose d'une prothèse de hanche, qui est à l'origine de la survenue d'un raccourcissement du membre inférieur droit et d'une complication de rotation externe ; leur mère a ainsi subi des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de son évolution prévisible, compte tenu de son état séquellaire relevé par l'expert judiciaire ; le docteur B... a retenu que la fréquence de survenue de la complication est inférieure à 5 % pour une migration de plus de 10 millimètres ; ce dommage relève d'un aléa thérapeutique, lequel a des conséquences néfastes pour le patient et non d'un échec thérapeutique alors que l'état de leur mère s'est aggravé à la suite de l'ostéosynthèse dont elle a fait l'objet ;
- au titre des préjudices patrimoniaux temporaires, les besoins en aide humaine de leur mère peuvent être fixés, après déduction de l'allocation personnalisée d'autonomie, à la somme de 72 667 euros ;
- au titre des préjudices extra-patrimoniaux, le déficit fonctionnel temporaire de leur mère peut être évalué à la somme de 1 448 euros ; les souffrances endurées seront évaluées à la somme de 4 000 euros ; son déficit fonctionnel permanent sera réparé par une indemnité de 45 360 euros ; son préjudice esthétique permanent peut être évalué à la somme de 4 000 euros et son préjudice d'agrément à celle de 1 000 euros ;
- le préjudice d'affection des ayants droit peut être indemnisé à hauteur de 6 500 euros chacun.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 août 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Birot, conclut, à titre principal, au rejet des demandes présentées par les consorts D..., à titre subsidiaire, à ce que l'indemnité allouée en réparation des préjudices propres de Mme A... D... n'excède pas 43 475 euros, à ce que la demande d'indemnisation de leur préjudice propre d'affection soit rejetée ainsi que celle tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le dommage ne remplissant pas la condition d'anormalité exigée par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, aucune indemnisation ne saurait être mise à la charge de la solidarité nationale ;
- la demande présentée au titre de l'aide humaine doit être rejetée en l'absence de lien de causalité entre le placement en institution de Mme D... et la complication survenue ;
- l'indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire ne saurait excéder la somme de 1 358 euros ;
- l'indemnisation au titre des souffrances endurées ne saurait excéder la somme de 3 619 euros ;
- l'indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent ne saurait excéder la somme de 35 568 euros ;
- l'indemnisation au titre du préjudice esthétique permanent ne saurait excéder la somme de 2 930 euros ;
- la demande présentée au titre du préjudice d'agrément, notamment dépourvue de justificatifs, ne saurait être accueillie ;
- le décès de leur mère n'étant pas lié à la complication présentée à la suite de l'intervention du 19 février 2013, les requérants ne peuvent prétendre à l'indemnisation de leurs préjudices propres en lien avec cette complication.
Par une ordonnance du 8 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 11 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Teulière, président assesseur,
- et les conclusions de M. Jazeron, rapporteur public.
Une note en délibéré, présentée par M. et Mme D..., représentés par Me Callon, a été enregistrée le 17 février 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... D..., née le 30 septembre 1920, a été victime d'une chute à son domicile le 31 janvier 2013, à l'origine d'une fracture du fémur droit. Elle a été opérée, dès le 2 février 2013, par un médecin du centre hospitalier d'Albi, qui a procédé à la mise en place d'un clou d'ostéosynthèse de type Gamma. Du fait de la désolidarisation d'une vis, ce médecin a réalisé, le 19 février 2013, une nouvelle opération consistant en la pose d'une prothèse totale de hanche. L'intéressée, qui a alors présenté d'importantes séquelles fonctionnelles du membre inférieur droit à la suite de la migration de la tige fémorale, n'a pas retrouvé d'autonomie à la marche. Placée de manière temporaire puis définitive en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, elle est décédée le 23 septembre 2016 d'une décompensation cardiaque, non imputable aux actes réalisés en février 2013. Ses ayants droit ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à leur verser la somme globale de 141 475 euros en réparation des préjudices subis par leur mère et de leur préjudice propre d'affection. Par un jugement n° 2025242 du 17 octobre 2022, dont ils relèvent appel, le tribunal administratif de Montpellier, auquel leur requête a été transmise, a rejeté leur demande indemnitaire et a mis les frais d'expertise à la charge définitive pour moitié des requérants, pour moitié de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire./ Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ". L'article D. 1142-1 du même code, qui définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions législatives, prévoit notamment que : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / (...)".
3. Il résulte de ces dispositions que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins non fautifs à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage. Une probabilité de survenance du dommage qui n'est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.
4. Il résulte de l'instruction que Mme D..., alors âgée de 92 ans, présentait un état antérieur, en particulier une coxarthrose et une insuffisance cardiaque chronique avec décompensation en 2012, facteur de comorbidité et que la fracture per et sous-trochantérienne de son fémur droit a rendu d'abord nécessaires la mise en place d'un clou d'ostéosynthèse, puis, en raison d'une mobilisation de la vis céphalique, la pose d'une prothèse totale de hanche non cimentée. Il résulte également de l'instruction que cette intervention était indiquée et même la seule solution thérapeutique possible et que tant le choix de la technique que la réalisation de l'acte ont été conformes aux règles de l'art. L'expert judiciaire a relevé que les séquelles fonctionnelles du membre inférieur droit de la patiente, consistant en un raccourcissement de ce membre et une complication de rotation externe liés à la migration de la tige fémorale, sont anormales en raison de leur caractère imprévisible et correspondent à un aléa thérapeutique. Toutefois, ni ce rapport, ni celui de l'expert désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, ni enfin celui sur pièces du docteur B..., médecin conseil des requérants, n'apportent d'indications sur l'état dans lequel se serait trouvée Mme D... en l'absence de pose de la prothèse de hanche. Néanmoins, dans une lettre du 31 mars 2023, le docteur B... a indiqué que les conséquences de l'aléa thérapeutique n'étaient pas plus graves que celles auxquelles Mme D... aurait été exposée en l'absence d'intervention en précisant que l'absence d'intervention aurait inévitablement conduit à une grabatisation et que l'aléa thérapeutique consistant en une migration de la tige fémorale avait abouti à cette même situation, soit une grabatisation de la patiente. Dès lors, les conséquences de l'intervention ne peuvent être regardées comme notablement plus graves que celles auxquelles était exposée Mme D... en l'absence de prise en charge chirurgicale.
5. Par ailleurs, les requérants soutiennent que le docteur B... a retenu, dans sa lettre du 31 mars 2023, après étude bibliographique sur la migration des tiges fémorales que la fréquence de survenue de la complication consistant en une migration de plus de 10 mm est inférieure à 5 % des cas. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur C... remis le 17 juillet 2015 à la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, que la migration de la prothèse était, en l'espèce, une complication prévisible en raison de l'âge de Mme D... et de sa déminéralisation osseuse et le défendeur produit la seule étude publiée à laquelle la lettre du docteur B... fait référence, intitulée " migration de tige après reprise de prothèse de hanche : étude de 183 cas à 5,9 ans de recul ", laquelle fait mention d'un enfoncement secondaire de tige fémorale supérieur à 10 mm, non pas dans 5 % mais dans 8 % des cas étudiés, avec en outre un risque accru en fonction de l'âge du patient. Par suite, il ne peut être considéré au cas particulier que la survenance du dommage présentait une probabilité faible.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux deux points précédents que la condition tenant à l'anormalité du dommage n'est pas remplie. Par suite, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ne peut être condamné à assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des préjudices résultant de ce dommage.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à réparer les préjudices subis par leur mère et leur préjudice propre d'affection.
Sur les dépens :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de modifier la répartition des frais d'expertise à laquelle ont procédé les premiers juges.
Sur les autres frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... et de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., à Mme E... D... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 13 février 2025 à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2025.
Le rapporteur,
T. Teulière
Le président,
D. Chabert La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22TL22486