Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 6 avril 2022 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2203284 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de Mme D... épouse A....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 août 2023, Mme D... épouse A..., représentée par Me Moulin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 6 avril 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son avocate sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des article 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont méconnu leur office en refusant de rouvrir l'instruction clôturée le 22 août 2022, alors qu'elle a produit des pièces et un mémoire les 7 et 13 septembre 2022, visés dans le jugement en litige, qui justifient notamment de son ancienneté de résidence, contrairement à ce qui a été mentionné en première instance ;
- il est entaché d'une inexactitude matérielle des faits et d'une dénaturation des faits de l'espèce dès lors qu'elle a justifié de son ancienneté de résidence en France ;
- la décision de refus d'admission au séjour est insuffisamment motivée en fait ;
- les premiers juges et le préfet ont commis une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de sa situation familiale, de la durée et continuité de son séjour et de son intégration en France ;
- les décisions en litige portent une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 2 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 17 janvier 2024.
Par une décision du 19 juillet 2023, Mme D... épouse A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Chabert, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... épouse A..., ressortissante gabonaise, née le 16 août 1970, est entrée sur le territoire français le 5 juillet 2015, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour valable du 5 juillet au 5 août 2015. Le 23 février 2022, elle a présenté une demande d'admission exceptionnelle au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par un arrêté du 6 avril 2022, le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande et a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination. Par la présente requête, Mme D... épouse A... fait appel du jugement du 11 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction. ".
3. Devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que, par une ordonnance du 29 juin 2022, la clôture d'instruction avait été fixée au 22 août 2022. Les pièces complémentaires et le mémoire en réplique produits par Mme D... épouse A..., enregistrés les 7 et 13 septembre 2022, soit après la clôture d'instruction, sont visés par le jugement. Ce mémoire et ces pièces ne contenant pas l'exposé de circonstances de fait ou de droit nouvelles que Mme D... épouse A... n'était pas en mesure d'invoquer avant la clôture de l'instruction, le tribunal a pu régulièrement décider de ne pas rouvrir l'instruction, et donc de ne pas les communiquer. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.
5. En second lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La requérante ne peut donc utilement se prévaloir des inexactitudes matérielles, des erreurs d'appréciation ou de la dénaturation des faits du dossier qui entacheraient le jugement attaqué du tribunal administratif pour en demander l'annulation pour irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. En premier lieu, l'arrêté du préfet de l'Hérault rappelle de manière détaillée les conditions d'entrée et de séjour de Mme D... épouse A... et les raisons pour lesquelles un titre de séjour ne peut lui être délivré en application des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cet arrêté fait notamment état du mariage le 3 novembre 2018 de l'appelante avec un ressortissant turc résidant régulièrement en France. L'autorité préfectorale indique également que l'intéressée est mère de six enfants non issus de cette union, qu'elle ne justifie ni d'une bonne insertion en France compte tenu de son maintien irrégulier sur le territoire en dépit d'un précédent refus de séjour assorti d'une mesure d'éloignement, ni être isolée au B... où elle a résidé au moins 44 ans et où réside deux de ses enfants mineurs ainsi que sa sœur. Si l'arrêté attaqué ne mentionne pas la situation familiale de son époux en France ainsi que la procédure d'adoption de ses enfants au B..., ces circonstances ne permettent pas de faire regarder l'arrêté du 6 avril 2022 comme entaché d'une insuffisance de motivation alors que le préfet de l'Hérault n'est pas tenu de mentionner l'ensemble des éléments de la situation personnelle de la requérante. Ainsi, cet arrêté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il est donc suffisamment motivé.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Pour l'application de ces stipulations et dispositions, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
8. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, si Mme D... épouse A... est entrée en juillet 2015 sur le territoire français alors qu'elle était célibataire, elle est mariée depuis le 3 novembre 2018 à M. A..., ressortissant turc titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 15 avril 2027. L'intéressée entrait ainsi dans les catégories d'étrangers susceptibles de bénéficier du droit au regroupement familial. Par ailleurs, compte tenu de ce que le préfet, lorsqu'il statue sur une demande de regroupement familial, n'est pas tenu par la condition de ressources suffisantes, la circonstance qu'eu égard aux ressources non régulières de son époux compte tenu de son état de santé la demande de regroupement familial qu'elle pourrait présenter serait rejetée, est sans incidence sur son appartenance à cette catégorie.
9. D'autre part, Mme D... A... entrant dans les catégories ouvrant droit au regroupement familial, cette circonstance pouvait lui être légalement opposée par le préfet de l'Hérault et le moyen tiré de l'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté comme inopérant.
10. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme D... épouse A... est entrée régulièrement en France le 5 juillet 2015 sous couvert d'un visa de court séjour valable jusqu'au 5 août 2015 et a épousé le 3 novembre 2018 un ressortissant turc titulaire d'une carte de résident depuis 1997 et valable jusqu'au 15 avril 2027. Si la requérante soutient résider en France de façon continue depuis 2015, elle ne démontre pas, en se bornant à produire pour l'année 2015 un avis de non-imposition établi le 19 janvier 2017 et d'une lettre de relance établie en novembre 2015 concernant une facture impayée, qu'elle aurait établi sa résidence habituelle en France depuis cette date. Par ailleurs, si l'intéressée fait état de sa vie commune avec M. A... depuis six années à la date de l'arrêté en litige, son mariage célébré trois ans avant la date de la décision attaquée demeure récent et si l'intéressée se prévaut de ses liens avec les trois enfants et petits-enfants de ce dernier en France, les documents versés, tels que les factures, avis de non-imposition et courriers administratifs, ou encore le titre de séjour de la sœur de ce dernier ainsi que les pièces d'identité des enfants de cette dernière, ne permettent pas d'établir l'intensité des relations dont elle se prévaut avec la famille de son époux. Au surplus, si Mme D... épouse A... soutient que son époux se trouve sans emploi suite à des problèmes de santé depuis 2016 ne permettant pas d'avoir des ressources suffisantes pour faire aboutir une telle procédure, l'intéressée, qui a fait l'objet en 2019 d'un arrêté portant refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français, ne démontre pas par les seules pièces produites sa bonne insertion en France. Par ailleurs la requérante est mère de six enfants ne résidant pas en France, dont deux mineurs. Si elle verse un justificatif d'adoption de son dernier enfant né en 2010 par sa sœur qui réside au B..., cet élément ne suffit pas à établir qu'elle y serait dépourvue d'attaches alors qu'elle y a vécu jusqu'à l'âge de 44 ans. Dans ces conditions, alors même que son époux et des membres de la famille de ce dernier seraient en situation régulière en France ou bénéficieraient de la nationalité française, l'arrêté en litige ne peut être regardé comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
11. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être exposés, il ne ressort pas des pièces du dossier que le refus opposé à la demande d'admission au séjour présentée par l'appelante aurait sur sa situation personnelle et familiale des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de telles conséquences doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme D... épouse A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions de l'appelante à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... épouse A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... épouse A..., à Me Moulin et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet d l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Chabert, président de chambre,
- M. Teulière, président assesseur,
- M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2025.
Le président-rapporteur,
D. Chabert
Le président-assesseur,
T. Teulière La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL02160