Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 300 000 euros en réparation de ses préjudices et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2106052 du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 mai 2023, le 22 février 2024 et le 12 mai 2024, M. B... A..., représenté par Me Manya, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°2106052 du tribunal administratif de Montpellier du 31 mars 2023 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 300 000 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il n'a pas estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée ;
- il a subi des faits de harcèlement moral de la part d'une autre enseignante, et a été victime d'une inaction de son administration, compte tenu des carences de la rectrice dans la gestion de sa situation, de nature à porter atteinte à sa dignité ;
- les faits en cause sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard ;
- il a subi des préjudices du fait de la dégradation de son état de santé, de la privation de la possibilité d'effectuer des heures supplémentaires et de l'impact de la situation en cause sur sa carrière.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2024, la rectrice de l'académie de Montpellier conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 4 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 4 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Virginie Dumez-Fauchille, première conseillère,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bardoux substituant Me Manya, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... est professeur d'économie et de gestion au sein du lycée ... à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Par courrier du 11 novembre 2021 reçu le 15 novembre 2021 par la rectrice de l'académie de Montpellier, il a formé une réclamation indemnitaire préalable au titre des faits de harcèlement moral et de manquements à l'obligation de protection de son employeur qu'il estimait avoir subis. Le silence gardé par la rectrice de l'académie de Montpellier sur cette réclamation a fait naître une décision implicite de rejet. Par jugement du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de M. A... tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 300 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'auraient commise les premiers juges, qui se rapporte au bien-fondé du jugement et non à sa régularité, ne peut être utilement invoqué.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
4. Lorsqu'un agent est victime, dans l'exercice de ses fonctions, d'agissements répétés de harcèlement moral visés à l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 précité, il peut demander à être indemnisé par l'administration de la totalité du préjudice subi, alors même que ces agissements ne résulteraient pas d'une faute qui serait imputable à celle-ci. Dans ce cas, si ces agissements sont imputables en tout ou partie à une faute personnelle d'un autre ou d'autres agents publics, le juge administratif, saisi en ce sens par l'administration, détermine la contribution de cet agent ou de ces agents à la charge de la réparation.
5. M. A... soutient être victime d'agissements relevant d'un harcèlement moral, compte tenu des démarches répétées de Mme ..., professeure d'espagnol, à son encontre, des conséquences de la divulgation, par cette dernière, de son orientation sexuelle, du dénigrement manifesté par plusieurs collègues, en particulier à l'occasion d'une réunion qui s'est tenue le 10 juillet 2020 avec l'équipe pédagogique du lycée.
6. Il résulte de l'instruction que Mme ..., professeure d'espagnol dans la même section d'enseignement professionnel que M. A..., a divulgué en 2014 auprès d'élèves et de membres du corps professoral, des éléments relatifs à sa vie privée et personnelle, en particulier concernant son orientation sexuelle, et tenu des propos dénigrants à son endroit. L'intéressée a d'ailleurs été condamnée à verser des dommages et intérêts à M. A... pour ce comportement, par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 18 novembre 2020. Pour regrettables que soient ces agissements, il n'est pas démontré qu'ils aient ensuite perduré, et ne présentent donc pas un caractère répété. Si Mme ... a sollicité ultérieurement d'anciens élèves en vue d'obtenir des attestations pour sa défense, ces sollicitations ne présentaient pas de caractère dénigrant à l'égard de M. A.... M. A... fait en outre état de dégradations de véhicule, à deux reprises, en avril 2016 et en juin 2018 et de la réception de lettres anonymes à caractère injurieux, la première dans son casier le 31 mai 2017 et la seconde à son domicile, le 14 août 2017. Ces actes, dont les auteurs ne sont pas connus, ne peuvent être imputés à Mme ..., ni ne traduisent un dénigrement généralisé au sein de l'établissement où travaille M. A....
7. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les relations entre les professeurs intervenant au sein de la section de technicien supérieur " négociation et digitalisation de la relation client " se sont tendues et dégradées, en particulier à l'issue de l'année scolaire 2018-2019 durant laquelle M. A... a exercé ses fonctions en binôme avec Mme ..., laquelle, en situation pédagogique délicate auprès de ses élèves, en imputait la cause à M. A..., critiquant ses compétences et sa manière de travailler devant les élèves, comme en témoignent plusieurs attestations concordantes de certains d'entre eux. Une réunion de l'équipe pédagogique s'est tenue, en présence d'inspecteurs académiques, le 10 juillet 2020, en vue de résoudre ces tensions. Il résulte des comptes-rendus et témoignages relatifs à cette réunion qu'au cours de celle-ci, M. A... a été mis en cause par deux enseignants en particulier, qui lui imputaient la responsabilité de la dégradation des relations au sein de l'équipe et les difficultés rencontrées par Mme ..., sans toutefois qu'il soit démontré que les propos tenus à son endroit aient revêtu un caractère agressif ou injurieux. Le compte-rendu de cette réunion adressé par le proviseur à la direction des ressources humaines a outre conclu à ce que les allégations des collègues de M. A... ne reposaient sur aucun élément factuel ou circonstancié, et qu'aucun élément n'attestait d'une impossibilité pour l'équipe de travailler ensemble. Par ailleurs, M. A... n'établit pas l'existence, qu'il allègue, d'un dénigrement systématique ou d'actes malveillants répétitifs de la part de collègues.
8. Enfin, si l'intéressé, arrêté depuis le 1er septembre 2020 en raison d'un syndrome dépressif réactionnel, fait état d'une dégradation de son état de santé en lien avec le service, du fait d'une souffrance au travail, l'imputabilité au service d'une pathologie psychique, à la supposer établie, ne suffit pas en soi à caractériser des faits de harcèlement moral qui doivent répondre aux prescriptions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.
9. Ainsi, et alors même que la défenseure des droits, saisie par M. A..., a émis le 23 juillet 2021 des recommandations tendant à indemniser M. A... en réparation du préjudice subi du fait d'une situation de harcèlement moral et à lui proposer une mutation vers un autre établissement, il résulte de ces éléments, pris isolément ou dans leur ensemble, que le comportement des collègues de M. A... et de l'administration dont il relève, ne peut être regardé comme constitutif d'un harcèlement moral en lien avec l'exercice de ses fonctions.
10. En second lieu, l'administration n'a, certes, pas engagé de procédure disciplinaire à l'encontre de Mme ..., mais alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. A... aurait dénoncé la persistance de difficultés liées à la présence de celle-ci avant juillet 2017, le requérant a été reçu en entretien le 22 septembre 2017 et s'est vu proposer provisoirement une affectation en formation de brevet de technicien supérieur du lycée ... ou dans la filière technique d'un autre établissement, propositions qu'il a déclinées. M. A... a été affecté sur un poste relevant d'une autre section à la rentrée 2018, dispensant seulement quelques heures en section d'enseignement professionnel, tandis que Mme ... était placée en congé de longue maladie du 9 novembre 2017 au 8 novembre 2018, de sorte que les contacts entre les deux professeurs s'en trouvaient largement réduits. La rectrice de l'académie de Montpellier a, en outre, octroyé à M. A... la protection fonctionnelle, par décisions du 7 juillet 2016 et du 13 juin 2017 à l'occasion des faits dont il a été victime, tandis qu'il n'établit pas le ralentissement de carrière qu'il allègue. M. A..., n'est pas fondé à soutenir que l'administration aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité du fait de carences dans la gestion de sa situation.
11. Il résulte de toute ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B... A... et à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée à la rectrice de l'académie de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Dumez-Fauchille, première conseillère,
Mme Bentolila, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025
La rapporteure,
V. Dumez-Fauchille
La présidente,
A. Geslan-DemaretLa greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23TL01268