Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 41 927,60 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2100706 du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 janvier 2023, M. B... C..., représenté par Me Betrom, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 2 décembre 2022 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 31 143,50 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité des décisions des 6 juin 2019, 10 février 2020 et 25 novembre 2020 par lesquelles le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse l'a placé puis maintenu en disponibilité d'office pour raison de santé ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en retenant que la période au cours de laquelle il aurait pu faire l'objet d'un reclassement avait pris fin le 1er mai 2020 et non le 14 novembre 2020, les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'irrégularité ;
- aucune proposition de reclassement ne lui ayant été faite avant son placement en disponibilité d'office pour raison de santé, les décisions des 6 juin 2019, 10 février 2020 et 25 novembre 2020 par lesquelles le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse l'a placé puis maintenu en disponibilité d'office sont illégales ; cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- il a perdu une chance sérieuse d'être reclassé dès lors que des postes qu'il aurait pu occuper étaient vacants ; cette perte de chance lui a causé un préjudice financier d'un montant total de 28 646 euros correspondant à sa perte de rémunération depuis son placement en disponibilité d'office ;
- cette perte de chance lui a également causé un préjudice de carrière et une perte de huit trimestres de cotisation à la retraite et donc une dévaluation de sa pension de retraite ; il a par conséquent subi des troubles dans ses conditions d'existence, qu'il évalue à 3 500 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- lors de sa séance du 27 août 2020, le comité médical a reconnu M. C... comme étant apte à son emploi sur un poste aménagé à compter du 1er mai 2020 ; il appartenait à cet agent d'entreprendre des démarches auprès de son administration, or M. C... n'a pas exprimé son souhait d'être reclassé et n'indique pas quel emploi aurait pu lui être attribué ; l'intéressé ne peut se prévaloir de son absence de reclassement jusqu'au 13 novembre 2020 alors qu'il été déclaré médicalement apte à la reprise de ses fonctions sur un poste aménagé à compter du 1er mai 2020 ;
- M. C... n'établit ni la réalité ni l'étendue de son préjudice financier ;
- pour le surplus, il s'en remet à ses écritures de première instance.
Par une ordonnance du 21 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 21 novembre 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n°84-1051 du 30 novembre 1984 ;
- le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hélène Bentolila, conseillère,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., surveillant brigadier pénitentiaire, a été affecté au centre pénitentiaire de Béziers (Hérault) à compter du 22 octobre 2009. Par un arrêté du 6 juin 2019, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse l'a placé en position de disponibilité d'office pour raison de santé, à l'expiration de ses droits à congé de maladie ordinaire, pour une période de six mois à compter du 2 février 2019. Par un arrêté du 10 février 2020, cette même autorité l'a maintenu en disponibilité d'office pour raison de santé pour une nouvelle période de neuf mois à compter du 2 août 2019. Par un troisième arrêté du 25 novembre 2020, M. C... a été maintenu dans cette position pour une durée de six mois et douze jours à compter du 2 mai 2020. Par un courrier du 18 décembre 2020, M. C... a introduit une demande indemnitaire préalable afin d'obtenir réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité des arrêtés des 6 juin 2019, 10 février 2020 et 25 novembre 2020. Cette demande a été implicitement rejetée. M. C... relève appel du jugement du 2 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices subis du fait de ces trois décisions.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, M. C... ne peut utilement soutenir que le jugement attaqué est irrégulier au motif que les premiers juges auraient à tort considéré que la période au cours de laquelle il avait perdu une chance d'être reclassé prenait fin au 1er mai 2020 plutôt qu'au 14 novembre 2020.
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
3. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...) ". Aux termes de l'article 51 de la même loi, alors en vigueur : " La disponibilité est prononcée, soit à la demande de l'intéressé, soit d'office à l'expiration des congés prévus aux 2°, 3° et 4° de l'article 34. (...) ". Aux termes de l'article 63 de la même loi : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. (...) Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles le reclassement, qui est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé, peut intervenir. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 30 novembre 1984 relatif au reclassement des fonctionnaires devenus inaptes à leurs fonctions, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, de façon temporaire ou permanente, et si les nécessités du service ne permettent pas un aménagement des conditions de travail, l'administration, après avis du médecin de prévention, dans l'hypothèse où l'état de ce fonctionnaire n'a pas rendu nécessaire l'octroi d'un congé de maladie, ou du comité médical si un tel congé a été accordé, peut affecter ce fonctionnaire dans un emploi de son grade, dans lequel les conditions de service sont de nature à permettre à l'intéressé d'assurer les fonctions correspondantes. ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Lorsque l'état de santé d'un fonctionnaire, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas de remplir les fonctions correspondant aux emplois de son corps, l'administration, après avis du comité médical, propose à l'intéressé une période de préparation au reclassement (...) ". Aux termes de l'article 27 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " (...) Lorsqu'un fonctionnaire a obtenu pendant une période de douze mois consécutifs des congés de maladie d'une durée totale de douze mois, il ne peut, à l'expiration de sa dernière période de congé, reprendre son service sans l'avis favorable du comité médical : en cas d'avis défavorable, s'il ne bénéficie pas de la période de préparation au reclassement (...), il est soit mis en disponibilité, soit reclassé dans un autre emploi, soit, s'il est reconnu définitivement inapte à l'exercice de tout emploi, admis à la retraite après avis de la commission de réforme. Le paiement du demi-traitement est maintenu, le cas échéant, jusqu'à la date de la décision de reprise de service, de reclassement, de mise en disponibilité ou d'admission à la retraite. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article 48 du même décret, dans sa rédaction applicable au présent litige : " La mise en disponibilité prévue aux articles 27 et 47 du présent décret est prononcée après avis du comité médical ou de la commission de réforme sur l'inaptitude du fonctionnaire à reprendre ses fonctions. / Elle est accordée pour une durée maximale d'un an et peut être renouvelée à deux reprises pour une durée égale. / (...) ".
4. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées, et notamment des articles 34, 51 et 63 de la loi du 11 janvier 1984, de l'article 27 du décret du 14 mars 1986 et de l'article 2 du décret du 30 novembre 1984, que lorsqu'un fonctionnaire a été, à l'issue de ses droits statutaires à congé de maladie, reconnu inapte à la reprise des fonctions qu'il occupait antérieurement et alors que, comme c'est le cas en l'espèce, le comité médical ne s'est pas prononcé sur sa capacité à occuper, par voie de réaffectation, de détachement ou de reclassement, un autre emploi, éventuellement dans un autre corps ou un autre grade, l'autorité hiérarchique ne peut placer cet agent en disponibilité d'office, sans l'avoir préalablement invité à présenter, s'il le souhaite, une demande de reclassement. La mise en disponibilité d'office peut ensuite être prononcée soit en l'absence d'une telle demande, soit si cette dernière ne peut être immédiatement satisfaite.
5. Il résulte de l'instruction qu'après l'expiration des droits statutaires à congé de maladie de M. C..., le 10 avril 2019, le comité médical départemental a émis un avis favorable à sa mise en disponibilité d'office pour raison de santé pour une durée de six mois, du 2 février au 1er août 2019 en raison de son " inaptitude provisoire ". A la suite de cet avis, par une décision du 6 juin 2019, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse a placé M. C... en disponibilité d'office pour raison de santé pour une période de six mois à compter du 2 février 2019. Dès lors que dans son avis du 10 avril 2019, le comité médical ne s'est pas prononcé sur la capacité de M. C... à occuper un autre emploi que celui qu'il occupait précédemment, par voie de réaffectation, de détachement ou de reclassement, il appartenait à l'administration d'inviter l'intéressé à présenter, s'il le souhaitait, une demande de reclassement, avant de le placer en disponibilité d'office. De la même manière, le 23 janvier 2020, le comité médical départemental a émis un avis favorable à la prolongation de la disponibilité d'office pour raison de santé de M. C... pour une durée de neuf mois, du 2 août 2019 au 1er mai 2020, sans préciser s'il était inapte à tout emploi. Dès lors, il appartenait à l'administration, avant de prendre la décision du 10 février 2020 maintenant M. C... en disponibilité d'office pour une période de neuf mois à compter du 2 août 2019, de l'inviter à présenter, s'il le souhaitait, une demande de reclassement. Enfin, par un troisième avis du 8 septembre 2020, le comité médical a considéré M. C... apte à son emploi à compter du 1er mai 2020, en préconisant un maintien de l'intéressé en disponibilité d'office pour raison de santé jusqu'à sa reprise sur un poste aménagé, dès notification de cet avis au centre pénitentiaire de Béziers, laquelle est intervenue le 14 novembre 2020.
6. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. C... aurait été invité à présenter une demande de reclassement avant son placement puis son maintien en disponibilité d'office pour raison de santé, l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Eu égard aux circonstances mentionnées au point précédent, il y a lieu de retenir que la période d'illégalité fautive s'étend du 2 février 2019, date à laquelle il a été placé en disponibilité d'office, au 1er mai 2020, date à laquelle M. C... était apte à reprendre ses fonctions sur un poste aménagé.
7. Lorsque l'administration n'a procédé à aucune recherche de reclassement avant de placer d'office l'agent en position de disponibilité, il convient pour le juge de rechercher si cette carence de l'administration a été de nature à faire perdre à l'intéressé une chance sérieuse de reclassement dans un autre emploi.
8. Il résulte de l'instruction que le 16 novembre 2018, le docteur A..., psychiatre, ayant examiné M. C... avant que ne se réunisse le comité médical, a considéré l'intéressé comme étant provisoirement inapte à tout emploi. M. C..., qui n'apporte aucune précision concernant son aptitude à occuper un autre emploi que celui de surveillant pénitentiaire qu'il occupait précédemment au sein du centre pénitentiaire de Béziers, se borne à produire des notes de services du directeur de cet établissement concernant des appels à candidature et des changements d'affectation au sein de cet établissement se rapportant à la période postérieure au 1er mai 2020, à l'exception d'un poste de vaguemestre et d'un poste aux unités de vie familiale. En n'apportant aucun élément quant à son aptitude à occuper l'un de ces emplois, alors qu'au demeurant, le médecin coordonnateur régional a le 24 novembre 2020 considéré que son état de santé était compatible avec une reprise de son activité professionnelle sous réserve d'un positionnement en milieu ouvert et que le poste de vaguemestre et celui concernant les unités de vie familiale ne sont pas en milieu ouvert mais en milieu fermé, la faute commise par l'administration ne saurait être regardée comme ayant privé M. C... d'une chance sérieuse d'être reclassé.
9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Dumez-Fauchille, première conseillère,
Mme Bentolila, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.
La rapporteure,
H. Bentolila
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°23TL00258