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21/01/2025 | FRANCE | N°22TL21936

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 21 janvier 2025, 22TL21936


Vu les procédures suivantes :



Procédures contentieuses antérieures :



Sous le n°1904375, Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard a rejeté sa demande de protection fonctionnelle reçue le 23 août 2019, d'enjoindre au service départemental d'incendie et de secours du Gard de réexaminer sa demande d'octroi de la protection fonctionnelle et de mettre à la charge du service dép

artemental d'incendie et de secours du Gard la somme de 3 000 euros au titre de l'artic...

Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures :

Sous le n°1904375, Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard a rejeté sa demande de protection fonctionnelle reçue le 23 août 2019, d'enjoindre au service départemental d'incendie et de secours du Gard de réexaminer sa demande d'octroi de la protection fonctionnelle et de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours du Gard la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1904375 rendu le 4 juillet 2022, le tribunal administratif de Nîmes, après avoir ordonné, avant dire-droit, le 16 décembre 2021, un supplément d'instruction en vue de la production, par le service départemental d'incendie et de secours du Gard, de l'intégralité du rapport établi en 2019 dans le cadre de l'enquête administrative concernant la demande de protection fonctionnelle et la plainte de M. ... contre des faits de dénonciations calomnieuses imputés à Mme C..., a annulé la décision implicite par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard a rejeté la demande de protection fonctionnelle de Mme C..., reçue le 23 août 2019, a enjoint au président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard d'accorder la protection fonctionnelle à cette dernière au titre des faits de harcèlement moral dont elle a été victime, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge du service départemental d'incendie et de secours du Gard la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté les conclusions présentées par l'établissement public administratif sur le même fondement.

Sous le n° 2203960, Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 25 octobre 2022 par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard " a refusé de lui octroyer la protection fonctionnelle " et de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours du Gard la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2203960 rendu le 6 juillet 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du 25 octobre 2022 du président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard en tant qu'elle a abrogé le bénéfice de la protection fonctionnelle accordée à Mme C... à compter de cette même date, a mis à la charge du service départemental d'incendie et de secours du Gard la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, des pièces et des mémoires, enregistrés le 5 septembre et le 14 octobre 2022, le 14 mai et le 25 juillet 2024, sous le n°22TL21936, le service départemental d'incendie et de secours du Gard, représenté par Me Dyens, du cabinet Goutal, Alibert et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°1904375 rendu le 4 juillet 2022 ;

2°) de rejeter la demande de Mme C... comme mal fondée avec toutes conséquences de droit ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement n°1904375, rendu le 4 juillet 2022, contesté, qui ne comporte pas les signatures des magistrats est irrégulier ;

- en estimant que Mme C... avait été victime d'un harcèlement moral de nature à lui ouvrir droit à la protection fonctionnelle, le tribunal administratif de Nîmes a entaché sa décision d'erreurs de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- Mme C... n'accomplissant pas correctement ses missions et se pensant libre de communiquer sur les réseaux sociaux, l'autorité hiérarchique pouvait légalement procéder aux contrôles requis de sorte que les faits de harcèlement moral, au regard du comportement de l'agent, ne sont pas établis.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 mars 2023 et le 8 juillet 2024, et un mémoire et des pièces complémentaires, non communiqués, enregistrés le 6 août 2024 et le 3 janvier 2025, Mme B... C..., représentée par Me Porin, demande de confirmer le jugement rendu le 4 juillet 2022, de débouter le service départemental d'incendie et de secours du Gard de toutes ses demandes et prétentions et de mettre à la charge de l'établissement public administratif la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable eu égard à la nullité du mandat pour agir, lequel ayant été donné par " le Président du service départemental d'incendie et de secours du Gard ", autorité qui n'existe pas, en lieu et place du président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard ;

- le jugement contesté est parfaitement régulier, l'absence de signature sur l'expédition du jugement notifiée aux parties étant sans incidence sur la régularité de la décision juridictionnelle ;

- le jugement contesté, au regard du caractère établi des faits de harcèlement moral qu'elle a subis, est fondé.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 septembre 2023 et le 29 novembre 2024, sous le n°23TL02283, le service départemental d'incendie et de secours du Gard, représenté par Me Dyens, du cabinet Goutal, Alibert et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°2203960 du tribunal administratif de Nîmes rendu le 6 juillet 2023 en tant qu'il a prononcé l'annulation de la décision du 25 octobre 2022 en ce qu'elle abroge, à compter de cette même date, la protection fonctionnelle accordée à Mme C... ;

2°) de rejeter la demande de Mme C... avec toutes conséquences de droit ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 2 500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement n°2203960, rendu le 6 juillet 2023, contesté, qui ne comporte pas les signatures des magistrats est irrégulier ;

- en estimant que Mme C... avait été victime de faits constitutifs de harcèlement moral lui ouvrant droit à la protection fonctionnelle, le tribunal administratif de Nîmes a entaché sa décision d'erreurs de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- ce jugement est également entaché de dénaturation des faits dans la mesure où, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la procédure pour laquelle Mme C... a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle se limite aux seules accusations pénales de harcèlement moral et sexuel qu'elle a portées depuis le 15 juillet 2019, date à laquelle elle a déposé plainte au tribunal judiciaire de Marseille à l'encontre de MM. ... et ... ;

- en estimant que l'absence de suites données à la plainte, que Mme C... avait déposée, quatre ans auparavant n'était pas de nature à abroger le bénéfice de la protection fonctionnelle, les premiers juges ont inversé la charge de la preuve en matière de harcèlement moral ;

- c'est au contraire à Mme C... d'établir que sa plainte pour harcèlement moral est toujours en cours ;

- la décision du 25 octobre 2022 est parfaitement fondée dès lors qu'il n'avait pas à attendre une décision de classement sans suite pour mettre fin à la protection fonctionnelle dont l'agent bénéficiait ; au demeurant, un courrier qui lui a été adressé par le parquet du tribunal judiciaire de Nîmes, le 14 janvier 2024, établit que le classement sans suite est effectif depuis le 31 août 2022.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 mai et le 5 décembre 2024, et des pièces complémentaires, non communiquées, enregistrées le 3 janvier 2025, Mme B... C..., représentée par Me Porin, demande à la cour de confirmer le jugement n°2203960, rendu le 6 juillet 2023, et par là même l'annulation de la décision du 25 octobre 2022 du président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard statuant sur la protection fonctionnelle et de mettre à la charge de l'établissement public administratif la somme de 3 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement contesté est parfaitement régulier, l'absence de signature sur l'expédition du jugement notifiée aux parties étant sans incidence sur la régularité de la décision juridictionnelle ;

- le jugement contesté est parfaitement fondé ;

- la décision du 25 octobre 2022 est signée par une autorité, qui ne justifie pas de la qualité alléguée de " président du service départemental d'incendie et de secours du Gard " de sorte que ce moyen peut également fonder son annulation ;

- cette décision, qui met fin pour l'avenir au bénéfice de la protection fonctionnelle, méconnaît l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs et au dispositif du jugement rendu le 4 juillet 2022 ; or, ce n'est qu'à compter du 30 juin 2023 que sa plainte sera classée sans suite, un courrier, lui a, d'ailleurs, été adressé, le 21 juin 2022, indiquant que l'enquête était en cours ;

- les agissements de harcèlement moral allégués ont été à bon droit regardés comme établis par les premiers juges.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- les observations de Me Avelin représentant le service départemental d'incendie et de secours du Gard,

- et les observations de Me Porin représentant Mme C....

Deux notes en délibéré présentées pour Mme C... ont été enregistrées le 16 janvier 2025 dans les deux affaires et n'ont pas été communiquées.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été recrutée, le 1er avril 2015, par le service départemental d'incendie et de secours du Gard comme adjoint administratif de deuxième classe en tant que stagiaire, puis a été titularisée le 1er avril 2016. Après avoir occupé les fonctions de " community manager ", elle a été responsable, à compter du 1er juin 2018, de la communication numérique du service départemental d'incendie et de secours du Gard et a été, à ce titre, hiérarchiquement rattachée à M. ..., chef du groupement " Secrétariat général " de l'établissement public. Elle a été placée en congés de maladie à compter du 3 mai 2019. Le 7 mai 2019, le conseil de Mme C... a alerté le directeur du service départemental d'incendie et de secours du Gard des faits de harcèlement sexuel et moral qu'elle estimait subir de la part de M. ... et des faits de harcèlement moral qu'elle imputait à M. ..., directeur adjoint du service départemental d'incendie et de secours du Gard, et a demandé, à ce titre, le bénéfice de la protection fonctionnelle. Aucune réponse n'a été apportée à cette demande. Le 23 août 2019, elle a présenté une nouvelle demande d'octroi de la protection fonctionnelle à laquelle l'établissement public n'a pas davantage répondu. Dans la requête n°22TL21936, le service départemental d'incendie et de secours du Gard relève appel du jugement rendu le 4 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision implicite par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard a rejeté la demande de protection fonctionnelle de Mme C..., reçue le 23 août 2019 et a enjoint à cette autorité d'accorder la protection fonctionnelle à cette dernière au titre des faits de harcèlement moral dont elle a été victime, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Par une décision du 25 octobre 2022, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard a, en exécution de ce jugement, statué sur cette demande de protection fonctionnelle. Dans la requête n°23TL02283, le service départemental d'incendie et de secours du Gard relève appel du jugement rendu le 6 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du 25 octobre 2022 en tant qu'elle avait abrogé le bénéfice de la protection fonctionnelle accordée à Mme C... à compter de cette même date.

2. Les requêtes n° 22TL21936 et n°23TL02283 opposent les mêmes parties, sont relatives à la situation d'une même fonctionnaire et présentent à juger des questions connexes. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 22TL21936 :

En ce qui concerne la régularité du jugement n° 1904375 rendu le 4 juillet 2022 :

3. D'une part, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le service départemental d'incendie et de secours ne peut donc utilement soutenir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, que le tribunal aurait entaché ses décisions d'erreurs de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".

5. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué n°1904375 comporte les signatures de la rapporteure, de la présidente de la deuxième chambre et de la greffière d'audience. Ainsi, le moyen tiré de ce que le jugement n'aurait notamment pas été signé par les magistrats doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

6. D'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en vigueur à la date de la décision attaquée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Selon l'article 11 de la même loi : " I. A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. / (...) / IV. La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".

7. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. D'autre part, si la protection fonctionnelle résultant d'un principe général du droit n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

9. Pour annuler la décision implicite par laquelle l'établissement public administratif a rejeté la demande de protection fonctionnelle présentée, le 23 août 2019, par Mme C..., le tribunal administratif de Nîmes, qui n'a pas retenu les faits de harcèlement sexuel, a estimé que les éléments que cette dernière avait versés au dossier constitués de faits, relatés de manière détaillée et assortis de nombreux justificatifs, suffisaient par eux-mêmes à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre et que face à ces éléments, le service départemental d'incendie et de secours du Gard, qui n'avait pleinement satisfait à la mesure d'instruction, ordonnée avant dire-droit, le 21 décembre 2021, visant à ce qu'il communique l'intégralité de l'enquête interne, diligentée à compter du 1er avril 2019, à la suite de la demande de protection fonctionnelle, déposée par M. ..., le chef du groupement " secrétariat général " et portant sur la plainte que ce dernier a déposée contre Mme C... et M. A..., commandant faisant partie du groupement et concubin de cette dernière, pour des faits de dénonciations calomnieuses et de diffamation, n'apportait pas la preuve que les agissements à l'encontre de l'agent seraient pleinement justifiés par son comportement et par là même étrangers à toute situation de harcèlement moral.

10. En l'espèce, à compter de la fin du mois de juillet 2018, soit peu de temps après l'affectation de Mme C..., le 1er juin 2018, en qualité de " community manager " auprès du secrétariat général, l'exercice de ses fonctions de gestionnaire des réseaux sociaux du service départemental et de secours du Gard a fait l'objet d'un contrôle permanent de sa hiérarchie et notamment des modalités et du contenu de la publication induisant une réduction de son autonomie dans l'exercice de ses fonctions et de contrôles répétés de son emploi du temps professionnel et personnel. Par ailleurs, pour la période du 1er janvier au 1er juin 2019, date d'effet de la mise en disponibilité de l'intéressée, à sa demande, son activité accessoire de formatrice auprès du centre national de la fonction publique territoriale a fait l'objet d'une remise en cause systématique par son autorité hiérarchique, contrôle qui a, au surplus, perduré après la mise en disponibilité de Mme C..., alors que les modalités d'exercice des activités de formation et leur contrôle avait été rappelées, le 4 juin 2019, par la directrice générale du centre national de la fonction publique territoriale.

11. Il ressort des pièces du dossier que les faits, exposés au point précédent relatés de manière détaillée et assortis de nombreux justificatifs, suffisaient par eux-mêmes, ainsi que l'ont à bon droit retenu les premiers juges, à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. En réponse, l'administration, qui n'a pas produit l'intégralité de l'enquête interne qui avait été sollicitée par le tribunal, dans le cadre d'un supplément d'instruction, ne parvient pas à justifier la mise en place de mesures contraignantes répétées à l'encontre de l'agent ou de décisions défavorables sans rapport avec la manière de servir. A cet égard, le " tweet " que l'agent a publié, le 6 février 2019, pour faire part, avec une certaine amertume, des contraintes subies dans l'exercice de ses fonctions ne saurait faire obstacle au bénéfice de la protection statutaire sollicitée dès lors que la situation de harcèlement moral était installée depuis plusieurs mois. Enfin, il n'est pas établi que Mme C... se serait rendue coupable de faits de chantage, intimidations, menaces ou pressions, de nature à l'exclure de son droit à protection, alors que les conclusions de l'enquête interne précitée ont écarté la mauvaise foi de l'intéressée dans la dénonciation des faits qu'elle subissait, et pour lesquels elle avait déposé une plainte pénale le 15 juillet 2019, jointe à la demande de protection fonctionnelle, présentée le 23 août 2019. Dans ces conditions, alors que les agissements mentionnés précédemment ont eu pour effet d'altérer la santé de Mme C..., atteinte depuis le mois d'octobre 2018 d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel, et que la médecine du travail, consultée à plusieurs reprises, avait alerté l'employeur sur cette situation délétère et de la nécessité de prendre des mesures conservatoires afin de protéger l'agent et de rétablir le bon fonctionnement du service, cette dernière est fondée à soutenir qu'elle a subi des faits de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 et que la décision contestée est, par suite, entachée d'une erreur d'appréciation.

12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité à agir du président du service départemental d'incendie et de secours du Gard, que ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision implicite par laquelle le président du conseil d'administration de l'établissement public a rejeté la demande de protection fonctionnelle de Mme C..., reçue le 23 août 2019 et a enjoint au même président d'accorder la protection fonctionnelle à cette dernière au titre des faits de harcèlement moral dont elle a été victime, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle.

Sur la requête n°23TL02283 :

En ce qui concerne la régularité du jugement n°2203960 rendu le 6 juillet 2023 :

13. En premier lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le service départemental d'incendie et de secours du Gard ne peut donc utilement soutenir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, que le tribunal aurait entaché ses décisions d'erreurs de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ni encore que les premiers juges auraient commis une dénaturation des faits, qui relève du contrôle du juge de cassation.

14. En deuxième lieu, eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer d'une part sur la régularité de la décision des premiers juges et d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, le moyen, tiré de ce que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en inversant la charge de la preuve dans l'appréciation des faits constitutifs de harcèlement, est inopérant.

15. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".

16. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué n°2203960 comporte les signatures de la rapporteure, du président de la deuxième chambre et de la greffière d'audience. Ainsi, le moyen tiré de ce que le jugement n'aurait notamment pas été signé par les magistrats doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

17. Aux termes de l'article L. 134-1 du code général de la fonction publique : " L'agent public ou, le cas échéant, l'ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre. ". Et aux termes de l'article L. 134-5 de ce code : " La collectivité publique est tenue de protéger l'agent public contre les atteintes volontaires à l'intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ".

18. Les dispositions de l'article L. 134-1 du code général de la fonction publique font obstacle à ce que l'autorité administrative assortisse une décision d'octroi de protection fonctionnelle d'une condition suspensive ou résolutoire. L'administration peut cependant réexaminer sa position et mettre fin à la protection en l'abrogeant si elle estime, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les éléments révélés par l'instance, et ainsi nouvellement portés à sa connaissance, permettent de regarder les agissements de harcèlement allégués comme n'étant plus établis. D'autre part, si ces mêmes dispositions n'imposent pas à l'administration d'accorder la protection fonctionnelle pour toutes les procédures contentieuses, la faculté qui lui est ainsi offerte de mettre fin à la protection statutaire ne saurait toutefois intervenir en cours d'une instance en lien direct avec la protection fonctionnelle ainsi accordée.

19. Pour annuler la décision du 25 octobre 2022 par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard, en exécution du jugement rendu le 4 juillet 2022, devait être regardé comme ayant abrogé le bénéfice de la protection fonctionnelle à compter du 25 octobre 2022, le tribunal administratif de Nîmes s'est fondé, d'une part, sur le moyen tiré de ce que, en l'absence de toute décision du procureur de la République de classement sans suite, et en dépit du délai écoulé depuis le dépôt, le 10 juillet 2019, de la plainte, toujours en cours d'instruction, l'autorité administrative ne pouvait, sans entacher sa décision d'une erreur de droit, abroger le bénéfice de la protection fonctionnelle accordée à Mme C... et, d'autre part, sur la circonstance qu'en limitant, en exécution de l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Nîmes, dans le jugement rendu le 4 juillet 2022, la protection fonctionnelle qui devait lui être accordée à la seule procédure pénale en cours, cette même autorité avait méconnu l'étendue et la portée de l'autorité de chose jugée s'attachant à ce jugement.

20. D'une part, si le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours du Gard n'était pas tenu d'attendre la fin des procédures judiciaires en lien direct avec la protection fonctionnelle accordée pour abroger le bénéfice de la protection accordée depuis le 23 octobre 2019, mais pouvait, ainsi qu'il a été rappelé au point 18, au regard d'éléments nouveaux apparus y mettre fin pour l'avenir, il ne pouvait légalement se fonder, à la date du 25 octobre 2022, ainsi que l'ont à bon droit retenu les premiers juges, sur la seule circonstance que la plainte n'avait, depuis son dépôt, le 10 juillet 2019, plus de trois ans auparavant, connu aucune suite, alors, au demeurant, que la fonctionnaire n'a été informée du classement sans suite que le 30 juin 2023 et que le jugement n°1904375, rendu le 4 juillet 2022, par le tribunal administratif de Nîmes, retenant, qui plus est, des faits de harcèlement moral subi par Mme C..., n'était pas devenu définitif. A cet égard, la production par le service départemental d'incendie et de secours du Gard, à l'appui de ses dernières écritures, d'un courrier, adressé le 17 janvier 2024, par le service du bureau d'ordre du parquet du tribunal judiciaire de Nîmes indiquant que la plainte de Mme C... a été classée sans suite, le 31 août 2022, ne saurait démontrer que l'établissement public disposait de cette information à la date à laquelle il s'est prononcé, ni ne fait état d'une circonstance nouvelle justifiant une décision d'abrogation de la protection fonctionnelle à cette date. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 10 et 11 et de la circonstance que le présent arrêt confirme le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 4 juillet 2022 retenant le caractère établi des faits de harcèlement moral à l'encontre de Mme C..., le service départemental d'incendie et de secours du Gard, qui n'apporte aucun élément nouveau à l'appui de moyen, ne peut donc légalement opposer le motif tiré du caractère non établi de ces faits à la date de la décision d'abrogation en litige.

21. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et notamment de la demande de protection fonctionnelle, que Mme C... a adressée, le 23 août 2019, au directeur du service départemental d'incendie et de secours du Gard que celle-ci, outre la demande de prise en charge des frais liés à la plainte, déposée le 15 juillet 2019, au tribunal judiciaire de Marseille à l'encontre de MM. ... et ..., évoquait la dégradation de ses conditions de travail et son brusque changement d'affectation et sollicitait par là même plus largement sa protection dans le cadre de l'exercice de ses fonctions au sein du service départemental. De la même façon, l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Nîmes, dans le jugement du 4 juillet 2022, n'a pas davantage limité l'octroi de la protection fonctionnelle à la procédure pénale ainsi initiée par l'agent. Dans ces conditions, en estimant également, par la décision en litige, que la protection fonctionnelle qui devait être accordée à Mme C... en exécution de ce jugement, se limitait à cette seule procédure pénale, le service départemental d'incendie et de secours du Gard a méconnu l'autorité de chose jugée qui s'attache au dispositif du jugement du 4 juillet 2022 et aux motifs qui en constituent le support nécessaire, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges dans le jugement rendu le 6 juillet 2023.

22. Il résulte de ce qui précède que le service départemental d'incendie et de secours du Gard n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 6 juillet 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du 25 octobre 2022 par laquelle il avait abrogé le bénéfice de la protection fonctionnelle attribuée à Mme C....

Sur les frais liés aux litiges :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par le service départemental d'incendie et de secours du Gard au titre des frais exposés et non compris dans les dépens soient mises à la charge de Mme C..., qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le même fondement, de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours du Gard la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens pour les deux instances.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes n°22TL21936 et n°23TL02283 du service départemental d'incendie et de secours du Gard sont rejetées.

Article 2 : Le service départemental d'incendie et de secours du Gard versera la somme de 1 500 euros à Mme C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours du Gard et à Mme B... C....

Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.

La rapporteure,

D. Teuly-Desportes

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au préfet du Gard, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22TL21936 et N°23TL02283 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21936
Date de la décision : 21/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Delphine Teuly-Desportes
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : PORIN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-21;22tl21936 ?
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