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31/12/2024 | FRANCE | N°22TL22348

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 31 décembre 2024, 22TL22348


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... Hisbergue a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 15 mai 2020 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse a opéré une retenue d'un trentième de sa rémunération mensuelle pour absence de service fait et d'enjoindre à l'Etat de lui rembourser la somme indument retenue sur le traitement de mai 2020 apparaissant sur le bulletin de paye de juillet 2020.



Par une ordonnance de renvoi

n° 2006719 du 22 janvier 2021, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Hisbergue a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 15 mai 2020 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse a opéré une retenue d'un trentième de sa rémunération mensuelle pour absence de service fait et d'enjoindre à l'Etat de lui rembourser la somme indument retenue sur le traitement de mai 2020 apparaissant sur le bulletin de paye de juillet 2020.

Par une ordonnance de renvoi n° 2006719 du 22 janvier 2021, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Toulouse a transmis au tribunal administratif de Montpellier, en application des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, le dossier de la requête présentée par M. Hisbergue.

Par un jugement n°2100418 du 23 septembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2022, M. Hisbergue, représenté par Me Nivet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100418 du 23 septembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler la décision du 15 mai 2020 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse a opéré une retenue d'un trentième de sa rémunération mensuelle pour absence de service fait ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de lui restituer la somme indument retenue, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte d'un montant de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens et une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué, entaché de dénaturation des pièces du dossier et d'erreur d'appréciation, est irrégulier ;

- l'administration ne l'a pas placé dans les conditions de nature à préserver sa santé lui permettant de pouvoir exécuter l'ordre qui lui a été donné le 12 mai 2020 ; le tribunal a dénaturé les pièces du dossier en considérant le contraire ;

- l'administration a confirmé que les conditions nécessaires à la garantie de la santé et de la sécurité des fonctionnaires n'étaient pas réunies et qu'il n'y avait pas lieu de procéder à une retenue sur traitement ; le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse a donc entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en procédant à une telle retenue et le tribunal a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en considérant le contraire.

Une mise en demeure a été adressée le 6 mars 2023 au garde des sceaux, ministre de la justice.

Par une ordonnance du 24 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 septembre 2023.

Un mémoire en défense, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, a été enregistré le 12 décembre 2024 postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2019-50 du 30 janvier 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Teulière, président assesseur,

- et les conclusions de M. Diard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 15 mai 2020, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse a opéré une retenue d'un trentième de la rémunération mensuelle de M. Hisbergue, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation, affecté au service pénitentiaire d'insertion et de probation des Pyrénées-Orientales à Perpignan, pour absence de service fait sur la journée du 12 mai précédent. Par une lettre du 25 août 2020, l'agent a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision. Par une décision du 16 octobre 2020, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse a rejeté ce recours. M. Hisbergue relève appel du jugement en date du 23 septembre 2022, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a notamment rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 mai 2020.

Sur la régularité du jugement :

2. Il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, en invoquant une erreur d'appréciation et la dénaturation des pièces du dossier qui entacheraient le jugement, M. Hisbergue conteste en réalité son bien-fondé et ne peut donc utilement soutenir qu'il serait irrégulier pour ces motifs.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article 20 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. Les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que des résultats collectifs des services. S'y ajoutent les prestations familiales obligatoires. (...) ".

4. Aux termes de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961 : " Le traitement exigible après service fait, conformément à l'article 22 (premier alinéa) de l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires est liquidé selon les modalités édictées par la réglementation sur la comptabilité publique. L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. Il n'y a pas service fait : / 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; / 2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements. Les dispositions qui précèdent sont applicables au personnel de chaque administration ou service doté d'un statut particulier ainsi qu'à tous bénéficiaires d'un traitement qui se liquide par mois. ".

5. Aux termes de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 : " Tout fonctionnaire (...) doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ".

6. Aux termes de l'article 4 du décret du 30 janvier 2019 portant statut particulier du corps des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation : " (...) Dans le cadre (...) des mesures ou peines restrictives ou privatives de liberté, ils procèdent à l'évaluation initiale et continue de la situation globale des personnes confiées par l'autorité judiciaire. (...) ".

7. Il résulte des dispositions précitées de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 qu'en l'absence de service fait, l'administration est tenue, selon le cas, de suspendre la rémunération jusqu'à la reprise du service, d'ordonner le reversement de la rémunération indûment perçue ou d'en retenir le montant sur les rémunérations ultérieures. Pour permettre une retenue sur la rémunération de l'agent ou son reversement, l'absence de service fait pour inexécution de tout ou partie des obligations de service doit pouvoir être matériellement constatée sans qu'il soit nécessaire de porter une appréciation sur le comportement de l'agent. Ainsi, l'autorité administrative est tenue de retenir par fractions d'un trentième indivisible le traitement des agents qui n'exécutent manifestement pas une obligation de service, sauf à ce que la demande d'exécuter cette obligation revête le caractère d'un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

8. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, par courriel du 12 mai 2020, la directrice fonctionnelle adjointe des services pénitentiaires d'insertion et de probation des Pyrénées-Orientales a donné l'ordre à M. Hisbergue de réaliser en présentiel les entretiens des personnes arrivant en détention, mission que son supérieur hiérarchique direct lui avait déjà demandé d'effectuer par courriel du 5 mai 2020. M. Hisbergue a alors refusé d'effectuer ces entretiens en soutenant que, à la suite de l'épidémie de covid-19 et de la levée du confinement, les conditions sanitaires pour la reprise des entretiens en présentiel exigées par la note émanant du directeur de l'administration pénitentiaire en date du 6 mai 2020 n'étaient pas réunies, notamment s'agissant du port du masque pour les personnes détenues, de la présence de protection en plexiglass dans les bureaux et de la fourniture de produits virucides.

9. Il n'est pas contesté que la mission consistant à effectuer les entretiens en présentiel des personnes détenues récemment incarcérées dans l'établissement pénitentiaire entre dans les attributions des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, définies à l'article 4 précité du décret du 30 janvier 2019 et constitue ainsi une obligation de service.

10. M. Hisbergue soutient en appel que l'administration ne l'a pas placé dans les conditions de nature à préserver sa santé lui permettant de pouvoir exécuter l'ordre qui lui a été donné le 12 mai 2020 et il est exact que, contrairement aux préconisations de la note du 6 mai 2020 du directeur de l'administration pénitentiaire, son service n'était pas encore doté de masques de protection permettant d'équiper les personnes détenues et que l'administration n'a mis à disposition qu'à compter du 13 mai 2020 plusieurs bureaux spécifiques, des protections en plexiglass ainsi que des lingettes désinfectantes. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de la note de service du 5 mai 2020 et de la réponse de l'administration au recours hiérarchique de l'intéressé, que l'ensemble des agents de la structure ont eu accès à du matériel de protection consistant en des masques, visières et gants dès le 5 mai 2020 et que les entrevues devaient être réalisées dans le respect des gestes barrières, après examen des personnes détenues par le service médical. Dans ces conditions, la demande adressée au requérant par l'administration pénitentiaire de réaliser les entretiens en présentiel des personnes détenues ne revêtait pas le caractère d'un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Par suite et alors que l'agent n'avait pas entendu exercer son droit de retrait en raison d'une situation de travail présentant un danger grave et imminent pour sa santé, l'administration était tenue d'opérer sur le traitement de M. Hisbergue au titre de l'inexécution d'une partie des obligations attachées à l'une de ses journées de service le 12 mai 2020, matériellement constatée par elle sans qu'il ait été porté d'appréciation sur le comportement de l'intéressé, une retenue d'un montant égal au trentième indivisible. M. Hisbergue ne peut utilement invoquer l'existence de " clusters " au centre pénitentiaire, sur une période postérieure à celle en litige. Il ne peut pas davantage utilement invoquer un courriel du 14 mai 2020 de la directrice fonctionnelle des services pénitentiaires d'insertion et de probation des Pyrénées-Orientales indiquant qu'elle ne procèderait pas à une retenue sur traitement pour la journée du 13 mai 2020, alors qu'est en litige une retenue sur traitement au titre de l'inexécution d'une partie des obligations attachées à la journée du 12 mai 2020. Contrairement à ce que soutient le requérant, les termes de ce courriel ne confirment nullement que les conditions nécessaires à la garantie de la santé et de la sécurité des agents n'auraient alors pas été réunies.

11. Il résulte de ce qui précède que M. Hisbergue n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 mai 2020. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ne peuvent également qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. En l'absence de dépens, les conclusions présentées par M. Hisbergue sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par M. Hisbergue et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. Hisbergue est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Hisbergue et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président de chambre,

M. Teulière, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.

Le rapporteur,

T. Teulière

Le président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL22348


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22348
Date de la décision : 31/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Thierry Teulière
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : NIVET GUILLEM

Origine de la décision
Date de l'import : 05/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-31;22tl22348 ?
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