Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 10 décembre 2019 par laquelle la ministre des armées lui a infligé une sanction du premier groupe de quarante jours d'arrêts avec dispense d'exécution, ainsi que la décision du 17 avril 2020 rejetant son recours administratif et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2004027 du 13 juillet 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 septembre 2022 et le 13 novembre 2024, M. B... A..., représenté par Me Faivre-Vilotte, demande à la cour :
1°) d'annuler ou de réformer ce jugement rendu le 13 juillet 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 10 décembre 2019 par laquelle la ministre des armées lui a infligé une sanction du premier groupe de quarante jours d'arrêts avec dispense d'exécution, ainsi que la décision du 17 avril 2020 rejetant son recours administratif ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement, insuffisamment motivé, méconnaît les dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative ;
- la minute du jugement n'a pas signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le principe du contradictoire a été méconnu dès lors que certains témoignages ne lui ont pas été communiqués ;
- la sanction en litige est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été informé du droit de se taire et a ainsi été privé d'une garantie ;
- elle revêt un caractère disproportionné ;
- elle est entachée d'une erreur de fait.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le code de la défense ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Faivre-Vilotte, représentant M. A....
Une note en délibéré présentée pour M. A... a été enregistrée le 27 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a intégré, le 16 juin 1998, l'école des sous-officiers de la gendarmerie nationale. Il a été promu au grade d'adjudant le 1er septembre 2012 puis à celui d'adjudant-chef, le 1er mars 2017, et assurait, depuis 1er août 2016, les fonctions de commandant du peloton de surveillance et d'instruction de la gendarmerie à Albi (Tarn). Par une décision du 10 décembre 2019, il s'est vu infliger une sanction de quarante jours d'arrêt dispensés d'exécution, confirmée, le 17 avril 2020, à la suite de son recours administratif formé auprès du directeur général de la gendarmerie nationale. M. A... relève appel du jugement du 13 juillet 2022 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation des décisions des 10 décembre 2019 et 17 avril 2020.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, qui n'était pas tenue de répondre à l'ensemble des arguments soulevés par M. A..., a suffisamment répondu aux moyens soulevés devant elle, en particulier celui tiré du caractère disproportionné de la sanction.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Selon l'article R. 741-8 du même code : " Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience. ".
4. Il résulte de l'instruction que l'affaire a été jugée par un magistrat statuant seul et que la minute du jugement attaqué a été signée par ce magistrat et le greffier d'audience. Dans ces conditions, la circonstance que l'expédition du jugement, notifiée à M. A..., ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité du jugement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en raison du défaut de signature de la minute manque en fait et doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article R. 4137-15 du code de la défense : " Avant qu'une sanction ne lui soit infligée, le militaire a le droit de s'expliquer oralement ou par écrit, seul ou accompagné d'un militaire en activité de son choix sur les faits qui lui sont reprochés devant l'autorité militaire de premier niveau dont il relève. Au préalable, un délai de réflexion, qui ne peut être inférieur à un jour franc, lui est laissé pour organiser sa défense. / Lorsque la demande de sanction est transmise à une autorité militaire supérieure à l'autorité militaire de premier niveau, le militaire en cause peut également s'expliquer par écrit sur ces faits auprès de cette autorité supérieure. L'explication écrite de l'intéressé ou la renonciation écrite à l'exercice du droit de s'expliquer par écrit est jointe au dossier transmis à l'autorité militaire supérieure. Avant d'être reçu par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève, le militaire a connaissance de l'ensemble des pièces et documents au vu desquels il est envisagé de le sanctionner. ".
6. D'une part, aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Elles impliquent que le fonctionnaire ou le militaire faisant l'objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire.
7. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal, dûment signé par l'intéressé, ainsi que par le commandant-adjoint du groupement de gendarmerie, une majore de réserve et une adjudante, de l'audition, conduite le 30 novembre 2018, que, préalablement au prononcé de la sanction, M. A... a été invité à présenter des observations après avoir été informé de son droit de se taire. Le moyen tiré de que l'adjudant-chef aurait été privé d'une garantie doit être écarté.
8. D'autre part, les dispositions de l'article R. 4137-15 du code de la défense citées au point 5 n'ont ni pour objet ni pour effet de conférer au militaire pour lequel une sanction disciplinaire est envisagée le droit d'obtenir de l'administration des pièces et documents autres que ceux sur lesquels l'autorité militaire entend se fonder pour prononcer sa sanction.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., à la suite de ses demandes, déposées le 14 février et le 28 mai 2019, a eu accès à son dossier disciplinaire qui comportait notamment l'intégralité du rapport d'enquête de commandement, établi le 8 janvier 2019 et ses vingt-cinq pièces jointes formant un premier ensemble de cent vingt et une pages, dont l'intéressé a reçu copie, le 22 février 2019 et aussi des documents complémentaires, consultés le 3 juin 2019. Ce rapport d'enquête, très circonstancié, développe sur neuf pages les dysfonctionnements graves survenus au sein du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie d'Albi et énonce les griefs reprochés à l'adjudant-chef A..., à savoir des défaillances graves dans son commandement. Les éléments repris dans ce rapport sont issus des témoignages des gradés et de leurs subordonnés de ce peloton de gendarmerie, témoignages retranscrits dans vingt-deux procès-verbaux communiqués à M. A... lors de la consultation de son dossier disciplinaire. Si ce dernier soutient que ces procès-verbaux font référence à des témoignages précédemment recueillis par le nouveau commandant de compagnie auprès des mêmes gendarmes qui ne figuraient pas dans le dossier disciplinaire et qui ne lui ont pas été communiqués, c'est sur le seul fondement du rapport d'enquête de commandement du 8 janvier 2019 et des procès-verbaux des auditions des vingt-deux membres du peloton figurant en annexe du rapport d'enquête et communiqués à l'adjudant-chef que la procédure disciplinaire le concernant a été engagée. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté.
10. Aux termes de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Sans préjudice des sanctions pénales qu'ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent : / 1° A des sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 4137-2 ; (...) ". En application de l'article L. 4137-2 du même code : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / a) L'avertissement ; / b) La consigne ; / c) La réprimande ; / d) Le blâme ; / e) Les arrêts / f) Le blâme du ministre (...) ". Selon l'article R. 4137-23 de ce code : " (...) Sont toutefois exclues de l'effacement d'office des sanctions disciplinaires du premier groupe les sanctions concernant des faits constituant des manquements à la probité, aux bonnes mœurs ou à l'honneur ayant donné lieu à un blâme du ministre, à des arrêts d'une durée supérieure à trente jours ou à une condamnation pénale inscrite au casier judiciaire numéro deux ". Selon l'article R. 434-6 du code de la sécurité intérieure : " I. - Le supérieur hiérarchique veille en permanence à la préservation de l'intégrité physique de ses subordonnés. Il veille aussi à leur santé physique et mentale. Il s'assure de la bonne condition de ses subordonnés. (...) ".
11. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
12. D'une part, si M. A... se borne à soutenir que la décision est entachée d'une erreur de fait, au motif qu'il n'a jamais eu l'intention d'insulter ses subordonnés, il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'enquête de commandement et des témoignages circonstanciés des gendarmes entendus dans ce cadre, que ces faits et notamment les propos insultants et dégradants, dont certains ont d'ailleurs été admis par l'intéressé, sont matériellement établis.
13. D'autre part, pour prononcer la sanction litigieuse, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire s'est notamment fondée, d'une part, sur la circonstance que le commandement de M. A..., qui s'est abstenu d'intervenir pour faire cesser les agissements constitutifs de harcèlement moral et de violence physique commis par un des gradés de l'unité, a été gravement défaillant et, d'autre part, sur la circonstance qu'il avait lui-même tenu des propos homophobes et humiliants à plusieurs reprises et adopté par là même un comportement inacceptable. L'appelant ne peut utilement invoquer, à l'appui de ce moyen, les sanctions déguisées, sans autre précision, dont il aurait déjà fait l'objet à travers le retrait des fonctions de commandement, la mutation et la perte d'un point de notation sans, au demeurant, indiquer les avoir contestées. Dans ces conditions, eu égard à sa qualité de sous-officier et aux responsabilités qui étaient confiées à M. A..., lequel a manqué de discernement, n'a pas protégé l'intégrité physique et la santé morale de ses subordonnés et a tenu lui-même des propos inadmissibles, alors même que sa manière de servir donnait jusqu'alors satisfaction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas, compte tenu de la nature des faits reprochés et de leur gravité, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant, au regard du pouvoir d'appréciation dont elle dispose, une sanction de quarante jours d'arrêt dispensés d'exécution, quand bien même une telle sanction, lorsqu'elle est infligée pour une durée supérieure à trente jours, est exclue de l'effacement d'office des sanctions disciplinaires du premier groupe prévu par l'article R. 4137-23 du code de la défense.
14. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que sollicite M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées et des anciens combattants.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
La rapporteure,
D. Teuly-Desportes
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées et des anciens combattants en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°22TL21994 2