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21/11/2024 | FRANCE | N°24TL00458

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 21 novembre 2024, 24TL00458


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association Environnementale Lot-Célé et l'association Canopée ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 17 janvier 2023 par lequel la préfète du Lot a accordé à la société par actions simplifiée Total Quadran l'autorisation de défricher une superficie totale de 18,85 hectares de bois situés au lieu-dit " Le Carteyrou ", sur le territoire de la commune de Tour-de-Faure, pour un projet de réalisation d'un parc photovoltaïque.



Par un jugement n° 2301489 rendu le 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Environnementale Lot-Célé et l'association Canopée ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 17 janvier 2023 par lequel la préfète du Lot a accordé à la société par actions simplifiée Total Quadran l'autorisation de défricher une superficie totale de 18,85 hectares de bois situés au lieu-dit " Le Carteyrou ", sur le territoire de la commune de Tour-de-Faure, pour un projet de réalisation d'un parc photovoltaïque.

Par un jugement n° 2301489 rendu le 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande et a mis à la charge des associations requérantes une somme de 1 500 euros à verser à la société Total Energies Renouvelables France, venue aux droits de la société Total Quadran, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 février 2024, 11 juin 2024 et 14 juillet 2024, l'association Environnementale Lot-Célé et l'association Canopée, représentées par Me Cofflard, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 décembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète du Lot du 17 janvier 2023 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

Sur la recevabilité de l'action :

- les délais de recours ont été respectés ;

- leur intérêt à agir est incontestable eu égard à leurs objets statutaires respectifs ;

- leurs présidents avaient qualité pour agir ;

Sur la régularité du jugement :

- le jugement n'est pas suffisamment motivé s'agissant des réponses apportées à leurs moyens tirés de la violation des articles L. 122-1-1 du code de l'environnement, L. 411-1 et suivants du même code et R. 341-7 du code forestier ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- les premiers juges ont commis des erreurs de droit ou des erreurs d'appréciation en n'accueillant pas les moyens de légalité soulevés dans leur demande ;

- l'étude d'impact est insuffisante au regard du 7° de l'article R. 122-5 du code de l'environnement s'agissant des solutions de substitution raisonnables ;

- ladite étude est également insuffisante au regard du 8° du même article s'agissant des mesures d'évitement, de réduction et de compensation des impacts du projet ; les mesures prévues pour maintenir ou créer des bandes boisées périphériques sont par ailleurs illégales au regard de l'obligation légale de débroussaillement dans le rayon de 50 mètres ;

- l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance de l'article R. 341-7 du code forestier et se trouve entaché d'irrégularité au regard de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration ; l'allongement du délai d'instruction vicie la procédure dès lors que les avis requis n'ont pas été rendus sur la base de l'étude d'impact actualisée ;

- l'arrêté méconnaît le 8° de l'article L. 341-5 du code forestier dès lors que les enjeux liés à la biodiversité justifiaient le maintien de la vocation forestière du site ; l'autorisation en litige procède d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de fait sur ce point ;

- l'arrêté méconnaît l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement dès lors que les mesures prescrites ne sont pas suffisantes au regard des incidences du projet ;

- la préfète a méconnu les articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement en n'imposant pas à la société pétitionnaire de solliciter une dérogation aux interdictions prévues par la législation relative aux espèces animales protégées et à leurs habitats ;

- la préfète a commis une erreur manifeste d'appréciation en accordant l'autorisation en litige malgré l'absence d'une demande de dérogation " espèces protégées ".

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 mai 2024 et 22 juillet 2024, la société par actions simplifiée Total Energies Renouvelables France, représentée par Me Elfassi, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des associations requérantes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors que les associations ne justifient ni de leur intérêt à agir, ni de leur qualité pour agir ;

- à titre subsidiaire, les moyens invoqués ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée le 26 mars 2024 au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, lequel n'a pas produit de mémoire en défense.

La clôture immédiate de l'instruction a été prononcée le 23 août 2024 en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté par les associations appelantes, représentées par Me Cofflard, a été enregistré le 17 octobre 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code forestier ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,

- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,

- les observations de Me Cofflard, représentant les associations appelantes,

- et les observations de Me Kabra, représentant la société intimée.

Considérant ce qui suit :

1. La société Total Quadran projette de réaliser un ouvrage de production électrique à partir de l'énergie solaire présentant une puissance de 17 943 kilowatts-crête, sur une unité foncière composée de onze parcelles, représentant une superficie de 19,16 hectares, situées au lieu-dit " Le Carteyrou " sur le territoire de la commune de Tour-de-Faure (Lot). Ladite société a sollicité, le 24 août 2020, une autorisation de défrichement pour la création de cette centrale photovoltaïque au sol. La société CS Le Carteyrou, filiale de la société Total Quadran, a présenté, le 2 septembre suivant, la demande de permis de construire pour ce projet. La mission régionale d'autorité environnementale d'Occitanie a rendu un avis sur le projet le 11 mai 2021, puis une enquête publique unique a été organisée du 31 août au 14 octobre 2022. Par deux arrêtés distincts pris le 17 janvier 2023, la préfète du Lot a accordé le permis de construire et l'autorisation de défricher ainsi sollicités, portant sur une surface ramenée à 18,85 hectares à l'initiative de la société pétitionnaire. Par la présente requête, l'association Environnementale Lot-Célé et l'association Canopée relèvent appel du jugement du 19 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 janvier 2023 portant autorisation de défricher et a mis à leur charge une somme de 1 500 euros à verser à la société Total Energies Renouvelables France, venue aux droits de la société Total Quadran, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement :

2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés. ". En l'espèce, il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Toulouse a répondu, au point 8, au moyen invoqué par les associations requérantes tiré de la méconnaissance des articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement, au point 10, au moyen tenant à la violation de l'article L. 122-1-1 du même code et, aux points 12 et 13, au moyen soulevé sur le fondement de l'article R. 341-7 du code forestier. Les premiers juges ont indiqué avec une précision suffisante les raisons pour lesquelles ils ont écarté le premier de ces moyens comme inopérant et les deux suivants comme non fondés. Ils n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments exposés par les parties et ont ainsi suffisamment motivé leur jugement, lequel n'est donc pas entaché de l'irrégularité invoquée par les appelantes.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Les associations requérantes soutiennent que le tribunal administratif de Toulouse aurait commis des erreurs de droit et des erreurs d'appréciation en écartant certains moyens de légalité soulevés dans leur demande. Les moyens ainsi énoncés relèvent toutefois du contrôle du juge de cassation et non de celui du juge d'appel, auquel il appartient seulement de statuer, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, sur la légalité de l'autorisation de défrichement.

4. En premier lieu, selon l'article L. 243-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits peut, pour tout motif et sans condition de délai, être modifié ou abrogé (...) ". Aux termes de l'article R. 341-6 du code forestier : " Lorsque la demande d'autorisation présentée sur le fondement de l'article L. 341-3 du présent code porte sur un défrichement soumis à enquête publique en application des articles L. 123-1 et L. 123-2 du code de l'environnement (...), la durée de l'enquête publique (...) est celle prévue (...) à l'article L. 123-9 du même code. (...) ". Et aux termes de l'article R. 341-7 du même code : " La demande d'autorisation de défrichement mentionnée au premier alinéa de l'article R. 341-6 est réputée rejetée à défaut de décision du préfet notifiée dans le délai de six mois à compter de la réception du dossier complet. ".

5. D'une part, il ressort des mentions portées dans les visas de l'arrêté préfectoral en litige que le dossier de la demande d'autorisation de défrichement présentée par la société pétitionnaire a été reçu complet le 24 août 2020. Dès lors que le défrichement en cause était soumis à une enquête publique en raison de la superficie concernée, une décision implicite de rejet est née sur cette demande d'autorisation le 24 février 2021 en application de l'article R. 341-7 du code forestier. Si les associations requérantes soutiennent que la préfète n'aurait pas pu légalement retirer cette décision implicite de rejet après l'expiration du délai de quatre mois prévu par l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorisation litigieuse ne peut être regardée comme ayant procédé au retrait de la décision implicite en cause, laquelle n'est pas créatrice de droits, mais seulement à son abrogation, ce qui était légalement possible sans condition de délai au regard des dispositions précitées de l'article L. 243-1 du même code. Par voie de conséquence, le moyen soulevé en ce sens ne peut qu'être écarté.

6. D'autre part, il ressort des pièces produites en première instance que le dossier présenté par la société pétitionnaire à l'appui de sa demande d'autorisation de défrichement incluait la version initiale de l'étude d'impact du projet de parc photovoltaïque réalisée par le bureau d'études Hydro-M Ingénierie et que les autorités et services compétents ont été consultés pour rendre un avis sur le projet sur la base de cette version de l'étude. Il ressort de ces mêmes pièces que l'étude d'impact a été ultérieurement complétée par le même bureau d'études pour prendre en compte notamment les remarques et les recommandations formulées par la mission régionale d'autorité environnementale d'Occitanie dans son avis du 11 mai 2021 et que le projet litigieux a été soumis à l'enquête publique sur la base d'un dossier comportant cette seconde version de l'étude transmise à l'administration le 21 février 2022. Si les associations appelantes soutiennent que la première version de l'étude d'impact était devenue obsolète s'agissant des impacts du projet sur les espèces protégées, il ressort des pièces du dossier que les enjeux liés à la protection de ces espèces étaient déjà traités dans la version initiale de l'étude et il n'apparaît pas que les modifications apportées au document en cours d'instruction, portant principalement sur l'actualisation des inventaires naturalistes et le renforcement des mesures visant à éviter ou réduire les impacts du projet, auraient été d'une importance telle qu'elles auraient nécessité de procéder à une nouvelle consultation des autorités et services précédemment saisis. Par suite, la procédure suivie ne se trouve pas entachée de l'irrégularité invoquée par les requérantes.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / (...) / II. - (...) L'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : / (...) / 7° Une description des solutions de substitution raisonnables qui ont été examinées par le maître d'ouvrage, en fonction du projet proposé et de ses caractéristiques spécifiques, et une indication des principales raisons du choix effectué, notamment une comparaison des incidences sur l'environnement et la santé humaine ; / 8° Les mesures prévues par le maître de l'ouvrage pour : / - éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine et réduire les effets n'ayant pu être évités ; / - compenser, lorsque cela est possible, les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits. S'il n'est pas possible de compenser ces effets, le maître d'ouvrage justifie cette impossibilité. / La description de ces mesures doit être accompagnée de l'estimation des dépenses correspondantes, de l'exposé des effets attendus de ces mesures à l'égard des impacts du projet sur les éléments mentionnés au 5° ; / (...) ".

8. D'une part, l'étude d'impact du projet de parc photovoltaïque, telle que complétée en réponse à l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale, expose en son chapitre 5 les raisons du choix du projet, ainsi que les solutions alternatives analysées pour implanter les panneaux photovoltaïques sur le secteur concerné. Les auteurs de l'étude y mentionnent que le secteur en cause a été retenu au regard de son potentiel solaire important, de son classement en zone " N-xer " destinée à l'implantation d'une centrale solaire dans le plan local d'urbanisme de la commune de Tour-de-Faure alors en vigueur et de sa localisation en dehors des principales zones de protection ou d'inventaire écologique. Ils y décrivent par ailleurs les hypothèses successivement envisagées pour l'implantation des ouvrages sur l'aire d'étude initiale en évitant notamment les zones présentant les enjeux les plus importants pour le paysage ou pour le milieu naturel. En conséquence et alors que rien n'imposait à la société pétitionnaire de présenter des solutions d'implantation écartées en amont sur d'autres sites possibles, l'étude d'impact en litige satisfait aux exigences du 7° précité de l'article R. 122-5 du code de l'environnement.

9. D'autre part, l'étude d'impact énumère en son chapitre 9 l'ensemble des mesures proposées par la société pétitionnaire pour éviter, réduire et compenser les impacts négatifs prévisibles du projet sur l'environnement et en particulier les incidences du défrichement sur le milieu naturel. Il y est indiqué que la solution d'implantation retenue permet de préserver les habitats naturels présentant les enjeux les plus élevés pour la faune patrimoniale, notamment les milieux les plus ouverts, les pelouses sèches, la zone humide existante et les bandes boisées en périphérie sud de l'emprise, mais également l'allée forestière située à l'ouest et fréquentée par les chiroptères. Il y est également mentionné que le calendrier des travaux a été adapté pour prendre en compte les périodes les plus sensibles pour la faune et que le déboisement sera ainsi réalisé entre septembre et novembre, soit en dehors de la période de reproduction des oiseaux, mammifères, insectes et reptiles. L'étude d'impact prévoit en outre l'installation d'habitats de substitution pour les chiroptères et les reptiles, la préservation de vieux chênes favorables à la reproduction des coléoptères, la création d'îlots de vieillissement pour ces mêmes espèces et la plantation de haies sur 700 mètres linéaires. Elle indique enfin que la superficie défrichée fera l'objet d'une mesure de compensation à préciser en lien avec les services de l'Etat. Dès lors, l'étude d'impact satisfait aux exigences du 8° de l'article R. 122-5 du code de l'environnement s'agissant de la description des mesures d'évitement, de réduction et de compensation.

10. En outre, l'étude d'impact expose en ce même chapitre 9 l'évaluation des impacts résiduels du projet sur le milieu naturel après prise en compte des mesures d'évitement et de réduction mentionnées au point précédent. Les auteurs de l'étude y ont estimé que, malgré les mesures ainsi prévues, l'installation du parc photovoltaïque aura un impact résiduel " modéré " sur les habitats naturels de chênes pubescents compte tenu de la dégradation ou de la perte de 12 hectares de ces habitats. Ils ont en revanche considéré que, grâce aux mesures envisagées, les impacts résiduels de l'opération seraient " nuls " ou " faibles " pour les autres enjeux liés au milieu naturel et en particulier pour les autres habitats et les espèces animales. Si les associations requérantes soutiennent à cet égard que l'étude d'impact sous-estimerait les impacts résiduels du projet sur les espèces animales et leurs habitats, leur argumentation sur ce point se borne à un rappel des critiques émises par la mission régionale d'autorité environnementale dans son avis du 11 mai 2021, alors que, comme il a été dit précédemment, l'étude en cause a été complétée à la suite de cet avis et que plusieurs mesures de nature à éviter ou réduire ces impacts y ont été intégrées, telles que le resserrement du calendrier des travaux et le renforcement des habitats de substitution. Dans ces conditions, l'étude d'impact modifiée justifie suffisamment le niveau des impacts résiduels du défrichement projeté et satisfait donc, sur ce point également, aux exigences prévues par le 8° de l'article R. 122-5 du code de l'environnement mentionné au point 7.

11. Enfin, les associations appelantes remettent en cause la légalité des mesures prévues par l'étude d'impact tendant au maintien ou à la création de bandes boisées périphériques au regard des " recommandations techniques " émises par le service départemental d'incendie et de secours du Lot pour l'installation des parcs photovoltaïques au sol et, plus particulièrement, de la recommandation 1.2 invitant à " assurer le débroussaillement de la strate arbustive sur une hauteur de 1,50 m et sur une distance de 50 m au moins à partir de la zone d'implantation des panneaux photovoltaïques ". Il ressort toutefois des termes mêmes de cette recommandation que le service départemental d'incendie et de secours s'est ainsi borné à rappeler les obligations légales de débroussaillement prévues à l'article L. 131-10 du code forestier, lesquelles imposent seulement de réduire le couvert végétal pour limiter la propagation des incendies et n'impliquent nullement la suppression totale de la végétation. Par voie de conséquence, les mesures proposées par la société pétitionnaire s'agissant des bandes boisées périphériques ne sont pas illégales et l'étude d'impact n'est donc pas non plus entachée d'insuffisance sur ce point particulier.

12. En troisième lieu, selon l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement : " I. - L'autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale prend en considération l'étude d'impact, l'avis des autorités mentionnées au V de l'article L. 122-1 ainsi que le résultat de la consultation du public (...). / La décision de l'autorité compétente est motivée au regard des incidences notables du projet sur l'environnement. Elle précise les prescriptions que devra respecter le maître d'ouvrage ainsi que les mesures et caractéristiques du projet destinées à éviter les incidences négatives notables, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites. Elle précise également les modalités du suivi des incidences du projet sur l'environnement ou la santé humaine. / (...) ".

13. D'une part, l'autorisation en litige est assortie, en son article 3-1, de prescriptions particulières imposant le maintien de bandes boisées à l'ouest de deux zones de panneaux et à l'est et à l'ouest de la troisième zone, le maintien de vieux chênes au sud de l'installation et l'adaptation de la période de travaux de sorte que le défrichement soit réalisé entre le début septembre et la fin novembre. Si l'arrêté ne reprend pas l'intégralité des autres mesures prévues par l'étude d'impact en vue d'éviter ou de réduire les incidences du défrichement, il mentionne ladite étude dans ses visas, ainsi que le mémoire établi par la société pétitionnaire en réponse à l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale, si bien qu'il doit être regardé comme incorporant les mesures contenues dans ces documents. L'arrêté contesté impose par ailleurs, en ses articles 5 et 6, la mesure de compensation spécifique à la législation forestière prévue par l'article L. 341-6 du code forestier, laissant le choix au pétitionnaire de réaliser des travaux de boisement sur d'autres terrains sur une surface de 34,01 hectares ou des travaux d'amélioration sylvicole pour un montant de 143 564 euros ou bien de verser une indemnité compensatrice au Fonds stratégique de la forêt et du bois à hauteur de ce même montant. Par suite, l'arrêté attaqué satisfait à l'exigence formelle prévue à l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement.

14. D'autre part et en tout état de cause, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 9 et 10 du présent arrêt, les associations requérantes ne démontrent pas que les mesures prévues par l'étude d'impact ou prescrites par l'autorisation litigieuse seraient insuffisantes au regard des incidences attendues du seul défrichement sur le milieu naturel. En outre et pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 11 de cet arrêt, les associations appelantes ne sont pas fondées à soutenir que les mesures visant au maintien ou à la création de bandes boisées périphériques, proposées dans l'étude d'impact et reprises dans l'arrêté contesté sous forme de prescriptions particulières, seraient entachées d'illégalité. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté.

15. En quatrième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 341-5 du code forestier : " L'autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation des bois et forêts ou des massifs qu'ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnu nécessaire à une ou plusieurs des fonctions suivantes : / (...) / 8° A l'équilibre biologique d'une région ou d'un territoire présentant un intérêt remarquable et motivé du point de vue de la préservation des espèces animales ou végétales et de l'écosystème ou au bien-être de la population ; / (...) ". L'appréciation portée par l'autorité administrative dans l'application de ces dispositions lors de la délivrance d'une autorisation de défrichement est soumise à un contrôle de l'erreur manifeste par le juge de l'excès de pouvoir.

16. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'étude d'impact du projet, que si le site retenu par la société pétitionnaire pour la réalisation du parc photovoltaïque se trouve dans le périmètre du Parc naturel régional des Causses du Quercy, il ne bénéficie toutefois d'aucune protection spécifique sur le plan écologique, tant au titre du réseau Natura 2000 qu'au titre des zones naturelles d'inventaire écologique, floristique et faunistique ou des arrêtés de biotope. Le secteur concerné ne peut dès lors être considéré comme présentant un intérêt remarquable du point de vue de la préservation de la biodiversité ou de l'écosystème. Par ailleurs, les impacts de l'opération de défrichement sur le milieu naturel seront atténués par l'effet des mesures prévues par le porteur de projet ou prescrites par l'arrêté préfectoral et la zone d'implantation retenue pour le projet se trouve entourée de milieux de causses similaires, si bien que la conservation des boisements ou le maintien de la destination forestière des sols ne peuvent être regardés comme nécessaires à l'équilibre biologique de ce territoire. En accordant l'autorisation de défrichement litigieuse, la préfète du Lot n'a, par conséquent, commis aucune erreur de fait ni aucune erreur manifeste d'appréciation au regard du 8° précité de l'article L. 341-5 du code forestier.

17. En cinquième lieu, selon l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques (...) et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, (...), la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...) ; / (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; / (...) ". L'article L. 411-2 du même code précise que : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante (...) et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / (...) ".

18. Les associations requérantes soutiennent que l'autorité préfectorale a méconnu les dispositions des articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement en faisant droit à la demande d'autorisation de défrichement pour le projet en litige sans imposer à la société pétitionnaire de présenter une demande de dérogation aux interdictions prévues par la législation relative aux espèces protégées et à leurs habitats Il ne résulte toutefois d'aucune disposition législative ou règlementaire que la délivrance d'une autorisation de défrichement au titre de la législation forestière serait subordonnée au dépôt d'une demande de dérogation au titre de la législation sur les espèces protégées, lorsqu'une telle dérogation est nécessaire à la réalisation du projet concerné, ni, a fortiori, à l'obtention d'une telle dérogation. Par voie de conséquence, le moyen invoqué sur le fondement des articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement ne peut qu'être écarté comme inopérant. Pour le même motif, les associations appelantes ne peuvent utilement soutenir que la préfète du Lot aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en accordant l'autorisation de défrichement contestée à la société pétitionnaire sans lui imposer de solliciter une dérogation aux interdictions prévues par la législation " espèces protégées ".

19. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la société Total Energies Renouvelables France, que les associations Environnementale Lot-Célé et Canopée ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 janvier 2023 portant autorisation de défricher.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, lequel n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque à verser aux associations appelantes au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société intimée au titre de ces mêmes dispositions à l'encontre des associations appelantes.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par l'association Environnementale Lot-Célé et l'association Canopée est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Total Energies Renouvelables France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Environnementale Lot-Célé, à l'association Canopée, à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt et à la société par actions simplifiée Total Energies Renouvelables France.

Copie en sera adressée à la préfète du Lot.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Teulière, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24TL00458


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24TL00458
Date de la décision : 21/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Florian Jazeron
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : COFFLARD

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-21;24tl00458 ?
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