Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 2 juillet 2023 par lequel la préfète de Vaucluse a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, d'enjoindre à la préfète de Vaucluse de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de 15 jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2302437 du 5 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2023, M. A... B..., représenté par Me Gault, de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Rivière et Gault Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement rendu le 5 juillet 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 juillet 2023 par lequel la préfète de Vaucluse a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi ;
3°) " de constater qu'il remplit les conditions pour bénéficier du statut d'apatride " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où cette mesure d'éloignement l'a privé de la possibilité de déposer une demande de reconnaissance du statut d'apatride ;
- pour les mêmes motifs, elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Une mise en demeure a été adressée, le 31 janvier 2024, à la préfète de Vaucluse, qui n'a pas présenté d'observations en défense.
Par une ordonnance du 24 avril 2024, la date de clôture d'instruction a été fixée au 29 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 1er janvier 1994 en Italie et se déclarant apatride, est entré en France, selon ses déclarations, en 2013. Le 28 mai 2018, puis le 20 juin 2019, il a fait l'objet de mesures d'éloignement. Par un arrêté du 10 juin 2022, dont la légalité a été confirmée par jugement rendu, le 1er juillet 2022, par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg, la préfète de l'Ain lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Le 1er juillet 2023, il a été interpellé à Avignon (Vaucluse) et placé en garde à vue pour des faits de conduite sans permis et détention de faux documents administratifs. Par un arrêté du 2 juillet 2023, la préfète de Vaucluse a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être renvoyé. M. B... relève appel du jugement rendu le 5 juillet 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, l'article R. 612-6 du code de justice administrative dispose que : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant. ". Malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, la préfète de Vaucluse n'a produit aucun mémoire en défense. Elle est donc réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans la requête. Il appartient cependant au juge de vérifier que ces faits ne sont pas contredits par l'instruction et qu'aucune règle d'ordre public ne s'oppose à ce qu'il soit donné satisfaction au requérant. En outre, l'acquiescement aux faits est par lui-même sans conséquence sur leur qualification juridique au regard des dispositions sur lesquelles l'administration s'est fondée ou dont le requérant revendique l'application.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté que M. B... ne justifie pas être entré régulièrement sur le territoire français et n'était pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité à la date de l'arrêté contesté. En outre, les pièces du dossier attestent de deux condamnations à des peines respectives de six et dix mois d'emprisonnement pour des faits de vol aggravé, la première prononcée, le 8 février 2018, par le tribunal judiciaire de Tarascon, et la seconde, prononcée par le tribunal judiciaire de Lyon, le 21 juin 2019. A la suite d'une nouvelle comparution pour des faits de vol devant le tribunal correctionnel de Dijon, le 23 février 2021, un sursis probatoire, prononcé le 18 juin 2018, a été révoqué à hauteur de six mois et lui a été notifié le 22 février 2022, date à laquelle il a été écroué au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse (Ain). Enfin, il a été interpellé, le 1er juillet 2023, en possession d'une fausse carte d'identité nationale italienne et reconnaît en avoir fait usage notamment pour l'achat d'un véhicule. Il suit de là que la préfète de Vaucluse pouvait légalement, en application des dispositions des 1° et 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point précédent, prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre de M. B....
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 582-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New York, du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention ". Aux termes de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 : " Aux fins de la présente convention, le terme " apatrides " désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ". Aux termes de l'article R. 582-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La demande de statut d'apatride est déposée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Elle est rédigée en français sur un imprimé établi par l'office. L'imprimé doit être signé et accompagné de deux photographies d'identité récentes et, le cas échéant, du document de voyage, des documents d'état civil et de la copie du document de séjour en cours de validité. / Lorsque la demande introduite est complète, l'office en accuse réception sans délai. ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à toute personne se prévalant de la qualité d'apatride d'apporter la preuve qu'en dépit de démarches répétées et assidues, l'Etat de la nationalité duquel elle se prévaut a refusé de donner suite à ses démarches.
6. Si M. B... dit être apatride et soutient que sa naissance en Italie ne lui a pas conféré cette nationalité, au regard de la circonstance que ses parents, originaires de Croatie et d'ethnie rom, eux-mêmes apatrides, auraient fui la guerre dans l'ex-Yougoslavie, il ne justifie cependant pas avoir le statut d'apatride, ni avoir engagé des démarches en vue de la reconnaissance de son apatridie. Au contraire, la fiche pénale comme l'application de gestion des ressortissants étrangers mentionnent qu'il est de nationalité italienne. En outre, la circonstance que les autorités italiennes aient mentionné, le 2 juillet 2023, élément repris dans l'ordonnance du 6 juillet 2023 par laquelle la conseillère déléguée de la cour d'appel de Nîmes a statué sur l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, que l'intéressé était en 2014 connu comme étant apatride ne suffit pas à établir qu'il aurait sollicité un tel statut. Il suit de là que l'appelant n'est pas fondé à soutenir que la mesure d'éloignement, qui mentionne, au demeurant, une telle situation d'apatride de fait en Italie en 2014, comporterait une erreur de fait, ni même qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations et dispositions citées au point précédent.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. Si M. B..., qui a fait l'objet de plusieurs condamnations pour des faits de vol aggravé et n'a pas déféré à trois mesures d'éloignement, en 2018, 2019 et 2022, justifie être père de deux enfants français, nés respectivement en 2021 et 2022, et pour lesquels il a effectué une déclaration de reconnaissance auprès d'un officier d'état civil, il n'apporte aucun élément permettant d'établir qu'il contribuerait effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. Si l'appelant invoque également la circonstance qu'à la date de l'arrêté en litige, il vivait en concubinage avec la mère de ses enfants, ressortissante française, les seuls éléments versés aux débats, en première instance, comme en appel, sont constitués d'une attestation d'hébergement, rédigée le 3 juin 2023, par cette dernière et d'une facture d'électricité datée du 6 avril 2023 et sur laquelle figure leurs deux noms, alors que le bail d'habitation est établi au seul nom de la mère de ses enfants. Enfin, il n'établit pas être isolé en Italie où vivent, selon ses propres déclarations, ses parents et sa fratrie et ne justifie d'aucune intégration particulière sur le territoire français. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B... une atteinte disproportionnée aux buts d'intérêt public en vue desquels elle a été prise.
9. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. Alors que M. B... n'établit pas contribuer à l'éducation et à l'entretien de ses enfants, ainsi qu'il a été exposé au point 8, il se borne à alléguer que leur mère ne serait pas en état de s'en occuper et ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'en prononçant à son encontre une obligation de quitter le territoire français, la préfète de Vaucluse aurait porté atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants. Par suite le moyen tiré de la violation de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
11. D'une part, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. (...) ".
12. Si M. B... soutient que la décision fixant le pays de renvoi est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que, bien que né en Italie, il n'en a pas la nationalité et est apatride, il n'établit pas, ainsi qu'il a été dit au point 6, avoir engagé des démarches pour se voir reconnaître ce statut. Par suite, en désignant le pays dont il a la nationalité ou tout pays dans lequel il est légalement admissible comme pays de renvoi de l'intéressé, la préfète de Vaucluse n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
13. D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux point 8 à 10 du présent arrêt, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 mars 2022 de la préfète de Vaucluse. Ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement et de cet arrêté, à " ce qu'il soit constaté qu'il remplit les conditions pour bénéficier du statut d'apatride " et celles qu'il a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 novembre 2024.
La rapporteure,
D. Teuly-Desportes
La présidente,
A. Geslan-DemaretLa greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23TL01924 2