La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/10/2024 | FRANCE | N°22TL22505

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 03 octobre 2024, 22TL22505


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel la préfète du Gard a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé un pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans.



Par un jugement n° 2103438 du 25 février 2022, le tribunal administratif de Nîmes a re

jeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 9 décemb...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel la préfète du Gard a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé un pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans.

Par un jugement n° 2103438 du 25 février 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2022, Mme B..., représentée par Me Ruffel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 de la préfète du Gard ;

3°) d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article 37 et de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le tribunal ne pouvait écarter son moyen tiré du défaut d'examen sans aucune motivation ;

- le jugement est entaché d'erreurs manifestes d'appréciation ;

En ce qui concerne les décisions portant refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français :

- l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen réel et complet ;

- il est porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale en violation de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il n'a pas été tenu compte de l'intérêt supérieur de son enfant en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la préfète du Gard a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle et familiale ;

- l'arrêté méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; sa situation répond à celle décrite par la circulaire du 28 novembre 2012 ;

En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour de deux ans sur le territoire français :

- la décision est entachée d'un défaut de base légale ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2023, la préfète du Gard conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 juillet 2023.

Un mémoire, présenté pour Mme B..., représentée par Me Ruffel, a été enregistré le 8 mars 2024 postérieurement à la clôture de l'instruction.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Teulière ;

- et les observations de Me Carbonnier, substituant Me Ruffel, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante arménienne née le 28 septembre 1982 à Bakou (ancienne Union des Républiques Socialistes Soviétiques), a déclaré être entrée en France le 6 novembre 2012. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 avril 2014. Cette décision a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 2 février 2015. Mme B... a alors fait l'objet d'une décision de refus de séjour et d'une obligation de quitter le territoire français par arrêté du 10 avril 2015 du préfet du Gard. A la suite du rejet par la Cour nationale du droit d'asile le 1er avril 2016 de sa demande de réexamen, elle a fait l'objet le 21 février 2017 d'un deuxième arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français. Le 17 janvier 2019, un troisième arrêté portant refus de séjour et mesure d'éloignement est édicté à son encontre. Les recours qu'elle a introduits contre ces deux arrêtés ont été rejetés par le tribunal administratif de Nîmes puis par la cour administrative d'appel de Marseille. Le 1er octobre 2020, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 27 mai 2021, la préfète du Gard a rejeté cette demande, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Mme B... relève appel du jugement du 25 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 mai 2021.

Sur la régularité du jugement :

2. Le tribunal a écarté le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressée en relevant, au point 2 du jugement attaqué, qu'il ressortait des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète du Gard, qui n'était pas tenue de mentionner l'ensemble des éléments qu'elle avait pris en compte mais seulement ceux sur lesquels elle fondait sa décision, avait procédé à un examen particulier de la situation de Mme B.... Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal n'aurait pas motivé sa réponse à ce moyen manque en fait.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les décisions de refus de titre de séjour et d'éloignement :

3. Il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut d'examen de la situation de la requérante par adoption des motifs retenus à juste titre par le tribunal au point 2 du jugement contesté.

4. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ".

5. Si Mme B... persiste en appel à se prévaloir de la durée de son séjour en France et du fait qu'elle y réside habituellement depuis près de neuf ans, il ressort des pièces du dossier qu'elle s'est irrégulièrement maintenue sur le territoire français malgré trois mesures d'éloignement prononcées à son encontre en 2015, 2017 et 2019 et les décisions judiciaires confirmant ces décisions. La circonstance que ses deux enfants nés en mars 2012 à Erevan et en avril 2014 à Nîmes, soient scolarisés sur le territoire national depuis plus de trois ans ne saurait constituer un motif exceptionnel justifiant son admission au séjour. Dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de Mme B... serait de nature à caractériser des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifiant la délivrance d'une carte de séjour temporaire. Par suite, en refusant son admission exceptionnelle au séjour sollicitée sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfète du Gard n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

6. Les énonciations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne constituent pas des lignes directrices dont les intéressés peuvent utilement se prévaloir devant le juge.

7. Mme B..., qui n'a pas présenté de demande de titre sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peut utilement soutenir que l'arrêté de refus de séjour en litige en méconnaitrait les dispositions.

8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. I1 ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

9. Si la requérante persiste à se prévaloir d'une durée de présence de près de neuf ans en France où elle vit avec ses enfants mineurs qui y sont scolarisés, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit précédemment, qu'elle s'est maintenue en situation irrégulière sur le territoire français malgré le prononcé de trois mesures d'éloignement prises à son encontre. Si le père de ses enfants de même nationalité et dont elle est séparée est, quant à lui, en situation régulière sur le territoire national depuis le mois de mai 2017, les pièces produites sur ce point sont insuffisamment circonstanciées pour établir l'intensité des liens entretenus avec eux. Si Mme B... est impliquée dans des activités de bénévolat et apprend le français, elle ne dispose d'aucune source de revenus en France où elle est hébergée par l'aide sociale. Les circonstances qu'elle bénéficie d'une promesse d'embauche et qu'elle verse aux débats quelques attestations afin de témoigner de son intégration ne sont pas suffisantes pour regarder l'arrêté attaqué comme ayant porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts poursuivis. Enfin, Mme B... n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où elle a auparavant vécu jusqu'à l'âge de 30 ans et où résident ses parents. Dans ces conditions, les décisions attaquées n'ont méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et ne sont pas davantage entachées d'erreur manifeste d'appréciation sur la situation de l'intéressée.

En ce qui concerne la décision portant interdiction temporaire de retour sur le territoire français :

10. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français pour soutenir que la décision d'interdiction de retour en litige serait dépourvue de base légale.

11. Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 9, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent, en l'absence de tout élément particulier invoqué tenant à la mesure d'interdiction de retour litigieuse, être écartés.

12. Enfin, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'erreur d'appréciation par adoption des motifs pertinents retenus par le tribunal au point 14 du jugement contesté, lesquels ne sont pas utilement contestés.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté de la préfète du Gard du 27 mai 2021. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles relatives aux frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Ruffel et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Gard.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président de chambre,

M. Teulière, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.

Le rapporteur,

T. Teulière

Le président,

D. ChabertLa greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL22505


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22505
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Thierry Teulière
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : RUFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;22tl22505 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award