Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui octroyer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2202966 du 16 juin 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.
Procédure devant la cour :
I.- Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2023, sous le n° 23TL01724, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 juin 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. D... présentée devant ce tribunal.
Il soutient qu'aucun des certificats médicaux dont s'est prévalu M. D..., qui ne décrivent pas des conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas d'absence de prise en charge médicale, ne contredisent pas valablement l'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Par un mémoire, enregistré le 28 mai 2024, M. D..., représenté par Me Tercero, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade ou, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de cet arrêt ;
3°) et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas été rendu à la suite d'une délibération collégiale ;
- la décision portant refus d'un titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une décision du 18 octobre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Toulouse a maintenu la décision du 26 avril 2022 accordant l'aide juridictionnelle totale à M. D....
II.- Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2023, sous le n° 23TL01725, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour, en application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement du 16 juin 2023.
Il soutient qu'il existe des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement contesté et le rejet des conclusions accueillies par ce jugement au motif de l'inexacte application des dispositions de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire, enregistré le 28 mai 2024, M. D..., représenté par Me Tercero, conclut aux mêmes fins en soulevant les mêmes moyens que celles et ceux figurant dans son mémoire présenté dans l'instance n° 23TL01724.
Par une décision du 18 octobre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Toulouse a maintenu la décision du 26 avril 2022 accordant l'aide juridictionnelle totale à M. D....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n° 2014-1329 du 6 novembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,
- et les observations de Me Tercero, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant bangladais né le 13 juin 1982, est entré en France le 5 avril 2015. Il s'est vu attribuer un titre de séjour en qualité d'étranger malade valable du 14 novembre 2019 au 13 novembre 2020. M. D... a demandé à nouveau l'octroi d'un tel titre de séjour le 12 mai 2021. Par un arrêté du 11 octobre 2021, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer ce titre de séjour et a fait obligation à M. D... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par la requête enregistrée sous le n° 23TL01724, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 16 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 11 octobre 2021 et lui a enjoint de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par une seconde requête enregistrée sous le n° 23TL01725, le préfet sollicite qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
2. Les requêtes n° 23TL01724 et n° 23TL01725 du préfet de la Haute-Garonne sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné du tribunal administratif :
3. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État (...) ".
4. Il appartient au juge administratif d'apprécier, au vu des pièces du dossier, si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
5. Par un avis du 16 août 2021, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner pour l'intéressé des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, son état de santé peut lui permettre de voyager sans risque vers le pays d'origine.
6. Afin de contredire l'avis rendu par l'Office quant aux conséquences de l'interruption des soins prodigués en France, l'appelant produit des certificats médicaux, notamment, de Mme A..., psychiatre à l'hôpital La Grave à Toulouse, du 25 mai 2021, qui l'a suivi en consultation médicale du 11 juin 2019 au 24 février 2021, et de M. B..., médecin au service de psychiatrie de l'hôpital Marchant à Toulouse du 1er février 2022 qui fait notamment état de son bilan clinique sur l'année 2021. Il ressort de ces pièces que le requérant souffre principalement d'un état de stress post-traumatique et d'un syndrome dépressif majeur. L'aggravation de sa pathologie en 2018 consécutive au décès de son épouse restée au Bangladesh, qui s'est manifestée par une tentative de suicide, a conduit à son hospitalisation du 7 août au 4 octobre 2018. Ces deux médecins psychiatres convergent, d'une part, sur l'origine du syndrome post-traumatique de M. D... en lien avec les événements vécus dans le pays d'origine, d'autre part, sur la nécessité d'une poursuite des soins en France, à distance du milieu pathogène au Bangladesh où il a été exposé aux événements traumatiques et, enfin, sur les conséquences préjudiciables qu'un renvoi dans ce pays aurait sur son état de santé qui, selon Mme A..., " pourrait entraîner un effondrement psychique pouvant menacer le pronostic vital par la mise en acte d'idées suicidaires " et selon M. B..., provoquerait " une réactivation massive du stress post-traumatique avec de probables conséquences d'une exceptionnelle gravité ". Ces certificats et, en particulier, celui particulièrement circonstancié de Mme A..., qui a suivi l'intéressé en consultation sur près de deux années, permettent de tenir pour établi le lien entre sa pathologie et les événements subis dans son pays d'origine. L'ensemble de ces éléments sont de nature à remettre en cause l'avis du collège de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, et M. D... doit être regardé comme établissant que le défaut de prise en charge médicale est susceptible d'entrainer pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Il est par suite fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur.
7. Il en résulte que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 11 octobre 2021.
Sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement :
8. Par le présent arrêt, il est statué au fond sur la requête d'appel dirigée contre le jugement du 16 juin 2023. Par conséquent, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues, dans cette mesure, sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
9. M. D... bénéficie de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que l'avocate de l'appelant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Tercero de la somme de 1 200 euros.
DÉCIDE:
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23TL01725 du préfet de la Haute-Garonne tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 juin 2023 prononçant l'annulation de son arrêté du 11 octobre 2021.
Article 2 : La requête du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.
Article 3 : L'État versera à Me Tercero, conseil de M. D..., sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2024.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL01724 ; 23TL01725