Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C..., épouse B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais à lui verser la somme de 230 010 euros en réparation des préjudices subis par son père, M. C..., décédé le 19 décembre 2010 des suites d'une pathologie radio-induite.
Par une ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a transmis au tribunal administratif de Nîmes, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 16 décembre 2019 au greffe du tribunal administratif de Toulouse, présentée par Mme D... C..., épouse B....
Par un jugement n° 1927176 du 16 septembre 2022, le tribunal administratif de Nîmes a condamné l'État à lui verser, en sa qualité d'ayant droit de M. C..., la somme de 57 970 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2018 et capitalisation des intérêts à compter du 20 mars 2019, déduction à faire de l'indemnité provisionnelle de 61 515 euros allouée par l'ordonnance du juge des référés de Toulouse en date du 26 avril 2021 avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2018. Ce jugement a précisé que la différence entre les sommes reçues en exécution de l'ordonnance du juge des référés de Toulouse en date du 26 avril 2021 et les sommes mises à la charge de l'État sera restituée par Mme B... veuve C... à ce dernier.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, transmise par ordonnance du même jour de la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille à la présente cour où elle a été enregistrée le 18 novembre 2022, Mme C..., épouse B..., représentée par le cabinet Teissonnière Topaloff Lafforgue Andreu et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 16 septembre 2022 en tant qu'il a limité la condamnation de l'État à la somme de 57 970 euros ;
2°) de condamner l'État à lui verser, en qualité d'ayant-droit de M. C..., la somme globale de 230 000 euros en réparation des préjudices subis par ce dernier ainsi que la somme de 10 euros au titre de ses frais de déplacement au rendez-vous d'expertise ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a droit au remboursement de ses frais personnels de déplacement pour se rendre aux opérations d'expertise ;
- l'évaluation des frais d'assistance à la victime par tierce personne pour effectuer les actes de la vie courante doit tenir compte, outre des quatre heures d'aide active quotidienne retenues par l'expert, de la nécessité d'une aide passive permanente au cours de la période de déficit fonctionnel partiel de 75 % du 11 septembre au 9 novembre 2010 ; le coût horaire pour l'assistance active par tierce personne doit être de 18 euros ; ce coût est de 13 euros pour l'assistance passive par tierce personne ;
- le nombre de jours indemnisables au titre du déficit fonctionnel temporaire total doit prendre en compte les journées d'hospitalisation figurant dans le complément de dossier médical transmis à l'expert et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires le 11 février 2019 ; de plus, le déficit fonctionnel temporaire total et partiel doit être évalué sur la base de 40 euros par jour ;
- l'indemnisation des souffrances endurées, évaluées par l'expert d'un niveau 5 sur une échelle de 7, doit être fixée à 70 000 euros ; cette indemnisation ne peut être inférieure à la proposition d'indemnisation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, soit à la somme de 28 000 euros ;
- le préjudice esthétique temporaire, évalué par l'expert à 4 sur une échelle de 7, doit être réparé par l'allocation d'une somme de 20 000 euros ;
- dès lors que la victime a vécu dans l'inquiétude permanente de l'issue fatale de son cancer, le préjudice lié à ses souffrances morales particulières doit être évalué à la somme de 70 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2023, le président du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que la condamnation de l'État soit fixée à une somme ne pouvant excéder 61 828 euros.
Il fait valoir que :
- les frais de 10 euros au titre des frais de déplacement de l'appelante aux opérations d'expertise sont justifiés et doivent être indemnisés ;
- l'assistance de M. C... par une tierce personne a été reconnue par l'expert à hauteur de 4 heures par jour du 11 septembre au 9 novembre 2010 ; sur la base d'un taux horaire de 12 euros, ce préjudice doit être indemnisé pour un montant de 2 880 euros ;
- le taux journalier de 25 euros est applicable pour déterminer le déficit fonctionnel temporaire total pour les périodes d'hospitalisation retenues par l'expertise ; ce taux journalier, proratisé à hauteur du taux d'incapacité retenu par l'expert, est applicable pour déterminer le déficit fonctionnel temporaire partiel ;
- les souffrances endurées, évaluées au niveau 5 sur une échelle de 7, doivent être évaluées à la somme de 28 000 euros correspondant à la fourchette haute de son barème ;
- le préjudice esthétique temporaire évalué au niveau 4 sur une échelle de 7, doit être évalué à la somme de 13 000 euros ;
- le préjudice lié à une pathologie évolutive doit être évalué à la somme de 9 000 euros qui correspond à la fourchette haute de son barème.
Par une ordonnance du 30 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mai 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Beltrami,
- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., affecté au centre d'expérimentations du Pacifique en qualité de mécanicien à bord du bâtiment ravitailleur d'escadre " la Seine " pendant la période allant du 15 février 1966 au 15 mars 1967, a développé un cancer de l'œsophage, diagnostiqué le 12 mars 2009, et des métastases osseuses, dont il est décédé le 19 décembre 2010, à l'âge de 66 ans. Par décision du 17 février 2012, le ministre de la défense a rejeté la demande d'indemnisation présentée par Mme C..., épouse B..., en sa qualité d'ayant-droit de son père, sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Sur injonction de la cour administrative d'appel de Bordeaux, qui a retenu, par arrêt du 20 mars 2018, l'existence d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants de M. C... et la survenance de sa maladie, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a ordonné une expertise médicale pour évaluer ses préjudices et a adressé à l'intéressée une proposition d'indemnisation le 24 octobre 2019. Estimant insuffisante cette offre indemnitaire de 61 515 euros, Mme C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner ce comité à lui verser les sommes de10 euros en réparation de ses frais de déplacement aux opérations d'expertise et de 230 000 euros en réparation des préjudices subis par son père. Elle relève appel du jugement du 16 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes, à qui le dossier a été transféré, a limité la condamnation de l'État à la somme de 57 970 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2018 et capitalisation des intérêts à compter du 20 mars 2019, déduction à faire de l'indemnité provisionnelle de 61 515 euros allouée par l'ordonnance du juge des référés de Toulouse en date du 26 avril 2021 avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2018.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les frais d'assistance de M. C... par une tierce personne :
2. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.
3. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que l'altération de l'état général de M. C..., l'évolutivité de sa maladie et des conséquences sur son autonomie ont nécessité une aide active non spécialisée de quatre heures par jour sur la période du 11 septembre au 9 novembre 2010. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la victime aurait eu besoin d'une aide passive par tierce personne. Ainsi, sur une période de 60 jours, le besoin d'assistance active de M. C... par une tierce personne s'est élevé à 240 heures. Compte tenu du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut au cours de cette période, augmenté des charges sociales, à un taux moyen horaire de 13 euros, les frais engagés pour l'assistance d'une tierce personne non spécialisée doivent être évalués à la somme totale de 3 120 euros. L'appelante n'apporte aucun élément de nature à justifier que le coût de cette assistance devrait être déterminé à un taux supérieur, estimé selon elle à 18 euros. Dès lors, elle est en droit de prétendre à une indemnité de 3 120 euros au titre du besoin d'assistance de son père décédé par tierce personne.
En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :
4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. C... a subi 61 jours d'hospitalisation ayant entraîné un déficit fonctionnel temporaire total pendant cette période. Il a par ailleurs souffert d'un déficit fonctionnel temporaire de 25 % du 12 mars au 1er avril 2009, soit pendant une période de 21 jours, de 50 % du 15 avril 2009 au 24 août 2010 en dehors des périodes de gêne temporaire totale, soit pendant une période de 477 jours, et de 75 % du 11 septembre au 9 novembre 2010, soit pendant une période de 60 jours. Sur la base d'un montant forfaitaire journalier de 25 euros, M. C... est en droit d'être indemnisé, au titre de son déficit fonctionnel temporaire total, correspondant à 100 % du forfait, pour un montant de 1 525 euros et, au titre de son déficit fonctionnel temporaire partiel, correspondant pour la première période à 25 % du forfait, pour un montant de 131 euros, correspondant pour la deuxième période à 50 % du forfait pour un montant de 5 962 euros, correspondant pour la dernière période à 75 % du forfait, pour un montant de 1 125 euros. Dès lors, l'appelante est en droit de prétendre à une indemnité de 8 743 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire subi par son père décédé.
En ce qui concerne les souffrances endurées :
5. Les souffrances physiques et morales endurées par M. C..., qui a notamment subi un cancer de l'œsophage à un stade métastatique, des hospitalisations, des interventions chirurgicales rachidiennes, un nombre conséquent de séances de radiothérapie et de chimiothérapie et des examens complémentaires, ont été évaluées à un niveau de 5 sur une échelle allant de 1 à 7 par l'expert. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de réparer ce chef de préjudice par l'octroi d'une somme de 28 000 euros.
En ce qui concerne le préjudice esthétique temporaire :
6. Eu égard aux troubles esthétiques liés aux conséquences de soins, notamment les cicatrices liées aux interventions chirurgicales et à la mise en place d'un port-à-cathéter, de la gêne à la marche allant jusqu'à l'utilisation d'un fauteuil roulant, l'expert a reconnu que M. C... a subi un préjudice esthétique temporaire pendant la durée de sa maladie, évalué à un niveau de 4 sur une échelle allant jusqu'à 7. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 16 000 euros.
En ce qui concerne le préjudice lié à une pathologie évolutive :
7. Comme l'ont à juste titre reconnu les premiers juges, M. C..., atteint d'un cancer de l'œsophage avec des métastases osseuses a vécu dans l'angoisse d'une issue fatale en raison du caractère agressif de sa tumeur et du caractère évolutif de sa maladie, qui l'a d'ailleurs emporté en moins de deux ans. Compte tenu de ces éléments mais aussi de son âge, il y a lieu de réparer le préjudice moral lié à cette pathologie évolutive en l'évaluant à 9 000 euros.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme C..., qui est en droit de prétendre à une indemnité de 64 863 euros en réparation des préjudices subis par son père décédé, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a limité la condamnation de l'État à la somme de 57 970 euros.
Sur les dépens :
9. Aux termes de l'article 12 du décret du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires : " Le comité peut faire réaliser des expertises. Lorsqu'il décide d'une expertise médicale, le médecin chargé de procéder à l'expertise est choisi, en fonction de sa compétence dans le domaine intéressé, notamment sur l'une des listes mentionnées au I de l'article 2 de la loi du 29 juin 1971 susvisée. Les frais relatifs à ces expertises sont à la charge du comité. Lorsque le comité recourt à des expertises médicales, le demandeur est convoqué quinze jours au moins avant la date de l'examen, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il est informé de l'identité et des titres des médecins chargés d'y procéder ainsi que de l'objet, de la date et du lieu de l'examen. Il peut se faire assister d'un médecin de son choix. Les frais de déplacement du demandeur sont à la charge du comité. (...) "
10. L'appelante demande le remboursement des frais qu'elle a exposés pour se déplacer aux opérations d'expertise, d'un montant de 10 euros. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État, qui ne s'y oppose d'ailleurs pas, les frais exposés par Mme C..., épouse B... pour se rendre avec son véhicule au rendez-vous d'expertise, pour un total de 10 euros.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à Mme C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE:
Article 1er : La somme au paiement de laquelle l'État a été condamné au bénéfice de Mme C... est portée à 64 863 euros au titre des préjudices subis et à 10 euros au titre de ses frais de déplacement.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 16 septembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire avec l'article 1er.
Article 3 : L'État versera à Mme C... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., épouse B..., au ministre des armées et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL22265