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25/06/2024 | FRANCE | N°23TL01821

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 25 juin 2024, 23TL01821


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Tarn Fibre a demandé au tribunal administratif de Toulouse, sous le n° 2005729, d'annuler le titre de recette n° 8145 d'un montant de 98 775 euros émis à son encontre le 16 juin 2020 par le département du Tarn, ensemble la décision du 8 septembre 2020 rejetant son recours gracieux du 24 août 2020, et de la décharger de l'obligation de payer cette somme. Sous le n° 2102907, cette même société a demandé au tribunal d'annuler le titre de recette

n° 1782 d'un montant de 98 775 euros émis à son encontre par le département du Tarn l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Tarn Fibre a demandé au tribunal administratif de Toulouse, sous le n° 2005729, d'annuler le titre de recette n° 8145 d'un montant de 98 775 euros émis à son encontre le 16 juin 2020 par le département du Tarn, ensemble la décision du 8 septembre 2020 rejetant son recours gracieux du 24 août 2020, et de la décharger de l'obligation de payer cette somme. Sous le n° 2102907, cette même société a demandé au tribunal d'annuler le titre de recette n° 1782 d'un montant de 98 775 euros émis à son encontre par le département du Tarn le 18 février 2021 et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.

Par un jugement n°s 2005729 - 2102907 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces titres de recette ainsi que la décision portant rejet du recours gracieux et rejeté les conclusions à fin de décharge présentées par la société Tarn Fibre.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2023, la société Tarn Fibre, représentée par Me Feldman, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 17 mai 2023 en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions à fin de décharge ;

2°) de la décharger de l'obligation de payer les mises à sa charge par les titres de recette n° 8145 du 16 juin 2020 et n° 1782 du 18 février 2021 ;

3°) de mettre à la charge du département du Tarn une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'elle n'avait pas procédé au raccordement des 1 317 locaux prévus au titre du troisième trimestre d'exécution de la convention alors qu'il existe une contradiction entre les stipulations de la convention et ses annexes ;

- alors que l'annexe 10.07 de la convention prévoit un volume de 1 317 locaux à raccorder lors du troisième trimestre d'exécution de la convention décompté à compter du 19 juin 2019 pour le site pilote de la commune de Burlats, ce qui fixe cette échéance au 20 décembre 2019, cette obligation est en contradiction avec le dernier alinéa de l'article 2.9.2.1 de la convention selon lequel le délégataire s'engage à rendre raccordables et à mettre en service les locaux du site pilote de la commune de Burlats dans les neuf mois suivant la date d'entrée en vigueur de la convention, soit le 19 mars 2020 ; cette contradiction entre l'annexe 10.07 et l'article 2.9.1.1 de la convention doit conduire à écarter cette annexe en vertu de la hiérarchie entre les pièces contractuelles prévue à l'article 10 de la convention ;

- elle est fondée à être exonérée des pénalités en litige en vertu de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, lequel trouve pleinement à s'appliquer ;

- elle est également fondée à être exonérée des pénalités de retard mises à sa charge en vertu de l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 ;

- c'est à tort que le tribunal a refusé de faire usage de son pouvoir de modulation des pénalités.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2024, le département du Tarn, représenté par Me Guellier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Tarn Fibre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au directeur départemental des finances publiques du Tarn en qualité d'observateur, lequel n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 2 mai 2024, prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée à la même date.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;

- les observations de Me Feldman, représentant la société Tarn Fibre, et celles de Me Guellier, représentant le département du Tarn.

Considérant ce qui suit :

1. En 2018, le département du Tarn a entrepris de se doter d'un réseau d'initiative publique en vue de desservir son territoire par une infrastructure et un réseau de communications électroniques à très haut débit, dans les conditions prévues par l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. Par une délibération du 18 mai 2018, ce département a adopté le principe du recours à une délégation de service public pour créer et exploiter ce réseau d'initiative publique. Par une convention du 30 avril 2019, prenant effet le 19 juin suivant, le département du Tarn a conclu avec la Société Française du Radiotéléphone (SFR), à laquelle s'est substituée la société Tarn Fibre, une convention de délégation de service public ayant pour objet la conception, l'établissement et l'exploitation du réseau de communications électroniques à très haut débit du Tarn. Par un courrier du 13 mai 2020, ce département a informé la société Tarn Fibre de l'existence de manquements dans le raccordement de 1317 locaux que le délégant s'est engagé à rendre raccordables au cours du troisième trimestre d'exécution de la convention, dans les conditions prévues par l'article 2.9.2.1 de la convention, justifiant l'application de pénalités à son encontre. Par un jugement du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé, pour un motif de régularité en la forme, le titre de recette n° 8145 du 16 juin 2020 d'un montant de 98 775 euros, ensemble la décision du 8 septembre 2020 rejetant le recours gracieux de la société Tarn Fibre du 24 août 2020 ainsi que le titre de recette n° 1782 du 18 février 2021 mettant à la charge de la société Tarn Fibre la somme de 98 775 euros au titre de pénalités de retard et rejeté les conclusions à fin de décharge. La société Tarn Fibre relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions à fin de décharge.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le cadre juridique applicable au litige :

2. D'une part, l'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, le juge n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler le titre : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à en relever appel en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande de décharge. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à cette demande.

3. D'autre part, les pénalités prévues par les clauses d'un contrat de la commande publique ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer à l'acheteur le non-respect, par son cocontractant, de ses obligations contractuelles. Elles sont applicables au seul motif qu'une inexécution des obligations contractuelles est constatée et alors même que la personne publique n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge de son cocontractant qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi. Lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un contrat de la commande publique, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat. Il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché ou aux recettes prévisionnelles de la concession, y inclus les subventions versées par l'autorité concédante, et compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée.

4. Il résulte de ce qui précède que lorsque le titulaire du contrat saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des contrats comparables ou aux caractéristiques particulières du contrat en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du contrat dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.

En ce qui concerne le bien-fondé de la créance en litige :

5. En premier lieu, l'article 2.5.1 de la convention de délégation de service public citée au point 1 décrit les missions du délégataire au titre de la tranche ferme en ces termes : " Le délégataire assure, au titre de la tranche ferme, ses missions de financement, de conception, de réalisation de la partie du réseau FTTH/FTTE [" fiber to the home/fiber to the enterprise " ou fibre jusqu'au domicile et à l'entreprise] correspondant aux communes listées en annexe 10.04. À ce titre, il assure la maîtrise de chacune des composantes du réseau à savoir collecte, transport, distribution et raccordement final. / Le calendrier de l'établissement des éléments du réseau dont la maîtrise d'ouvrage incombe au délégataire au titre de la tranche ferme est fixé à l'annexe 10.07 de la présente convention. / Le délégataire s'engage à rendre raccordable la totalité des locaux présents dans les communes de la tranche ferme, sous réserve de l'accord des propriétaires pour les immeubles et lotissements soumis à l'article L. 33-6 du CPCE [code des postes et des communications électroniques] (...) ". L'article 1er de la convention précitée consacré aux définitions précise que " est considéré comme raccordable tout local pour lequel le PBO [point de branchement optique] de rattachement est installé et pour lequel il existe une continuité optique entre le point de mutualisation et le point de branchement optique ". Ce même article définit la mise en service comme " l'ouverture à la commercialisation des lignes FTTH [" fiber to the home " ou fibre optique jusqu'au domicile] (...) ".

6. L'article 2.9.2.1 de la convention stipule que : " Les études de conception du réseau objet de la tranche ferme, dont la maîtrise d'ouvrage relève du délégataire, devront être achevées au plus tard au terme du 30ème mois après la date d'entrée en vigueur de la convention. / Le réseau objet de la tranche ferme dont la maîtrise d'ouvrage relève du délégataire devra être achevé (recette définitive du réseau) et mis en service au plus tard au terme du 40ème mois après la date d'entrée en vigueur de la convention (...). / La mise en service du réseau devra être progressive pour permettre une commercialisation échelonnée des différentes plaques FTTH, dans le respect de la réglementation en vigueur, en prenant en compte les délais nécessaires à l'approbation des études de conception (APS et APD) et des travaux par le délégant. / À cet effet, le délégataire s'engage à respecter le calendrier figurant en annexe 10.7. Tout retard par rapport aux échéances prévues dans ce calendrier pourra donner lieu à l'application des pénalités prévues à l'article 8.2 de la présente convention. / Par ailleurs, le délégataire s'engage à déployer prioritairement un site pilote sur la commune de Burlats, dont les locaux (...) devront être rendus raccordables et mis en service dans les neuf mois (9) suivant la date d'entrée en vigueur de la présente convention (...) ".

7. Aux termes de la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) n° 2010-1312 en date du 14 décembre 2010 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones très denses, la mise à disposition des informations relatives à la zone arrière d'un point de mutualisation et à la partition d'une maille géographique pertinente en zones arrière du point de mutualisation doit être effectuée, dans des conditions raisonnables et non discriminatoires, pour les opérateurs tiers figurant sur la liste établie par l'ARCEP, ou pour les collectivités territoriales concernées en cas de demande. La mise à disposition doit être effectuée dans le respect d'un délai de prévenance qui ne saurait être inférieur à trois mois avant la mise en service commerciale du point de mutualisation, c'est-à-dire la date à partir de laquelle le raccordement effectif d'un client final à ce point de mutualisation est possible.

8. Pour se conformer à cette décision, l'article 1er de la convention stipule que " conformément à la réglementation et à la décision de l'ARCEP n° 2010-1312, le délégataire ne peut commencer la mise en service commerciale des boucles locales optiques qu'après un gel de trois mois (...) ". Afin de tenir compte de ces exigences, l'annexe 10.07 de la convention instaure systématiquement un délai incompressible de trois mois entre la date des opérations de recette de chaque zone arrière du point de mutualisation aux termes desquelles les locaux composant cette zone sont considérés comme raccordables à la fibre et la date de mise en service des lignes, entendue comme leur commercialisation.

9. L'annexe 10.07 de la convention assigne au délégataire l'objectif de rendre raccordables les locaux identifiés au sein de chaque sous-répartiteur optique, désignés dans la colonne " nombre de locaux raccordables identifiés " suivant des échéances correspondant à la colonne " prononcé de la recette des travaux ". En particulier, le calendrier de déploiement figurant dans cette annexe 10.07 prévoit, à l'onglet " couverture SRO [sous-répartiteur optique] par jalon d'étape validée ", les différentes échéances liées au déploiement des éléments du réseau, en particulier les phases d'avant-projet sommaire, d'avant-projet définitif d'activation, d'avant-projet définitif, de prononcé de la recette des travaux, de validation du dossier des ouvrages exécutés et de mise en service finale, l'ensemble de ces échéances étant exprimé en mois à compter du trimestre 0 (T0) correspondant à l'entrée en vigueur de la convention fixée au 19 juin 2019. L'onglet intitulé " jalon recette travaux validée par ZAPM [zone arrière du point de mutualisation] " précise l'échéance à laquelle les ouvrages liés aux sous-répartiteurs optiques doivent avoir été recettés de manière à rendre raccordables 100 % des locaux de la zone arrière du point de mutualisation concernée, l'échéance étant également exprimée en mois à compter du trimestre 0 correspondant à l'entrée en vigueur de la convention. L'article 5.1.5 de la convention impose au délégataire de procéder à la recette des ouvrages du réseau établis sous sa maîtrise d'ouvrage et subordonne l'ouverture à la commercialisation de chaque partie de réseau à la levée des réserves émises lors des opérations de recette des ouvrages. Ainsi que le soutient à bon droit le département du Tarn, la date du prononcé de la recette des ouvrages du réseau permet de constater l'achèvement du réseau et détermine, dès lors, le caractère raccordable des locaux au sens de la définition donnée à l'article 1er de la convention, ce qui marque le point de départ des pénalités en litige.

10. Sur ce point, l'article 8.2 de la convention stipule que : " Des pénalités seront dues du fait de la constatation par le délégant du manquement du délégataire aux objectifs fixés dans la convention de délégation. (...). / Les pénalités encourues par le délégataire figurent en annexe 10.24. ". Selon l'annexe 10.24 de la convention, des pénalités de retard peuvent être infligées au délégataire en cas de retard dans l'établissement d'une partie du réseau sous sa maîtrise d'ouvrage dans le cadre du volet concessif. Selon cette même annexe, ces pénalités peuvent aller jusqu'à 25 euros par mois de retard et par ligne raccordable concernée en cas d'écart supérieur à 20 % entre le volume trimestriel de locaux raccordables recettés attendu tel que précisé en annexe 10.07 de la convention et le nombre de locaux raccordables réellement recettés à chaque fin de mois.

11. D'une part, il résulte de l'instruction que les sous-répartiteurs optiques référencés " SRO_81_016_121 ", " SRO_81_023_120 " et " SRO_81_23_123 ", au titre desquels ont été infligées les pénalités en litige et qui comptent respectivement 522, 432 et 363 locaux éligibles à la fibre, soit un total de 1 317 locaux, devaient être rendus raccordables au cours du troisième trimestre d'exécution de la convention, soit avant le 19 décembre 2019. Or, sur cette période, aucune recette des travaux liés aux trois sous-répartiteurs optiques en litige n'est intervenue de sorte que la société appelante doit être regardée comme n'ayant pas achevé les travaux de raccordement qui lui incombaient. Par suite, c'est à bon droit que le département du Tarn a infligé à la société Tarn Fibre des pénalités forfaitaires de 25 euros par mois de retard et par local raccordable concerné, soit 98 775 euros au titre du troisième trimestre d'exécution de la convention.

12. D'autre part, il est constant qu'en vertu de l'article 2.9.2.1 de la convention, le délégataire s'est engagé à déployer prioritairement le réseau de fibre sur un site pilote, la commune de Burlats, dont les 1 317 locaux devaient être rendus raccordables et mis en service dans les neuf mois suivant la date d'entrée en vigueur de la convention fixée au 19 juin 2019, soit au plus tard le 18 mars 2020. Il est également constant qu'en vertu de l'annexe 10.07 de la convention, la recette des travaux afférents aux trois sous-répartiteurs optiques présents sur le territoire de cette commune, référencés " SRO_81_016_121 ", " SRO_81_023_120 " et " SRO_81_23_123 ", qui correspondent respectivement à 522 locaux, 432 locaux et 363 locaux raccordables identifiés soit un total de 1317 locaux, aurait dû intervenir au sixième mois à compter de la date d'entrée en vigueur de la convention, soit au plus tard le 18 décembre 2019. Toutefois, dès lors que, par principe, la date de la recette des travaux liés aux sous-répartiteurs optiques précède nécessairement celle de leur mise en service et que la réglementation définie par l'ARCEP en matière d'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones très denses impose à l'opérateur une période de gel de trois mois avant la mise en service commerciale des points de mutualisation afin d'assurer l'information de l'ensemble des opérateurs tiers, l'échéance du 18 mars 2020 fixée par l'article 2.9.2.1 de la convention doit s'entendre comme correspondant à la date de mise en service finale des trois sous-répartiteurs optiques en litige non comme correspondant à la date des opérations de recette afférentes. S'il est constant que la société Tarn Fibre disposait d'un délai de neuf mois expirant le 19 mars 2020 pour mettre en service les sous-répartiteurs optiques composant la zone arrière du point de mutualisation du site pilote de Burlats, elle était tenue de se conformer à une période de gel de trois mois à compter des opérations de recette lesquelles devaient, dès lors, nécessairement avoir lieu au plus tard trois mois avant le 18 mars 2020, soit le 18 décembre 2019. Par suite, contrairement à ce que soutient la société Tarn Fibre qui se prévaut de l'ordre de priorité entre les documents contractuels institué à l'article 10 de la convention alors que, en sa qualité d'opérateur de réseaux averti, elle ne saurait ignorer l'existence d'un délai incompressible de trois mois avant toute mise en service d'un réseau de fibre optique, il n'existe aucune contradiction entre les stipulations de l'article 2.9.2.1 de la convention et celles de l'annexe 10.07 commandant d'écarter l'application des annexes 10.07 et 10.24.

13. Il s'évince de de ce qui précède que le département du Tarn était fondé à sanctionner, par l'application de pénalités de retard, les carences de la société appelante à respecter ses objectifs pour rendre raccordables les locaux composant la zone arrière du point de mutualisation en litige.

14. En second lieu, en application de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, le Gouvernement a été autorisé, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances, dans un délai de trois à compter de la publication de ladite loi, " toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) / 1° " Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure : (...) / f) Adaptant les règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet (...) ".

15. D'une part, en application de ces dispositions, le Gouvernement a, par une ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, prise au visa du code de la commande publique, édicté diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19. Aux termes de son article 1er, cette ordonnance est applicable " aux contrats soumis au code de la commande publique ainsi qu'aux contrats publics qui n'en relèvent pas, en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'au 23 juillet 2020 inclus. / Elles ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l'exécution de ces contrats, de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation ". L'article 6 de cette même ordonnance dispose que : " En cas de difficultés d'exécution du contrat, les dispositions suivantes s'appliquent, nonobstant toute stipulation contraire, à l'exception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat : / 1° Lorsque le titulaire ne peut pas respecter le délai d'exécution d'une ou plusieurs obligations du contrat ou que cette exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive, ce délai est prolongé d'une durée au moins équivalente à celle mentionnée à l'article 1er, sur la demande du titulaire avant l'expiration du délai contractuel ; / 2° Lorsque le titulaire est dans l'impossibilité d'exécuter tout ou partie d'un bon de commande ou d'un contrat, notamment lorsqu'il démontre qu'il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive : / a) Le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif ; (...) ".

16. D'autre part, par une autre ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, le Gouvernement a édicté des dispositions " applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée " selon son article 1er. L'article 4 de cette ordonnance dispose que : " Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er. / Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme. / Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er ".

17. Toutefois, dès lors que le II de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, qui n'a pas été prise au visa du code de la commande publique, précise que les dispositions de cette ordonnance " ne sont pas applicables : (...) / 5° Aux délais et mesures ayant fait l'objet d'autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci. (...) " et que les pénalités de retard en matière de contrats publics ont fait l'objet d'adaptations particulières à travers les dispositions précitées de l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19, la société Tarn Fibre ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 citées au point 16.

18. S'agissant des mesures d'adaptation instaurées par l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19, seules dispositions opérantes dans le présent litige, il résulte de l'instruction que les échéances assignées à la société Tarn Fibre pour atteindre ses objectifs de rendre raccordables à la fibre les 1 317 locaux composant la zone arrière du point de mutualisation en litige expiraient toutes entre le 18 décembre 2019 et le 18 mars 2020, soit, pour une large part, avant la proclamation de l'état d'urgence sanitaire. Par ailleurs, la société Tarn Fibre ne justifie pas, ainsi que le lui imposait le 1° de l'article 6 de cette ordonnance, avoir adressé une demande à l'autorité délégante, avant l'expiration des délais contractuels dont elle disposait, pour en obtenir la prolongation, le courrier du 14 avril 2020 par lequel cette dernière fait état des restrictions imposées par la crise sanitaire de nature à caractériser l'existence d'un cas de force majeure ne pouvant en tenir lieu. En outre, invitée par un courrier du département du Tarn du 17 avril 2020 à formaliser une demande de prolongation de ses délais contractuels en invoquant le bénéfice de ces dispositions et en produisant tout justificatif adapté quant à ses difficultés et aux missions qu'elle est en mesure d'assurer dans le cadre de son plan de continuité d'activité, la société appelante ne s'est pas exécutée.

19. Enfin, en tout état de cause, la société Tarn Fibre ne produit aucun élément précis et circonstancié de nature à établir ni qu'elle n'a pas été en mesure de respecter ses objectifs de rendre raccordables à la fibre les 1 317 locaux composant la zone arrière du point de mutualisation en litige ni qu'elle n'a pas disposé des moyens suffisants pour y procéder ni que cette exécution en temps et en heure nécessitait des moyens dont la mobilisation faisait peser sur elle une charge manifestement excessive, les dispositions précitées de l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ne présentant aucun caractère d'automaticité.

En ce qui concerne la modulation des pénalités en litige :

20. D'une part, les pénalités en litige n'excèdent pas le plafond de pénalités de 16,5 millions d'euros prévu à l'article 8.2 de la convention au titre des retards dans la construction du réseau. D'autre part, en se bornant à demander à la cour d'exercer son pouvoir de modulation des pénalités en litige, la société Tarn Fibre ne produit aucun élément circonstancié, relatif notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, pourtant nécessaires à l'appréciation du caractère manifestement excessif du montant des pénalités mises à sa charge. Dans ces conditions, le montant des pénalités qui découle des stipulations contractuelles, fixé à 98 775 euros, qui, de plus, ne représente en l'espèce que 0,015 % du montant des recettes prévisionnelles de la société Tarn Fibre, ne peut, en tout état de cause, être regardé comme manifestement excessif au vu du volume de locaux qui n'ont pas été rendus raccordables dans les délais contractuellement prescrits. Par suite, la société Tarn Fibre n'est pas fondée à obtenir la modulation des pénalités en litige.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société Tarn Fibre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions à fin de décharge.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Tarn, qui n'est pas la partie perdante dans le cadre de la présente instance, la somme demandée par la société Tarn Fibre au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Tarn Fibre une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département du Tarn et non compris dans les dépens.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête de la société Tarn Fibre est rejetée.

Article 2 : La société Tarn Fibre versera au département du Tarn une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Tarn Fibre et au département du Tarn.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au préfet du Tarn en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23TL01821


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