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30/01/2024 | FRANCE | N°22TL21164

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 30 janvier 2024, 22TL21164


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

Le département des Pyrénées-Orientales a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 23 septembre 2020 par laquelle le maire de Perpignan a décidé d'affecter l'immeuble situé au 78 boulevard Jean Bourrat, sur la parcelle cadastrée section AS n° 557, à l'usage de la police municipale et de la police nationale et de le classer dans le domaine public communal.

Par un jugement n° 2004704 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Montpellier a annulé

la décision du 23 septembre 2020 précitée.



Procédure devant la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département des Pyrénées-Orientales a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 23 septembre 2020 par laquelle le maire de Perpignan a décidé d'affecter l'immeuble situé au 78 boulevard Jean Bourrat, sur la parcelle cadastrée section AS n° 557, à l'usage de la police municipale et de la police nationale et de le classer dans le domaine public communal.

Par un jugement n° 2004704 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 23 septembre 2020 précitée.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mai 2022, la commune de Perpignan, représentée par Me Joubes, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 mars 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de rejeter la demande du département des Pyrénées-Orientales ;

3°) de mettre à la charge du département des Pyrénées-Orientales la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La commune de Perpignan soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le département des Pyrénées-Orientales ne pouvait être regardé comme ayant eu la qualité d'acquéreur évincé et ne pouvait, dans ces conditions, demander l'application de l'article L 213-11-1 du code de l'urbanisme ;

- à supposer que soit admise la qualité d'acquéreur évincé du département, il ne démontre ni en quoi la décision d'affectation au domaine public communal lui ferait grief, ni qu'elle serait entachée d'illégalité ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, elle n'a pas méconnu la chose jugée à la date du 30 octobre 2019 à laquelle elle a passé un marché de travaux ;

- en ce qui concerne la question de l'autorité de la chose jugée, elle ne peut lui être opposée dès lors qu'à la date de la vente de l'ancien mobilier de l'hôtel, soit le 3 octobre 2019, aucune décision de justice n'était intervenue ; par ailleurs, les ordonnances de référé n'ont pas l'autorité de la chose jugée, et, dès lors, en procédant à la passation d'un marché de travaux le 30 octobre 2019, il ne peut lui être reproché d'avoir méconnu l'autorité de la chose jugée ;

- la décision de préemption n'a été annulée que pour des motifs de forme, et non sur le fond, l'acquisition de cet immeuble dans le but d'y installer un commissariat ayant été effectuée dans un but d'intérêt général, tenant à la volonté d'installer un poste de police ;

- l'annulation d'une décision prise en matière de préemption constitue un acte détachable du contrat, sans effet sur le contrat lui-même.

Par un mémoire en défense du 28 juillet 2022, le département des Pyrénées-Orientales, représenté par Me Rouquet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Perpignan la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir qui lui a été opposée par la commune ; en effet, toute personne qui a l'intention d'acquérir un bien préempté a nécessairement intérêt pour agir contre la décision d'affecter ce bien au service public, en particulier si la décision de préemption a été annulée ; de plus sa qualité d'acquéreur a été confirmée par une décision de justice ayant acquis l'autorité absolue de la chose jugée ;

- en l'espèce, c'est postérieurement à l'annulation de la décision de préemption du bien que la commune a affecté l'immeuble en cause au service public en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée et par une décision qui est entachée de détournement de pouvoir.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

-et les observations de Me Hilaire substituant Me Joubes pour la commune de Perpignan.

Considérant ce qui suit :

1. Le département des Pyrénées-Orientales a décidé l'acquisition de l'ancien hôtel-restaurant à l'enseigne " La Cigale ", situé sur la parcelle cadastrée AS 557, d'une superficie de 556 m², sis 78 boulevard Jean Bourrat à Perpignan, propriété de la société civile immobilière Marci, pour un prix d'acquisition fixé à 420 000 euros, en vue de la création d'un centre d'accueil de mineurs isolés. La déclaration d'intention d'aliéner a été notifiée le 6 juin 2019 par le notaire de la société civile immobilière Marci à la commune de Perpignan, laquelle, par l'intermédiaire de son maire, a entendu exercer au nom de la commune, par un arrêté du 23 août 2019, son droit de préemption. Le transfert de propriété est intervenu le 13 septembre 2019. Cet arrêté du 23 août 2019 a été annulé par un jugement n° 1905241 du 31 décembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier, qui a enjoint à la commune de proposer, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, le bien préempté en priorité à la société civile immobilière Marci, et en cas de renonciation de cette dernière, de proposer l'acquisition du bien au département des Pyrénées-Orientales en se conformant aux prescriptions de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 20MA00581 du 19 avril 2021 devenu définitif. Par une décision du 23 septembre 2020, le maire de Perpignan a décidé d'affecter l'immeuble " La Cigale " à l'usage de la police municipale et de la police nationale et de le classer dans le domaine public communal.

2. La commune de Perpignan relève appel du jugement n° 2004704 du 17 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 23 septembre 2020 précitée.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la fin de non-recevoir opposée en première instance :

3. Le jugement précité du 31 décembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier, saisi par le département, est devenu définitif. Par voie de conséquence la décision en litige, par laquelle le maire de la commune de Perpignan classe dans le domaine public l'immeuble en cause, est de nature à faire obstacle à ce que le département des Pyrénées-Orientales, qui justifie d'une lettre d'intention d'achat de bien immobilier cosignée de la SCI Marci et qui possède donc la qualité d'acquéreur irrégulièrement évincé, puisse, sans un déclassement préalable, en faire, s'il le souhaite, l'acquisition pour l'affecter à la mission d'intérêt général de protection et d'accueil des mineurs dans le cadre des missions qu'il poursuit au titre de l'aide sociale à l'enfance. La commune de Perpignan n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté sa fin de non-recevoir opposée aux conclusions présentées par le département des Pyrénées-Orientales, tendant à l'annulation de la décision du 23 septembre 2020.

En ce qui concerne l'autorité de la chose jugée :

4. Aux termes, d'une part, de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme : " Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l'acquisition du bien en priorité... Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l'article L. 213-2 ".

5. D'autre part, l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques définit le domaine public d'une personne publique comme les biens lui appartenant " qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ". Et l'article L. 2111-3 du même code dispose que : " S'il n'en est disposé autrement par la loi, tout acte de classement ou d'incorporation d'un bien dans le domaine public n'a d'autre effet que de constater l'appartenance de ce bien au domaine public. (...) ".

6. Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, par un jugement du 31 décembre 2019, devenu définitif, le tribunal administratif de Montpellier, a annulé l'arrêté du 23 août 2019 par lequel le maire de Perpignan a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur l'immeuble " La Cigale " et a enjoint à la commune de Perpignan de proposer, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, le bien en priorité à la société civile immobilière Marci, et en cas de renonciation de cette dernière, de proposer l'acquisition du bien au département des Pyrénées-Orientales en se conformant aux prescriptions de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.

7. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, que l'annulation d'une décision prise en matière de préemption ne peut être suivie que d'une proposition d'acquisition du bien préempté à tort, à l'ancien propriétaire ou aux candidats à l'acquisition. Dans ces conditions, alors qu'au demeurant la décision litigieuse est également entachée d'un détournement de pouvoir, la commune de Perpignan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé cette décision, au motif qu'elle contrevenait à la chose jugée, sans qu'y fassent obstacle la circonstance, inopérante, selon laquelle il pourrait ultérieurement être revenu sur le classement du bien concerné dans le domaine public communal et son affectation au service de police municipale et, à terme, nationale, et celles, également inopérantes, selon lesquelles lorsque la commune a, respectivement, les 3 et 30 octobre 2019, décidé la vente de l'ancien mobilier de la " Cigale " et décidé la passation d'un marché de travaux, l'autorité de la chose jugée ne pouvait lui être opposée.

En ce qui concerne les autres moyens de la requête d'appel :

8. En premier lieu, contrairement à ce que soutient l'appelante, et alors qu'en tout état de cause cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision en litige du 23 septembre 2020, l'arrêté de préemption du maire de Perpignan du 23 août 2019 n'a pas été annulé pour des motifs de forme, mais de fond, tenant à ce que la commune n'avait pas justifié, à la date de la décision attaquée, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme. Si la commune fait valoir que ce projet serait justifié, l'annulation de l'arrêté de préemption du maire de Perpignan est devenue définitive, ainsi qu'il a été exposé précédemment.

9. En deuxième lieu, compte tenu de la portée de l'autorité de la chose jugée, se trouve sans incidence la circonstance invoquée par la commune selon laquelle le transfert de propriété, le 13 septembre 2019, au profit de la commune, du bien préempté, est intervenu avant l'intervention du jugement du 31 décembre 2019 qui a annulé l'arrêté de préemption.

10. En troisième lieu, au regard, ainsi qu'il est indiqué au point 7 du présent arrêt, de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'annulation de l'arrêté de préemption du 23 août 2019, les circonstances invoquées par la commune selon lesquelles la création d'un poste de police municipale dans l'immeuble préempté répondrait à l'intérêt général, alors qu'au contraire le département serait à même de trouver un autre lieu d'accueil pour les mineurs isolés, sont également inopérantes. Est de même inopérante la circonstance selon laquelle l'immeuble " La Cigale ", aurait fait l'objet d'une utilisation effective par les services de la police municipale deux mois après l'intervention de la décision du 23 septembre 2020.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Perpignan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 23 septembre 2020 par laquelle le maire de la commune de Perpignan a décidé d'affecter l'immeuble situé au 78, boulevard Jean Bourrat, sur la parcelle cadastrée section AS n° 557, à l'usage de la police municipale et de la police nationale et de le classer dans le domaine public communal.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des Pyrénées-Orientales, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Perpignan demande sur le fondement de ces dispositions. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Perpignan au bénéfice du département des Pyrénées-Orientales la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Perpignan est rejetée.

Article 2 : La commune de Perpignan versera la somme de 1 500 euros au département des Pyrénées-Orientales sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Perpignan et au département des Pyrénées-Orientales.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024

Le rapporteur

P. Bentolila

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22TL21164 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21164
Date de la décision : 30/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Pierre BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : D4 AVOCATS ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-30;22tl21164 ?
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