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21/11/2023 | FRANCE | N°22TL00605

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 21 novembre 2023, 22TL00605


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le syndicat mixte du bassin versant du Réart à lui verser la somme de 224 583,66 euros hors taxes en réparation des préjudices qui lui auraient été causés par des inondations survenues entre 2014 et 2020.

Par un jugement n° 1901586 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée au greffe de la

cour administrative d'appel de Marseille, le 18 février 2022, puis le 1er mars 2022 devant la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le syndicat mixte du bassin versant du Réart à lui verser la somme de 224 583,66 euros hors taxes en réparation des préjudices qui lui auraient été causés par des inondations survenues entre 2014 et 2020.

Par un jugement n° 1901586 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, le 18 février 2022, puis le 1er mars 2022 devant la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire en réplique du 29 septembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme D..., représentée par Me Bonnet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2021 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de condamner le syndicat mixte du bassin versant du Réart à lui verser la somme de 224 583,66 euros hors taxes en réparation des préjudices subis ;

3°) d'enjoindre au syndicat de réaliser les mesures d'urgence préconisées par l'expert judiciaire, dans un délai de trois mois à compter du jugement à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) d'enjoindre au syndicat de réaliser les travaux de réfection des berges et de curage du lit du cours d'eau, dans les délais prescrits par l'expert et conformément à ses préconisations ;

5°) de mettre à la charge du syndicat la somme de 4 500 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les frais d'expertise d'un montant de 11 214,33 euros hors taxes.

Elle soutient que :

- en ce qui concerne en premier lieu la responsabilité pour faute, le tribunal a considéré à tort que les inondations de sa propriété avaient pour cause des remontées d'eau et non un débordement du Réart ; c'est à tort que le syndicat considère que le classement de sa propriété en zone rouge du plan de prévention des risques naturels et prévisibles lui permettrait de s'exonérer de sa responsabilité pour faute alors que le plan de prévention prévoit que le syndicat est tenu d'assurer l'entretien des digues et des cours d'eau, ce qu'il n'a pas fait, avec pour conséquence la fixation de sédiments qui ont créé un bouchon végétal empêchant l'évacuation des eaux lors de crues ;

- le tribunal a considéré à tort que la situation de sa propriété en zone rouge dans le plan de prévention constituait une cause exonératoire de la responsabilité du syndicat dès lors que les évènements à l'origine des dommages, qui se sont produits entre 2014 et 2020, sont postérieurs à l'achat de la propriété en 2003 et qu'en tout état de cause les dommages qu'elle a subis sont liés à l'absence de curage du Réart par le syndicat ;

- en ce qui concerne en second lieu, la responsabilité sans faute, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le syndicat est propriétaire des berges du Réart, qui constitue un ouvrage public ;

- en ce qui concerne les préjudices subis, ils s'établissent, ainsi que l'indique le rapport d'expertise, à hauteur, pour le préjudice moral, de 30 000 euros hors taxes, de 156 887,10 euros hors taxes au titre de la perte de valeur vénale et de 35 037,25 euros hors taxes au titre du préjudice de jouissance et des pertes d'exploitation, soit une somme totale de 221 924 euros hors taxes ; à cette somme doit s'ajouter, à hauteur de 1 300 euros, les frais relatifs au rapport d'expertise privée qu'elle a fait réaliser, ainsi que les frais d'huissier d'un montant de 1 359,31 euros ; le préjudice total qu'elle subit s'élève donc à la somme de 224 583, 66 euros hors taxes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2023, le syndicat mixte du bassin versant du Réart, représenté par Me Garidou, demande à la cour, à titre principal, de rejeter la requête de Mme D..., à ce que les dépens et les frais de l'expertise judiciaire soient mis à sa charge ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, à ce que les sommes réclamées en indemnisation de ses préjudices par Mme D... soient ramenées à de plus justes proportions, à ce que les frais

d'expertise soient partagés à part égale et au rejet des conclusions de Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables dès lors que la demande indemnitaire préalable n'était pas chiffrée, ainsi que la requête introductive d'instance présentée devant le tribunal administratif, le chiffrage n'étant pas intervenu devant le tribunal dans le délai du recours contentieux ;

- la demande de première instance est également irrecevable dès lors que l'article

L. 562-8-1 du code de l'environnement institue un régime spécial de responsabilité concernant les contentieux relatifs aux inondations et à la gestion des eaux ; faute pour la requérante de s'être placée dans le cadre de ces dispositions, ses conclusions indemnitaires sont irrecevables ;

- à titre subsidiaire, les moyens présentés par Mme D... ne sont pas fondés ; en effet, le lien de causalité n'est pas établi dès lors que les dommages subis ne proviennent pas du nouveau tracé du Réart ou de ses aménagements mais de la configuration des parcelles de Mme D... et du classement en zone inondable rouge et bleue par le plan de prévention des risques naturels et prévisibles de la commune ;

- aucune faute de sa part dans la mise en œuvre de ses missions n'est démontrée ;

- la responsabilité sans faute ne s'applique pas en l'espèce dès lors que le Réart ne constitue pas un ouvrage public et que les préjudices subis ne revêtent pas un caractère anormal et spécial ;

- de plus, les préjudices subis ne sont pas d'une gravité suffisante pour ouvrir droit à réparation et ne sont pas suffisamment précisés ; ainsi, le préjudice moral n'est pas détaillé et ne repose sur aucune donnée permettant d'en apprécier le bien-fondé et l'intensité ; en outre l'appelante n'apporte pas la preuve que les travaux ont été exécutés et ont réellement coûté le prix réclamé.

Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 octobre

2023.

Vu les autres pièces du dossier ; Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- les observations de Me Bonnet, représentant Mme E... et celles de Me Paré représentant le syndicat mixte du bassin versant du Réart ;

-

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a acheté, le 19 décembre 2003, le " Mas de Las Puntes ", propriété de 3,7 hectares comportant notamment une maison d'habitation sur le territoire de la commune de Saint-Nazaire (Pyrénées-Orientales), puis a fait l'acquisition, le 28 octobre 2014, du reste de la propriété, soit 50 hectares supplémentaires, qu'elle exploitait en qualité d'agricultrice, se trouvant en partie sur le territoire de la commune de Canet-en-Roussillon. Cette propriété longe le " Réart ", un affluent de l'étang de Canet-Saint-Nazaire. Subissant des inondations sur certaines de ses parcelles, Mme D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'indemnisation des préjudices subis et à ce qu'il soit enjoint au syndicat mixte du bassin versant du Réart la réalisation de travaux, dont certains en urgence, de réfection des berges et de curage du lit du Réart de nature à remédier aux désordres subis.

2. Par une ordonnance n° 1901432 du 28 août 2019, confirmée par une ordonnance du 29 octobre 2019 de la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a ordonné une expertise et le rapport de l'expert a été déposé le 10 septembre 2020.

3. Mme D... relève appel du jugement du 20 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis du fait des inondations et à la réalisation par le syndicat mixte du bassin versant du Réart de travaux de réfection des berges et de curage du lit du Réart.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées aux conclusions indemnitaires :

4. En premier lieu, en vertu de l'article L. 562-8-1 du code de l'environnement : " Les ouvrages construits en vue de prévenir les inondations et les submersions doivent satisfaire à des règles aptes à en assurer l'efficacité et la sûreté. Pour éviter les atteintes que pourraient leur porter des travaux réalisés à proximité, ces ouvrages bénéficient des dispositions prévues à l'article L. 554-1 au profit des réseaux souterrains, aériens ou subaquatiques de transport ou de distribution, dans les conditions fixées aux articles L. 554-2 à L. 554-5. La responsabilité d'un gestionnaire d'ouvrages ne peut être engagée à raison des dommages que ces ouvrages n'ont pas permis de prévenir dès lors que les obligations légales et réglementaires applicables à leur conception, leur exploitation et leur entretien ont été respectées (...) ". Dès lors qu'en l'espèce la responsabilité pour faute du syndicat mixte du bassin versant du Réart est recherchée pour absence de curage du Réart, les dispositions précitées ne peuvent être opposées à Mme D....

5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que si la requête introductive d'instance présentée le 1er avril 2019 devant le tribunal administratif de Montpellier n'était pas chiffrée, cette absence de chiffrage des préjudices, qui était soumise à demande de régularisation par la juridiction de première instance, a été régularisée par un mémoire du 23 avril 2021 de Mme D.... Par suite et dès lors que la fin de non-recevoir tirée de l'absence de chiffrage n'a été opposée en première instance que par un mémoire du 12 mai 2021, la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance tirée de son défaut de chiffrage doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

6. Aux termes de l'article L. 211-7 du code de l'environnement : " I. -Les collectivités territoriales et leurs groupements, tels qu'ils sont définis au deuxième alinéa de l'article

L. 5111-1 du code général des collectivités territoriales, ainsi que les établissements publics territoriaux de bassin prévus à l'article L. 213-12 du présent code peuvent, sous réserve de la compétence attribuée aux communes par le I bis du présent article, mettre en œuvre les articles

L. 151-36 à L. 151-40 du code rural et de la pêche maritime pour entreprendre l'étude, l'exécution et l'exploitation de tous travaux, actions, ouvrages ou installations présentant un caractère d'intérêt général ou d'urgence, dans le cadre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux, s'il existe, et visant : ... 2° L'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau (...) I bis.- Les communes sont compétentes en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. Cette compétence comprend les missions définies aux 1°, 2°, 5° et 8° du I. A cet effet, elles peuvent recourir à la procédure prévue au même I ". Selon l'article L.213-12 du même code : " (...) V. - Les établissements publics territoriaux de bassin et les établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau constitués conformément au présent article ainsi que les syndicats mixtes mentionnés au VII bis exercent, par transfert ou par délégation opéré dans les conditions prévues à l'article L. 5211-61 du code général des collectivités territoriales et conformément à leurs objectifs respectifs, l'ensemble des missions relevant de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, définie au I bis de l'article

L. 211-7 du présent code, ou certaines d'entre elles, en totalité ou partiellement, sur tout ou partie du territoire de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre concerné (...) ". Les statuts du syndicat mixte du bassin versant du Réart, qui est un établissement public territorial de bassin, prévoient à leur article 5, que le " syndicat exerce les missions suivantes : (...) l'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, ...y compris les accès à ce cours d'eau (...) ".

7. Le syndicat mixte du bassin versant du Réart avait donc statutairement pour mission l'entretien des cours d'eau, notamment celui du Réart, qui longe la propriété de Mme D.... Si ce syndicat soutient que le contrat de bassin signé avec l'État, l'agence de l'eau, la région Occitanie et les collectivités territoriales concernées aurait pris le parti de permettre aux eaux de retrouver leur champ d'expansion, pour permettre une fluidité au niveau de l'étang de Canet- Saint-Nazaire en évitant les apports des sédiments, et non de recourir à la pratique du curage des cours d'eau, ce contrat de bassin n'est pas opposable à Mme D..., laquelle est au contraire en droit d'opposer au syndicat les dispositions législatives précitées du code de l'environnement et l'article 5 des statuts du syndicat. Par suite et eu égard, par ailleurs, à ce qu'il est constant que le Réart n'a pas été curé, l'existence d'une faute du syndicat intimé est établie.

8. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que, contrairement à ce que soutient le syndicat en défense et à ce qu'ont estimé les premiers juges, c'est l'absence d'entretien de la partie aval, et notamment de celle qui longe la propriété de l'appelante, du Réart, surchargée de sédiments et envahie de cannes de Provence, qui est à l'origine des désordres survenus sur les parcelles de l'appelante en novembre 2014, en octobre et novembre 2018, en octobre 2019, et en janvier 2020.

En ce qui concerne les causes exonératoires de responsabilité :

9. En premier lieu, si, à la suite des inondations de novembre 2014, un arrêté ministériel du 20 février 2015 a reconnu le caractère de calamités agricoles aux dommages subis par les

1.

agriculteurs des Pyrénées-Orientales, notamment dans les communes de Canet-en-Roussillon et Saint-Nazaire, cette seule circonstance n'a pas pour effet de qualifier de force majeure les inondations constatées dès lors que ce phénomène climatique ne revêtait pas un caractère imprévisible, de telles inondations étant déjà survenues dans les années précédentes.

10. En deuxième lieu, si l'appelante a acquis sa propriété en zone inondable, elle ne peut être regardée comme fautive, dès lors, d'une part, que les désordres qu'elle a subis sont postérieurs à l'acquisition de cette propriété et n'ont été causés que par le manque d'entretien du lit du Réart par le syndicat et, d'autre part, que le classement en zone inondable n'est pas de nature en lui-même à signifier que les parcelles en cause ne pouvaient faire l'objet d'une exploitation agricole.

11. En troisième et dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les inondations subies par Mme D... sur certaines de ses parcelles auraient pour cause ou seraient aggravées par le fait que les terrains seraient fragilisés du fait du pacage de ses animaux sur ces parcelles.

S'agissant des préjudices indemnisables :

12. Le préjudice pour être indemnisable doit présenter un caractère direct et certain, et non pas éventuel.

13. En premier lieu, le préjudice de perte de valeur vénale, chiffré à 156 887,10 euros hors taxes par l'appelante, concerne tout d'abord la perte de valeur vénale de son habitation et d'autres bâtiments dont il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient subi des inondations en raison de la faute précitée. Si par ailleurs, l'experte dans son rapport procède à une évaluation de la valeur vénale des parcelles ayant subi les inondations, et estime la perte de valeur vénale dans l'hypothèse où ces parcelles ne seraient plus exploitables, il résulte de l'instruction que si ces parcelles sont sujettes à inondation, elles n'ont pas perdu pour autant leur caractère exploitable, quant à l'usage qui en fait par Mme E... tenant au pacage des animaux. Dans ces conditions, les conclusions présentées par l'appelante sur ce point doivent être rejetées.

14. En deuxième lieu, concernant les pertes d'exploitation, si Mme D... invoque les pertes en pâturage, qu'elle aurait subies, à hauteur de 7 200 euros hors taxes, elle ne justifie ni de l'achat de fourrage ni du fait que les moutons de son exploitation ne pourraient pas paître sur d'autres parcelles que celles inondées.

15. En troisième lieu, si Mme D... fait valoir les pertes de primes MAEC (mesures agroenvironnementales et climatiques) qu'elle aurait subies et qu'elle chiffre à 1 403 euros, et si elle produit une décision du 2 novembre 2017 lui accordant cette aide, aucun document n'est produit pour établir la réalité de cette perte ni, en tout de cause, le fait qu'elle aurait été causée par les inondations.

16. En ce qui concerne, en quatrième lieu, le préjudice matériel subi, il y a lieu de condamner le syndicat mixte du bassin versant du Réart à indemniser Mme D... des sommes correspondant à des travaux de remise en l'état de ses parcelles à la suite d'inondations, soit deux factures de débroussaillage, de montants respectifs de 702 euros toutes taxes comprises et de 450 euros toutes taxes comprises, d'une facture d'achat de matériel pour la pose de clôtures à hauteur de la somme de 3 473,42 euros toutes taxes comprises, soit un total de 4 625,42 euros toutes taxes comprises. En revanche, les conclusions présentées par Mme

1.

D..., toujours au titre du préjudice matériel, pour le paiement de sommes qui ne sont assorties que de devis, ne peuvent être que rejetées.

17. En quatrième lieu, Mme D... est fondée à demander la condamnation du syndicat mixte du bassin versant du Réart à l'indemniser, à hauteur de la somme totale de 1 270 euros, du coût de différents constats d'huissier qu'elle a fait établir les 7 mai 2015, 17 octobre 2018 et 17 juillet 2020 pour faire constater l'état du lit du Réart et des berges à proximité de sa propriété.

18. En cinquième et dernier lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral dont se prévaut l'appelante, causé par l'importance et la fréquence des inondations qu'elle subit, en l'évaluant à la somme de 2 000 euros.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

19. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

20. En l'espèce, bien que la responsabilité pour abstention fautive d'entretien du nouveau Réart du syndicat soit retenue, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 10 septembre 2020 que le coût des travaux de curage du lit de ce cours d'eau apparaît manifestement disproportionné par rapport au préjudice subi par Mme D..., dès lors que le coût de tels travaux, sur un linéaire seulement de 1 200 mètres, se situe, selon l'expert, dans une fourchette comprise entre 782 000 euros et 3 600 000 euros hors taxes. En revanche, compte tenu de ce qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le coût de travaux de réfection des digues, sur un linéaire d'environ de 950 mètres, se situe dans une fourchette comprise entre 630 000 euros et 956 000 euros hors taxes, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sans assortir cette injonction d'une astreinte, d'enjoindre au syndicat mixte du bassin versant du Réart de procéder, dans le délai de douze mois à compter de la notification du présent arrêt, à la réfection des digues au droit des parcelles de Mme D... ayant fait l'objet d'inondations.

Sur les frais d'expertise :

21. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

22. Eu égard à ce qui a été dit précédemment, il y a lieu de mettre les frais d'expertise ordonnés par le président du tribunal administratif de Montpellier le 16 septembre 2020, d'un montant de 13 457,20 euros toutes taxes comprises, à la charge du syndicat mixte du bassin versant du Réart.

23. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est seulement fondée, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande, d'autre part, à demander la condamnation du syndicat mixte du bassin versant du Réart à lui verser la somme totale de 7 895, 42 euros toutes taxes comprises et à ce qu'il soit enjoint à ce syndicat mixte de procéder, dans le délai de douze mois à compter de la notification du présent arrêt, à la réfection des digues au droit des parcelles de Mme D... ayant fait l'objet d'inondations et, enfin, à ce que les frais d'expertise soient mis à la charge définitive du syndicat mixte.

Sur les frais liés au litige :

24. Il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par le syndicat mixte du bassin versant du Réart, partie perdante au présent litige, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1901586 du tribunal administratif de Montpellier du 20 décembre 2021 est annulé.

Article 2 : Le syndicat mixte du bassin versant du Réart est condamné à verser à Mme D... la somme de 7 895,42 euros toutes taxes comprises.

Article 3 : Il est enjoint au syndicat mixte du bassin versant du Réart de réaliser, dans un délai de douze mois à compter de la notification du présent arrêt, des travaux de réfection des digues au droit des parcelles de Mme D... ayant fait l'objet d'inondations.

Article 4 : Les frais et honoraires de l'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du président du tribunal administratif de Montpellier du 16 septembre 2020 à la somme de 13 457,20 euros toutes taxes comprises sont mis à la charge définitive du syndicat mixte du bassin versant du Réart.

Article 5 : Le syndicat mixte du bassin versant du Réart versera à Mme D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au syndicat mixte du bassin versant du Réart.

Copie en sera adressée pour information à l'experte, Mme A... B....

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2023

Le président-assesseur,

P. Bentolila

Le président-rapporteur,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL00605
Date de la décision : 21/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-02-03 Travaux publics. - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. - Régime de la responsabilité. - Qualité de tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Pierre BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : BONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-21;22tl00605 ?
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