La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/10/2023 | FRANCE | N°23TL00729

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 17 octobre 2023, 23TL00729


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé son transfert aux autorités italiennes et l'arrêté du même jour par lequel il l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 2300568 du 7 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 27 janvier 2023 et a enjoint à ce dernier de réexaminer la si

tuation de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé son transfert aux autorités italiennes et l'arrêté du même jour par lequel il l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 2300568 du 7 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 27 janvier 2023 et a enjoint à ce dernier de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de la munir, dans l'attente, d'une attestation de demande d'asile.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 28 mars 2023 sous le n° 23TL00729, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 février 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de rejeter les demandes de Mme A....

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, l'arrêté préfectoral du 27 janvier 2023 par lequel il a été décidé du transfert de Mme A... aux autorités italiennes n'est pas entaché d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- en effet, il a été remis à Mme A..., le 4 novembre 2022, à l'occasion de son entretien individuel, le guide du demandeur d'asile, les brochures A et B " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne " et " Je suis sous procédure Dublin " constituant la brochure commune prévue au 3 de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que la brochure " les empreintes digitales et Eurodac ", documents tous rédigés en langue française et à l'issue de son entretien, l'intéressée a signé le compte-rendu d'entretien et a déclaré sur l'honneur avoir compris la procédure engagée à son encontre ainsi que l'exactitude des renseignements délivrés et la remise de l'information sur les règlements communautaires ;

- si le premier juge a considéré que la durée de l'entretien, de l'ordre de vingt minutes, n'avait pas permis que les documents en cause, représentant au total quatre-vingt pages, lui soient lus en français dans leur totalité, les informations devant être données en vertu de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ne concernent que la remise de la brochure commune (brochures A et B) composée d'environ une vingtaine de pages ; de plus, l'article 4 du règlement ne prévoit pas de traduction des brochures ni de durée minimale pour la durée de l'entretien .

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2023, Mme A... conclut à ce que lui soit accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, à titre principal, à ce qu'un non-lieu à statuer soit prononcé dès lors qu'elle n'a pas fait l'objet d'un transfert vers l'Italie dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement du tribunal administratif, à ce que la requête du préfet soit déclarée irrecevable faute d'être signée par le préfet de la Haute-Garonne, à titre subsidiaire, au rejet au fond de la requête du préfet, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État la somme de 2000 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

II. Par une requête, enregistrée le 28 mars 2023 sous le n° 23TL00730, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 7 février 2023 précité.

Il soutient que les conditions d'octroi du sursis à exécution de ce jugement sont remplies dès lors qu'il justifie dans sa requête au fond, de moyens sérieux d'annulation du jugement et à l'appui du rejet des conclusions en annulation et en injonction présentées par Mme A....

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2023, Mme A... conclut à ce que lui soit accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, à titre principal, à ce qu'un non-lieu à statuer soit prononcé dès lors qu'elle n'a pas fait l'objet d'un transfert vers l'Italie, dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement du tribunal administratif, à ce que la requête du préfet soit déclarée irrecevable faute d'être signée par le préfet de la Haute-Garonne, à titre subsidiaire, au rejet au fond de la requête du préfet, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par une ordonnance du 1er septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée dans les deux requêtes n° 23TL00729 et n° 23TL00730, au 26 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante malienne née le 5 novembre 1994, a déclaré être entrée sur le territoire français le 28 octobre 2022. Le 31 octobre suivant, elle s'est présentée à la préfecture de la Haute-Garonne pour y déposer une demande d'asile. À cette occasion, le relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'elle avait fait l'objet d'un contrôle de police en Italie le 22 septembre 2022. Par deux arrêtés du 27 janvier 2023, le préfet de la Haute-Garonne a prononcé le transfert aux autorités italiennes de Mme A... et l'a assignée à résidence. Mme A... a demandé l'annulation de ces deux arrêtés devant le tribunal administratif de Toulouse.

2. Par les présentes requêtes, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 7 février 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés du 27 janvier 2023 et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme A... et de la munir dans l'attente d'une attestation de demande d'asile, et demande le sursis à exécution de ce jugement.

3. Les requêtes précitées n°23TL00729 et n°23TL00730 concernent la situation de Mme A.... Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions de Mme A... tendant à être admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :

4 .Compte tenu de la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme A... le 26 mai 2023 et eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

En ce qui concerne l'arrêté de transfert :

5. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

6. L'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 04/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

7. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de la Haute-Garonne pour procéder à l'exécution du transfert de Mme A... vers l'Italie a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Toulouse. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification au préfet, le 7 mars 2023, du jugement du 7 février 2023 rendu par ce dernier. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que ce délai aurait été prolongé, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt et la France est devenue responsable de la demande d'asile de Mme A.... Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à l'annulation du jugement du 7 février 2023, en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2023, décidant le transfert de Mme A... aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et lui a enjoint de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :

8. Par arrêté du 18 octobre 2022, publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à M. E..., chef du bureau de l'asile, à l'effet de signer notamment " (...) les requêtes d'appel, relatives aux contentieux de toutes décisions prises en matière de droit des étrangers, devant les juridictions administratives et judiciaires ". Le moyen tiré de ce que la requête du préfet de la Haute-Garonne serait signée d'une autorité incompétente doit dès lors être écarté.

9. Pour annuler l'arrêté du 27 janvier 2023 portant assignation à résidence, le magistrat désigné s'est fondé sur l'annulation de l'arrêté prononçant le transfert de Mme A... aux autorités italiennes. L'arrêté portant assignation à résidence de Mme A... ayant reçu exécution, cet arrêté n'est pas privé d'objet du fait du non-lieu à statuer prononcé sur les conclusions tendant à son annulation de l'arrêté de transfert dont il convient donc d'apprécier la légalité par la voie de l'exception.

10. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 / (...) / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement ".

11. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle il décide la réadmission de l'intéressé dans l'État membre responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

12. Il ressort des pièces du dossier que les services préfectoraux ont remis à l'intimée, le 4 novembre 2022, à l'occasion de son entretien individuel, le guide du demandeur d'asile, les brochures A et B " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne " et " Je suis sous procédure Dublin " constituant la brochure commune prévue au 3 de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que la brochure " les empreintes digitales et Eurodac " et que ces documents étaient tous rédigés en langue française, langue que l'intéressée comprend. De plus, la page de garde du guide et les brochures précitées sont revêtues de la signature de cette dernière et mentionnent qu'elles ont été lues en intégralité par un agent préfectoral et traduites par un interprète. Mme A... a donc bénéficié de la communication orale, en français, des informations contenues dans les brochures prévues par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. À cet égard, la circonstance invoquée par l'intéressée et selon laquelle l'entretien n'aurait duré qu'une dizaine de minutes, n'est, à la supposer établie, pas de nature à faire considérer qu'elle aurait été privée des garanties prévues par l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, pas plus que le fait qu'il ait été indiqué à tort que Mme A... avait bénéficié de l'assistance d'un interprète.

13. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a considéré que l'arrêté de transfert dont Mme A... avait invoqué l'illégalité par voie d'exception à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté d'assignation à résidence était entaché d'illégalité pour ce motif.

14. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse à l'encontre de l'assignation à résidence par voie d'exception d'illégalité de l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile .

S'agissant des autres moyens présentés par Mme A... :

15. En premier lieu, par un arrêté du 19 octobre 2022, n° 31-2022-10-18-00001, publié le même jour au recueil administratif spécial, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à Mme D... C..., directrice des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer l'ensemble des décisions relatives à la police des étrangers, ce qui inclut notamment les arrêtés de transfert de demandeurs d'asile aux autorités étrangères et les mesures d'assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.

16. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Et aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

17. L'arrêté de transfert en litige vise, notamment, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, la convention de Genève du 28 juillet 1951 modifiée par le protocole de New-York du 31 janvier 1967, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne que Mme A... déclarant être entrée irrégulièrement sur le territoire français le 28 octobre 2022, s'est présentée à la préfecture de la Haute-Garonne le 4 novembre 2022 pour y présenter une demande d'asile. Il précise également que, lors de l'enregistrement de son dossier, le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé le fait qu'elle avait l'objet d'un contrôle de police en Italie le 22 septembre 2022, pays dont les autorités ont été saisies, le 21 novembre 2022, d'une demande de prise en charge de l'intéressée et, le 26 janvier 2023, d'un constat d'accord implicite en date du 22 janvier 2023 sur le fondement de l'article 22-7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il précise en outre que lors de l'entretien individuel du 4 novembre 2022, Mme A... n'a présenté aucune observation particulière. Ces éléments permettent à l'intéressée de comprendre les motifs sur lesquels s'est fondé le préfet de la Haute-Garonne pour déterminer que l'Italie était responsable de l'examen de sa demande d'asile et prendre la décision de transfert. Par suite, cet arrêté, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.

18. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

19. Si Mme A... fait valoir que l'arrêté de transfert aux autorités italiennes méconnaît l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le moyen invoqué n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier la portée alors qu'au demeurant ainsi qu'il est indiqué au point 7 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien individuel qu'elle a eu en préfecture n'aurait pas été mené dans une langue qu'elle comprend, dès lors que Mme A... n'a pas sollicité l'assistance d'un interprète, n'a pas indiqué ne pas comprendre le français et qu'elle a apposé sa signature sur le " résumé de l'entretien individuel " du 4 novembre 2022, lequel mentionne qu'elle " déclare comprendre parfaitement le français mais ne sait pas le lire ".

20. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III (...), l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". D'autre part, aux termes de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'État responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'État considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. "

21. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les États membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat membre autre que la France, que cet État a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et dans les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet État doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

22. Si Mme A... fait valoir qu'il existerait des défaillances systémiques dans l'accueil des demandeurs d'asile en Italie, ses allégations et les éléments qu'elle produit à leur appui ne suffisent pas à caractériser l'existence, dans ce pays, de telles défaillances.

23. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". En outre, aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre État qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. Une attestation de demande d'asile est délivrée au demandeur selon les modalités prévues à l'article L. 521-7. Elle mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'État responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet État. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre État ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre et que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en œuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Cette faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

24. En l'espèce, il ressort des termes de l'arrêté du 27 janvier 2023 que le préfet de la Haute-Garonne a examiné la situation de Mme A... au regard des dispositions précitées et a estimé qu'il n'y avait pas lieu de faire application de ces dispositions dérogatoires dès lors, notamment, qu'il n'était établi que l'intéressée, qui ne peut se prévaut de l'existence d'aucune vie privée et familiale en France, ne fait pas état du fait qu'elle souffrirait d'une pathologie d'une particulière gravité et que l'exécution de son transfert emporterait une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé. En conséquence, le moyen selon lequel le préfet se serait estimé lié par la circonstance que la demande d'asile de Mme A... relevait de la compétence des autorités italiennes selon les critères du règlement (UE) n° 604/2013 et aurait écarté sans l'examiner la possibilité de lui faire bénéficier des dispositions de cet article 17 doit être écarté. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A..., en dépit de sa qualité de femme isolée, serait dans un état de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Par suite les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 17, 17.1 et 17.2 du règlement (UE) n° 604/2013 et de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés

S'agissant des autres moyens invoqués par Mme A... :

25. En premier lieu, l'arrêté attaqué, qui comporte les considérations de droit qui en constituent le fondement, précise notamment que l'intéressée bénéficie d'une domiciliation postale à Castres et fait l'objet d'une décision de transfert aux autorités italiennes dont l'exécution demeurait, à la date à laquelle elle avait été prise, une perspective raisonnable, eu égard à l'accord implicite des autorités italiennes du 22 janvier 2023, valable six mois. Par suite, cet arrêté est suffisamment motivé.

26. En deuxième lieu, l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " (...) En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée (...) ".

27. L'accord des autorités italiennes du 22 janvier 2023 étant valide pour une période de six mois, l'autorité préfectorale a pu légalement considérer que l'exécution de la mesure d'éloignement demeurait une perspective raisonnable et que Mme A... pouvait faire l'objet d'une assignation à résidence. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant assignation à résidence serait entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.

28. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel il a assigné à résidence Mme A....

Sur la requête n° 23TL00730 :

29. Dès lors qu'il est statué au fond par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du jugement du 7 février 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

30. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions au bénéfice de Mme A...

DÉCIDE :

Article 1er : Mme A... est admise au titre de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du préfet de la Haute-Garonne tendant à l'annulation du jugement du 7 février 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé le transfert de Mme A... aux autorités italiennes.

Article 3 : Le jugement n° 2300568 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse du 7 février 2023 est annulé en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2023 assignant à résidence Mme A... et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : La demande présentée par Mme B... A... devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a assignée à résidence est rejetée.

Article 5 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 23TL00730 présentée par le préfet de la Haute-Garonne.

Article 6 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... , au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Bachelet. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.

Le rapporteur,

P. Bentolila

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 23TL00729 et 23TL00730

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00729
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Pierre BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : BACHELET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-10-17;23tl00729 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award