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17/10/2023 | FRANCE | N°21TL23381

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 17 octobre 2023, 21TL23381


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée Philippe Descat a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'arrêter le montant du décompte de résiliation d'un marché passé par la commune de Saint-Céré à la somme à parfaire de 20 729,87 euros, d'autre part, de condamner la commune de Saint-Céré à lui verser la somme de 20 729,87 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires au taux de 8 % à compter du 4 juillet 2019 et majorée de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouv

rement à hauteur de 40 euros et, enfin de condamner cette commune à lui verser les in...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée Philippe Descat a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'arrêter le montant du décompte de résiliation d'un marché passé par la commune de Saint-Céré à la somme à parfaire de 20 729,87 euros, d'autre part, de condamner la commune de Saint-Céré à lui verser la somme de 20 729,87 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires au taux de 8 % à compter du 4 juillet 2019 et majorée de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement à hauteur de 40 euros et, enfin de condamner cette commune à lui verser les intérêts moratoires sur la somme de 7 973,13 euros hors taxes au taux de 8 % entre les 4 juillet et 2 octobre 2019, majorée de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement à hauteur de 40 euros.

Par un jugement n° 1906098 du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Toulouse a arrêté le décompte de résiliation du marché à la somme déjà versée de 7 973,13 euros hors taxes, a condamné la commune de Saint-Céré à verser à la société Philippe Descat, d'une part, les intérêts à compter du 17 juillet 2019 sur la somme de 7 973,13 euros hors taxes au taux prévu par les dispositions du I de l'article 8 du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commandes publique et, d'autre part, la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 août 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire en réplique, enregistré le 9 mai 2022, la société Philippe Descat, représentée par Me Palmier, demande :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 30 juin 2021 ;

2°) d'arrêter le montant du décompte de résiliation du marché à la somme de 28 703 euros hors taxes ;

3°) de condamner la commune de Saint-Céré à lui verser la somme de 20 729,87 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires au taux de 8 % à compter du 17 juillet 2019 et majorée de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 40 euros ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Céré la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les deux motifs d'intérêt général dont se prévaut la commune de Saint-Céré pour justifier la résiliation du marché ne sont pas fondés ;

- s'agissant du premier de ces motifs, soit le motif financier, les services de l'État n'ont pas recommandé à la commune de Saint-Céré d'exclure tout recours à l'emprunt pour financer ses projets d'investissement mais d'y recourir raisonnablement en privilégiant les investissements bénéficiant de subventions, ce qui correspondait au projet concerné ;

- s'agissant du second motif d'intérêt général, tiré de ce que la conduite du projet se trouvait compromise en l'absence d'attribution du lot n° 2, la commune ne justifie ni avoir tout mis en œuvre pour permettre l'attribution de ce lot, ni être tenue par des délais impératifs l'empêchant de lancer une troisième consultation dans des conditions et des délais ne remettant pas en cause la faisabilité du projet ;

- dès lors que les motifs d'intérêt général invoqués par la commune pour justifier la résiliation du marché en litige ne sont pas constitués, elle a droit à être indemnisée de l'intégralité de son préjudice, comportant l'indemnisation du manque à gagner correspondant à la marge nette sur laquelle elle aurait pu compter si elle avait pu exécuter le marché.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 avril et 23 juin 2022, la commune de Saint-Céré, représentée par Me Sire, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Philippe Descat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la résiliation du marché est, en premier lieu, justifiée eu égard au motif d'intérêt général tiré des contraintes budgétaires ; elle n'a ainsi eu connaissance de la situation particulièrement dégradée des finances communales que postérieurement à l'attribution des lots ; compte tenu de la dégradation de sa capacité d'autofinancement, elle n'était en mesure de financer les travaux d'aménagement de la médiathèque d'un montant substantiellement supérieur à celui initialement prévu qu'en recourant à l'emprunt qu'elle ne pouvait supporter ;

- ses difficultés pour attribuer, malgré deux procédures de consultation successives, le lot n° 2 constituent également un second motif d'intérêt général de nature à justifier la résiliation du marché dès lors que l'attribution de ce lot était déterminante pour le commencement du chantier ;

- conformément à l'article 46-4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, l'indemnisation d'un quelconque manque à gagner qui correspondrait à la marge nette est exclue.

Par une ordonnance du 23 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 juin 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Monaji, représentant la société Descat.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Céré (Lot) a lancé une procédure de passation adaptée en vue de la réalisation d'une opération de travaux portant sur l'aménagement d'une médiathèque. Le marché relatif au lot n° 4 " doublages-cloisonnement-faux plafonds-peinture " a été attribué à la société Philippe Descat. Ce marché, signé et notifié le 26 février 2019, a été conclu pour un montant de 159 462,50 euros hors taxes. Par une lettre du 3 mai 2019, la commune précitée a informé l'ensemble des titulaires, y compris la société Philippe Descat, de son souhait de renoncer à l'opération d'aménagement de la médiathèque. Puis, l'assemblée délibérante de cette collectivité a décidé, par délibération du 17 mai 2019, de prononcer la résiliation pour motif d'intérêt général de la totalité des marchés conclus pour la réalisation de cette opération, sur le fondement de l'article 46.4 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux. Par une lettre en date du 14 juin 2019, la société Philippe Descat a formulé auprès de la commune de Saint-Céré une demande d'intégration de la somme de 28 703 euros hors taxes au décompte de résiliation de son marché, avec mise en demeure de lui notifier ledit décompte de résiliation. Cependant, par un avenant en date du 23 juillet 2019, la commune a confirmé la résiliation du marché du lot n° 4 pour motif d'intérêt général tout en fixant l'indemnité de résiliation à la somme de 7 973,13 euros hors taxes. Le 25 septembre 2019, la société Philippe Descat a de nouveau mis en demeure la collectivité de lui notifier le décompte de résiliation de son marché. Elle a ensuite demandé au tribunal administratif de Toulouse d'arrêter le montant de son décompte de résiliation à la somme de 20 729,87 euros hors taxes et de condamner la commune de Saint-Céré au paiement de cette somme, augmentée des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, et que la somme de 7 973,13 euros hors taxes qui lui avait déjà été versée soit assortie des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement. Elle relève appel du jugement du 30 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a arrêté le décompte de résiliation du marché à la somme déjà versée de 7 973,13 euros hors taxes, a condamné la commune de Saint-Céré à lui verser, d'une part, les intérêts à compter du 17 juillet 2019 sur la somme de 7 973,13 euros hors taxes au taux prévu par les dispositions du I de l'article 8 du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commandes publique et, d'autre part, la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le bien-fondé de la résiliation pour motif d'intérêt général :

2. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits éventuels à indemnité de son cocontractant.

3. Les difficultés financières rencontrées par une personne publique peuvent constituer un motif d'intérêt général de nature à justifier la résiliation d'un contrat administratif.

4. La commune de Saint-Céré, qui compte 3 500 habitants, a lancé au cours de l'année 2018 une procédure de passation visant à la réfection de l'église communale pour un montant de 482 490,84 euros hors taxes et a conclu en 2019 un marché relatif à la modernisation de son système de vidéo protection pour un montant de 161 132, 29 euros toutes taxes comprises. Par comparaison avec ces opérations, le marché de réaménagement de la médiathèque communale dont l'enveloppe prévisionnelle globale s'élevait, en dernier lieu, à 1 308 223 euros hors taxes, représentait un investissement substantiellement plus élevé. Par ailleurs, il résulte de la lettre conjointe du 19 juillet 2019 du préfet du Lot et de la directrice départementale des finances publiques alertant la commune quant à la dégradation de sa situation financière et faisant état de l'urgence à prendre des mesures de redressement que, même si les services déconcentrés de l'État n'excluaient pas tout recours à l'emprunt, ils préconisaient néanmoins son usage raisonné afin de financer le ou les seuls projets supportables pour les finances communales.

5. Il résulte de la délibération du 13 décembre 2017 que le marché d'aménagement de la médiathèque devait être financé à hauteur de 602 253,63 euros au moyen de subventions et à hauteur de 359 731,92 euros au moyen de l'autofinancement. Toutefois, d'une part, il résulte du plan de financement exposé par cette délibération qu'une partie des subventions, d'un montant de 346 233,45 euros n'était pas acquise mais seulement sollicitée. À cet égard, alors que, dans sa délibération du 3 novembre 2015, le conseil municipal avait approuvé le plan de financement pour la réalisation de travaux d'amélioration de la performance énergétique de la médiathèque d'un montant de 326 958 euros hors taxes, qui reposait, pour plus de la moitié, sur l'attribution de subventions du département et de la région pour un montant total de 212 522 euros, il résulte de la délibération du 13 décembre 2017 que la demande de subvention de la commune auprès de la région n'a été satisfaite qu'à hauteur de 26 700 euros pour des travaux de mise en accessibilité au lieu de 114 435 euros sollicité. D'autre part, ainsi qu'il résulte de la lettre conjointe du 19 juillet 2019 du préfet du Lot et de la directrice départementales des finances publiques, la commune de Saint-Céré n'était plus en mesure de financer de nouveaux investissements sans recourir à l'emprunt. Ainsi, le montant de l'emprunt à souscrire pour financer l'opération d'aménagement de la médiathèque s'élevait au moins à 359 731,92 euros, et potentiellement, sans l'octroi des subventions sollicitées, à 705 965,37 euros. Dès lors, en approuvant, lors de la même séance du 17 mai 2019, la résiliation du marché d'aménagement de la médiathèque et la renonciation aux travaux d'assainissement d'un montant de plus de 600 000 euros en raison des contraintes budgétaires tout en retenant la souscription d'un emprunt de 300 000 euros pour des travaux communaux, le conseil municipal de Saint-Céré a entendu accorder la priorité aux investissements présentant un caractère supportable pour les finances communales afin de ne pas obérer complètement sa capacité d'emprunt future. Enfin, pour financer les travaux de la médiathèque, la commune ne pouvait pas compter sur le reversement au budget principal communal d'un excédent de 350 000 euros du budget annexe assainissement qui, non seulement, présente un caractère exceptionnel mais est aussi soumis à des conditions cumulatives. Dans ces conditions, les contraintes budgétaires ayant conduit à l'abandon du projet d'aménagement de la médiathèque communale constituent un motif d'intérêt général de nature à justifier, à lui seul, la résiliation unilatérale du marché en litige.

En ce qui concerne les préjudices :

6. La résiliation unilatérale du contrat fondée sur un motif d'intérêt général, peut ouvrir au profit du cocontractant un droit à une indemnité compensant aussi bien les pertes subies que le manque à gagner. Toutefois, lorsque le contrat prévoit l'étendue et les modalités de cette indemnisation, les stipulations contractuelles s'imposent aux parties sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé.

7. Pour les motifs exposés aux points 2 à 5, la résiliation du marché litigieux est fondée sur un motif d'intérêt général tiré des contraintes budgétaires rencontrées par la commune. En outre, et en tout état de cause, dès lors que l'étendue et les modalités d'indemnisation en cas de résiliation pour motif d'intérêt général du marché avaient été prévues par l'article 46.4 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux, qui s'applique au marché en cause, la société appelante n'était pas en droit de prétendre, ainsi que l'ont à juste titre estimé les premiers juges aux points 7 à 10 de leur jugement, à une indemnité au titre de son manque à gagner.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Philippe Descat n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande de condamnation de la commune de Saint-Céré à lui verser la somme de 20 729,87 euros hors taxes assortie des intérêts moratoires aux taux de 8 % à compter du 17 juillet 2019.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Philippe Descat présentées sur leur fondement, la commune de Saint-Céré n'étant pas la partie perdante à l'instance.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Philippe Descat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de la société Philippe Descat est rejetée.

Article 2 : La société Philippe Descat versera à la commune de Saint-Céré une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Philippe Descat et à la commune de Saint-Céré.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet du Lot en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL23381


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL23381
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation - Motifs.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation - Droit à indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : SCP BOUYSSOU et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-10-17;21tl23381 ?
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