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17/10/2023 | FRANCE | N°21TL04845

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 17 octobre 2023, 21TL04845


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif Camping Charlemagne a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté n° 2020-01-83 du 23 janvier 2020 par lequel le préfet de l'Hérault a fixé la période d'ouverture annuelle maximale du camping " Le Charlemagne " ainsi que la décision du 25 mai 2020 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 2003273 du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant

la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2021, au greffe de la cour administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif Camping Charlemagne a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté n° 2020-01-83 du 23 janvier 2020 par lequel le préfet de l'Hérault a fixé la période d'ouverture annuelle maximale du camping " Le Charlemagne " ainsi que la décision du 25 mai 2020 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 2003273 du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis, le 1er mars 2022, au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, sous le n° 21TL04845, la société Camping Charlemagne, représentée par Me Jeanjean, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 octobre 2021 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler l'arrêté n° 2020-01-83 du 23 janvier 2020 par lequel le préfet de l'Hérault a fixé la période d'ouverture annuelle maximale du camping " Charlemagne " ainsi que la décision du 25 mai 2020 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les décisions en litige sont insuffisamment motivées ;

- elles sont entachées d'une erreur d'appréciation, inadaptées et disproportionnées dès lors, d'une part, qu'elles conduisent à fermer le camping qu'elle exploite durant cinq mois chaque année et pour une période indéterminée alors que d'autres mesures de police administrative moins contraignantes auraient pu être adoptées, d'autre part, qu'elles portent excessivement atteinte à son activité commerciale et, enfin, qu'elles ne tiennent pas compte des caractéristiques propres de ce camping et de son exposition réelle aux aléas climatiques ;

- elles portent atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie.

Par des observations, enregistrées le 26 septembre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui n'a pas produit d'observations en dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée, le 31 janvier 2023, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du tourisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Borkowski, représentant la société Camping Charlemagne.

Considérant ce qui suit :

1. La société Camping Charlemagne exploite le camping éponyme situé à Marseillan (Hérault) lequel dispose de 465 emplacements et bénéficie d'un classement en catégorie cinq étoiles. Par un arrêté du 23 janvier 2020, le préfet de l'Hérault a, dans un souci d'homogénéisation des périodes d'ouverture des campings du département situés en zone inondable en fonction du risque naturel prévisible de débordement de cours d'eau, de déferlement et de submersion marine et du délai de prévenance en cas de crise, fixé la période d'ouverture maximale de ce camping du samedi inclus qui précède le 14 mars au samedi inclus qui suit le 14 octobre chaque année. Par une décision du 25 mai 2020, le même préfet a rejeté le recours gracieux présenté par une lettre de la société exploitant ce camping du 17 mars 2020, tendant au retrait de cet arrêté. La société en nom collectif Camping Charlemagne relève appel du jugement du 19 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 23 janvier 2020 et de la décision du 25 mai 2020 précités.

2. Aux termes de l'article R. 331-8 du code du tourisme : " Les préfets peuvent, par arrêté, imposer des normes spéciales d'équipement et de fonctionnement en vue de la protection contre les dangers d'incendie et les risques naturels et technologiques majeurs (...) ". Il résulte de ces dispositions que les préfets peuvent imposer aux gestionnaires de terrains de camping sis en zones submersibles des normes de fonctionnement allant jusqu'à la fermeture périodique desdits terrains, notamment pendant les périodes traditionnelles de crue des cours d'eau à proximité desquels ils sont situés.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ".

4. D'une part, il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Par suite, la société appelante ne peut utilement se prévaloir des vices propres, en particulier de l'insuffisance de motivation, dont serait entachée la décision du 25 mai 2020 par laquelle son recours gracieux a été expressément rejeté.

5. D'autre part, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 23 janvier 2020 par adoption des motifs pertinemment retenus par le tribunal au point 3 du jugement attaqué.

6. En deuxième lieu, lorsqu'il examine, dans le cadre du contrôle de proportionnalité, la légalité d'une mesure portant atteinte aux droits fondamentaux des personnes, le juge de l'excès de pouvoir examine successivement si la mesure en cause est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport de présentation du plan de prévention des risques d'inondation de la commune de Marseillan, approuvé le 25 janvier 2012, que cette commune est exposée, en raison de son implantation au bord de la mer Méditerranée et de l'étang de Thau, au risque de submersion par tempête marine, le golfe du Lion, incluant le littoral du département de l'Hérault, ayant connu des tempêtes significatives du 6 au 8 novembre 1982, du 16 au 18 décembre 1997, les 12 et 13 novembre 1999, les 3 et 4 décembre 2003 et, enfin, le 21 février 2004, les inondations marines étant souvent concomitantes d'inondations fluviales. Au cours de l'événement climatique d'intensité anormale du 28 février au 2 mars 2018, lequel a donné lieu à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au titre des inondations et du choc mécanique lié à l'action des vagues liés à l'action de la mer (submersion et érosion marine) par un arrêté interministériel du 23 mai 2018, la commune de Marseillan a connu un épisode de submersion marine avec, selon le rapport météorologique établi dans le cadre de la procédure de reconnaissance de cet état, une vigilance orange " vagues-submersion ", une houle anormale et une hauteur de vagues ayant atteint une période de retour voisine ou supérieure à dix ans.

8. Il ressort également des pièces du dossier, en particulier de la fiche technique de définition des risques naturels ou technologiques prévisibles auxquels est exposé le camping Charlemagne, établie le 9 juin 2017, que le terrain d'assiette de cet établissement est situé sur une zone exposée à un aléa fort en matière de submersion marine. S'agissant du risque d'inondation, ce camping se situe dans un périmètre du plan de prévention des risques d'inondation incluant une zone inondable d'aléa fort en secteur à forts enjeux (secteur urbanisé).

9. Selon la société appelante, le camping qu'elle exploite est déjà soumis à des mesures de police administrative, en particulier celles contenues dans l'arrêté préfectoral n° 2019-I-1589 du 12 décembre 2019, qui fixe les normes de sécurité spécifiques applicables aux campings exploités dans le département de l'Hérault. S'il est constant que cet arrêté prévoit, notamment, des dispositifs visant à faciliter l'action des sapeurs-pompiers, des systèmes d'alarme et d'alerte ainsi que, en ce qui la concerne, des mesures particulières pour les campings soumis à un risque naturel d'inondation au rang desquelles figure la mise en place d'un cahier de prescriptions de sécurité, approuvé par le maire de la commune après avis de la sous-commission pour la sécurité des terrains de camping et de stationnement de caravanes et mis à disposition des usagers, en vue de préciser les consignes de sécurité à mettre en œuvre en matière d'information, d'alerte et d'évacuation, l'objet de cet arrêté, qui s'applique à l'ensemble des campings situés dans le département de l'Hérault quelle que soit leur zone d'implantation, est plus large et ne recouvre pas celui de l'arrêté en litige, lequel vise, en application des dispositions précitées de l'article R. 331-8 du code du tourisme, à instaurer une période de fermeture annuelle obligatoire des campings exposés à un risque d'inondation. En outre, en soutenant qu'il est légitimement permis de penser que cet arrêté du 12 décembre 2019 instaure une réglementation suffisante pour assurer la sécurité des biens et des personnes, la société appelante ne produit aucun élément précis et circonstancié de nature à établir que les décisions en litige ne seraient pas adaptées au regard de l'objectif poursuivi de protection des biens et des personnes contre le risque d'inondation alors que le camping qu'elle exploite est soumis à une période de fermeture obligatoire annuelle depuis l'année 2010.

10. D'autre part, dès lors qu'il n'est pas démontré que la seule mise en place de mesures ponctuelles de sécurité permettrait de lutter efficacement et durablement contre le risque d'inondation auquel est soumis le terrain d'assiette du camping qu'elle exploite sur certaines périodes de l'année, la société appelante ne peut utilement se prévaloir de l'arrêté n° 2020-01-873 du 4 août 2020 par lequel le préfet de l'Hérault a autorisé, à titre dérogatoire, les campings soumis à une période de fermeture administrative annuelle à ouvrir au-delà de cette période, sous la réserve du respect de mesures de sécurité spécifiques parmi lesquelles la mise en place d'un cahier de prescriptions de sécurité, la réalisation d'un exercice d'évacuation au cours de l'année 2019 ou 2020 ou encore la souscription d'un abonnement à un service météorologique tandis qu'il ressort des pièces du dossier que cette mesure a été prise, de manière exceptionnelle, dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19. En outre, la seule circonstance que la mesure de fermeture en litige s'applique à de très nombreux campings du département de l'Hérault n'est pas davantage de nature à établir qu'elle serait disproportionnée compte tenu de l'objectif d'intérêt général de protection des biens et des personnes qu'elle poursuivit.

11. Enfin, en se bornant à soutenir que les décisions en litige ne sont ni adaptées ni nécessaires dès lors, d'une part, que les épisodes dits " cévenols " ou " méditerranéens " ont le plus souvent lieu entre les mois de juin et de septembre, soit pour l'essentiel en dehors de la période annuelle de fermeture imposée et, d'autre part, que le préfet de l'Hérault n'a édicté la mesure en litige qu'au regard des tempêtes marines tandis que ces événements concernent le golfe du Lion et, partant, le littoral du département de l'Hérault dans son ensemble et que la tempête marine survenue du 28 février au 1er mars 2018, qui a conduit Météo France à émettre une " vigilance orange " n'a pas été suivie de l'inondation du camping qu'elle exploite, la société appelante ne conteste pas la circonstance que certains événements climatiques, notamment en 2002 et en 2003, ont conduit à l'évacuation préventive de plusieurs milliers de campeurs des zones littorales, à l'hélitreuillage de dizaines de personnes en urgence se trouvant dans un camping situé à Lattes, tandis que la commune de Marseillan a, ainsi qu'il a été dit, bénéficié de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle du 28 février au 2 mars 2018.

12. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, alors même que le camping Charlemagne n'a jamais, lui-même subi d'inondation et que certains épisodes climatiques sont survenus en dehors de la période de fermeture imposée par le préfet de l'Hérault, le terrain d'assiette sur lequel il est implanté l'expose clairement à des risques d'inondation justifiant, dans les circonstances de l'espèce, l'édiction d'une mesure de fermeture annuelle en vue de prévenir toute atteinte à la sécurité des biens et des personnes présentes dans ce camping. Par suite, contrairement à ce que persiste à soutenir en appel la société Camping Charlemagne, alors qu'elle était déjà soumise, avant l'édiction de l'arrêté en litige, à une période de fermeture annuelle, les décisions en litige sont pleinement adaptées, nécessaires et proportionnées au regard de la finalité qu'elles poursuivent.

13. En troisième et dernier lieu, dès lors que l'exercice de pouvoirs de police administrative est susceptible d'affecter des activités de production, de distribution ou de services, la circonstance que les mesures de police ont pour objectif la protection de l'ordre public n'exonère pas l'autorité investie de ces pouvoirs de police de l'obligation de prendre en compte également la liberté du commerce et de l'industrie et les règles de concurrence. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier la légalité de ces mesures de police administrative en recherchant si elles ont été prises compte tenu de l'ensemble de ces objectifs et de ces règles et si elles en ont fait, en les combinant, une exacte application.

14. Eu égard à la localisation du camping Charlemagne et à l'exposition de son terrain d'assiette à des risques importants d'inondation, ainsi qu'il a été dit aux points 7 à 12, alors même qu'il existerait des mesures générales de protection de la sécurité des usagers applicables au sein de l'ensemble des campings de ce département, le préfet de l'Hérault a, en instaurant une période de fermeture obligatoire de ce camping, porté atteinte que de manière proportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie et dans la stricte mesure nécessaire à la réalisation de l'objectif tenant à la protection des personnes et des biens en cas de survenance de cet aléa climatique.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Camping Charlemagne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête de la société Camping Charlemagne est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société en nom collectif Camping Charlemagne, à la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle

et numérique chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne à la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL04845


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL04845
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-04-03-01-04 Police. - Police générale. - Sécurité publique. - Police des lieux dangereux. - Terrains inondables.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Nadia EL GANI-LACLAUTRE
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : SCP SVA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-10-17;21tl04845 ?
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