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19/09/2023 | FRANCE | N°23TL00115

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 19 septembre 2023, 23TL00115


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 par lequel la préfète du Lot lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n°2206142 du 14 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision fixant le pays de renvoi issue de l'arrêté du 20 septembre 2022 et a rejeté le surplus de sa demande. r>
Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2023, la préfèt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 par lequel la préfète du Lot lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n°2206142 du 14 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision fixant le pays de renvoi issue de l'arrêté du 20 septembre 2022 et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2023, la préfète du Lot demande à la cour d'annuler ce jugement du 14 décembre 2022 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il annule la décision fixant le pays de renvoi, prise par la préfète du Lot à l'encontre de M. A... le 20 septembre 2022 et en tant qu'il met à la charge de l'État le paiement d'une somme de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif a commis une erreur de droit dans son jugement attaqué en se bornant à constater le degré de violence généralisée de la zone traversée sans rechercher le risque réel couru par M. A... ;

- il a commis une erreur de droit en ne vérifiant pas si les risques en cas de retour dans son pays d'origine peuvent être regardés comme, d'une part, personnels, et, d'autre part, être sérieux et graves ; en tout état de cause, la décision en cause ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 août 2023, M. A..., représenté par Me Bachelet, conclut à ce qu'il lui soit accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

M. A... a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 10 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Rey-Bèthbéder a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 1er janvier 1991, de nationalité malienne, a déclaré être entré sur le territoire français le 15 septembre 2020. Il a sollicité l'asile le 14 octobre 2020. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile par une décision du 29 octobre 2021. Cette décision a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 22 avril 2022. Par un arrêté du 20 septembre 2022, la préfète du Lot lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 14 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision fixant le pays de renvoi. La préfète du Lot relève appel du jugement précité en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de renvoi issue de l'arrêté du 20 septembre 2022 et qu'il a mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ". Eu égard à l'urgence qui s'attache à ce qu'il soit statué sur la requête de M. A... et dès lors qu'il n'a pas encore été définitivement statué sur la demande d'aide juridictionnelle qu'il a présentée le 10 mars 2023, il y a lieu d'admettre l'intéressé au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Et aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

4. Pour annuler la décision fixant le pays de renvoi, le jugement attaqué a retenu que la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle expose M. A... à un risque réel et grave contre sa vie du fait du trajet à travers la zone de Mopti au Mali, nécessaire afin de rejoindre sa région d'origine à Gao, zone caractérisée par une situation de violence aveugle d'une exceptionnelle intensité et qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne encourt, du seul fait de sa présence dans cette région, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne.

5. En ce qui concerne, en premier lieu, l'établissement du centre des intérêts de M. A..., il résulte de l'instruction que ce dernier est né dans la région de Gao, parle le tamasheq, langue parlée dans le nord-est du Mali et notamment dans la région de Gao, et il ne ressort pas des pièces du dossier que celui-ait pu fixer l'établissement de ses intérêts dans une autre région de ce pays. En outre, il n'existe aucun élément permettant d'infirmer sa provenance de cette région. En conséquence c'est à juste titre que le premier juge a estimé que M. A... est établi dans la région de Gao et qu'il la rejoindra en cas d'exécution de la décision fixant le pays de renvoi.

6. En second lieu et d'une part, il résulte des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que, lorsque le degré de violence aveugle caractérisant un conflit armé atteint un niveau si élevé qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir une telle menace, l'existence d'une menace grave, directe et individuelle contre la vie ou la personne du demandeur n'est pas subordonnée à la condition qu'il rapporte la preuve qu'il est visé spécifiquement en raison d'éléments propres à sa situation personnelle. Dans le cas où la région que l'intéressé a vocation à rejoindre ne connaît pas une telle violence, la circonstance qu'il ne peut s'y rendre sans nécessairement traverser une zone au sein de laquelle le degré de violence résultant de la situation de conflit armé est tel qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé se trouverait exposé, du seul fait de son passage, même temporaire, dans la zone en cause, à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne.

7. Or, il ressort des pièces du dossier, et comme l'a dit à bon droit le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, qu'il n'est pas contesté que, pour rejoindre la région de Gao, M. A... devra traverser la région de Mopti, caractérisée par une situation de violence aveugle d'une exceptionnelle intensité et qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne court, du seul fait de sa présence dans cette région, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne. Ainsi, constatant le degré de violence aveugle d'une exceptionnelle intensité de la zone à traverser, il est avéré que M. A... court un risque réel de subir des menaces, graves, directes et individuelles contre sa vie et sa personne, ainsi le moyen tiré de l'erreur de droit du jugement attaqué en se bornant à constater le degré de violence généralisée de la zone traversée sans rechercher le risque réel couru par le requérant doit être écarté.

8. Par ailleurs, l'existence d'une menace grave, directe et individuelle contre la vie ou la personne d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement n'est pas subordonnée à la condition qu'il rapporte la preuve qu'il est visé spécifiquement en raison d'éléments propres à sa situation personnelle dès lors que le degré de violence généralisée caractérisant le conflit armé atteint un niveau si élevé qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir lesdites menaces. Ainsi qu'il a été exposé aux points 5 et 6 de cet arrêt, le seul fait de traverser la zone de Mopti pour rejoindre la région de Gao fait courir à M. A... un risque de menace grave contre sa vie du fait du degré de violence aveugle d'une exceptionnelle intensité dans la zone de Mopti, sans qu'il soit nécessaire qu'il rapporte la preuve qu'il soit visé spécifiquement en raison d'éléments propres à sa situation personnelle.

9. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, comme l'a retenu à bon droit le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, la situation de violence aveugle d'une exceptionnelle intensité prévalant dans la région de Mopti et la situation de violence non contestée dans la région de Gao attestent du caractère sérieux et grave des risques encourus par M. A.... Ainsi, le moyen résultant de l'erreur de droit commise par le tribunal administratif doit être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Lot n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision fixant le pays de renvoi en date du 20 septembre 2022.

Sur les frais liés au litige de première instance :

11. Aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Il résulte de ces dispositions que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel.

12. Dès lors que M. A... n'est pas la partie perdante pour l'essentiel devant le tribunal, le premier juge a fait une exacte appréciation des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de ces dispositions.

13. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à Me Bachelet, conseil de l'intimé, d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions précitées et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : M. A... est admis à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La requête de la préfète du Lot est rejetée.

Article 3 : L'État versera à Me Bachelet, conseil de M. A..., une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions précitées et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la préfète du Lot, à M. B... A..., Me Bachelet, le conseil de celui-ci et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.

Le président-assesseur,

P. BentolilaLe président-rapporteur,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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No 23TL00115


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00115
Date de la décision : 19/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Eric REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : BACHELET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-09-19;23tl00115 ?
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