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19/09/2023 | FRANCE | N°22TL00657

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 19 septembre 2023, 22TL00657


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., veuve A..., a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme de 160 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis par son défunt mari, D... A..., du fait du cancer qu'il a développé à la suite de son exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français menés en Polynésie Française.

Par un jugeme

nt n° 2003411 du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., veuve A..., a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme de 160 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis par son défunt mari, D... A..., du fait du cancer qu'il a développé à la suite de son exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français menés en Polynésie Française.

Par un jugement n° 2003411 du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à verser à Mme A... la somme de 69 959,68 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2018 et de leur capitalisation, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, le 23 février 2022, puis devant la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire, enregistré le 9 mars 2023, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 30 décembre 2021 du tribunal administratif de Montpellier en tant, d'une part, qu'il l'a condamné à verser les sommes respectives de 5 000 euros et 2 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence et le préjudice sexuel subis par M. A... et, d'autre part, qu'il l'a condamné à verser une indemnité globale supérieure à la somme de 58 659,68 euros ;

2°) de limiter la condamnation prononcée à son encontre à la somme de 58 659,68 euros.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur matérielle dès lors qu'il mentionne une condamnation à la somme globale de 65 959,68 euros au lieu de la somme de 65 659,68 euros ;

- les premiers juges ne pouvaient, sans entacher leur décision d'erreur de droit au regard de la notion de consolidation et de l'étendue des préjudices indemnisés au titre du déficit fonctionnel temporaire, le condamner à verser les sommes de 5 000 euros et de 2 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence et le préjudice sexuel subis par M. A....

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2023, Mme A..., représentée par Me Labrunie, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ;

2°) à titre incident, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a limité l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice sexuel subis par son défunt mari aux sommes de 5 000 euros et 2 000 euros et de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser les sommes respectives de 30 000 euros et 10 000 euros en réparation de ces chefs de préjudice ;

3°) de mettre à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a reconnu le droit à l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence et le préjudice sexuel subis par son défunt mari ;

- les troubles dans les conditions d'existence constituent un chef de préjudice distinct du déficit fonctionnel temporaire visant à indemniser la perte de la qualité de vie, les troubles dans les conditions d'existence rencontrés par la victime au quotidien ainsi que la perte d'autonomie personnelle qu'elle subit dans ses activités journalières ;

- dès les premiers signes de sa pathologie, M. A... a éprouvé des difficultés dans l'accomplissement des gestes de la vie quotidienne associées à une impossibilité de se projeter dans des projets à court terme tandis qu'il ne pouvait plus, dès l'année 2015, pratiquer les activités sportives et de loisir qu'il affectionnait ;

- l'expert a retenu l'existence d'un préjudice d'agrément temporaire ;

- M. A... a également subi un préjudice sexuel temporaire avéré en lien avec les souffrances et l'incapacité résultant de sa maladie et de ses traitements.

Par une ordonnance du 14 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 9 mai 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A..., époux de Mme A..., a été affecté sur des sites d'expérimentation nucléaire en Polynésie Française du 21 mai 1971 au 29 février 1972, où son activité l'a amené à être exposé aux rayonnements ionisants. Victime d'un cancer des poumons en 2015, puis d'une tumeur cérébrale, l'intéressé est décédé le 29 juillet 2018. De son vivant, M. A... a, le 18 mai 2018, saisi le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires d'une demande d'indemnisation. Par une décision du 29 juillet 2019, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a accepté d'indemniser et diligenté une expertise médicale en vue d'évaluer les préjudices de l'intéressé en lien avec sa pathologie. Sur la base du rapport d'expertise médicale établi le 10 mars 2020, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a, par une décision du 7 juillet 2020, proposé à Mme A..., agissant en qualité d'ayant droit, une somme de 47 470 euros au titre de l'action successorale. Par un jugement du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à verser une somme de 65 959,69 euros à Mme A.... Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit à l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice sexuel subis par M. A... et qu'il l'a condamné à verser une somme 65 959,69 euros à Mme A... distincte de celle mentionnée dans ses motifs. À titre incident, Mme A... demande à la cour de réévaluer les indemnités de 5 000 euros et de 2 000 euros accordées par les premiers juges au titre de ces deux chefs de préjudices en les portant aux sommes respectives de 30 000 euros et 10 000 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, l'état de santé de la victime d'un dommage corporel doit être regardé comme consolidé à la date à laquelle l'ensemble de ses préjudices corporels résultant du fait générateur sont susceptibles d'être évalués et réparés, y compris pour l'avenir, alors même que sa situation personnelle ainsi que ses conditions et coûts exacts de prise en charge ne sont pas stabilisés à cette date.

3. D'autre part, il appartient au juge administratif de distinguer les préjudices personnels subis avant la consolidation de son état de santé, d'une part, et les préjudices subis après la date de consolidation, d'autre part. Au nombre des postes de préjudice personnel antérieurs à la consolidation figurent notamment le déficit fonctionnel temporaire et les souffrances physiques et psychiques subis par la victime jusqu'à cette date. Au nombre des postes de préjudice personnel postérieurs à la consolidation figurent, notamment, le déficit fonctionnel permanent, le préjudice esthétique résultant de l'altération de l'apparence physique et le préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer certaines activités sportives et de loisirs.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction, éclairée par le rapport d'expertise, que M. A... est décédé de sa maladie le 29 juillet 2018 sans que son état de santé soit consolidé. Eu égard au principe rappelé au point précédent, l'action en indemnisation exercée par Mme A..., venant aux droits de son conjoint décédé, ne pouvait porter que sur l'indemnisation des postes de préjudice antérieurs à la consolidation entendus comme le déficit fonctionnel temporaire et les souffrances physiques et psychiques subis par la victime jusqu'à cette date. Dès lors que les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice sexuel subis par une victime avant la consolidation de son état de santé figurent au nombre des postes de préjudice personnel antérieurs à la consolidation et que leur réparation intégrale est assurée dans le cadre de l'indemnisation du déficit temporaire fonctionnel, poste de préjudice au titre duquel les premiers juges ont alloué la somme globale de 4 672 euros à Mme A..., c'est à tort que le tribunal a condamné le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à verser à l'intimée les sommes de 5 000 euros et de 2 000 euros en réparation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice sexuel subis par son époux avant la consolidation de son état de santé. Les conclusions présentées à titre incident par Mme A... ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.

5. En second lieu, eu égard à ce qui a été dit au point précédent et compte tenu de l'erreur de plume entachant le dispositif du jugement attaqué soulevée à juste titre par l'appelant, l'indemnité à laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires est condamné doit être ramenée de 65 959,68 euros à 58 659,68 euros.

6. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser les sommes de 5 000 euros et de 2 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice sexuel subis par M. A... et à demander à ce que la condamnation prononcée à son encontre soit ramenée de 65 959,68 euros à 58 659,68 euros et, d'autre part, que l'appel incident présenté par Mme A... doit être rejeté.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui n'est pas la partie perdante dans le cadre de la présente instance, la somme demandée par Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE:

Article 1 : L'indemnité que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a été condamné à verser à Mme A... est ramenée de 65 959,68 euros à 58 659,68 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 2003411 du 30 décembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'appel incident de Mme A... et les conclusions présentées par l'intéressée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et à Mme C... A....

Copie en sera adressée pour information au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL00657


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL00657
Date de la décision : 19/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité régie par des textes spéciaux.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Nadia EL GANI-LACLAUTRE
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-09-19;22tl00657 ?
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