Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de l'arrêté du 25 octobre 2021 par lequel la préfète du Gard a refusé de faire droit à sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2103774 du 8 mars 2022, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté précité.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée au greffe de la cour le 30 mars 2022, et un mémoire en réplique enregistré le 2 juin 2022, la préfète du Gard demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 8 mars 2022 ;
2°) de rejeter la demande de Mme E....
Elle soutient que :
- les premiers juges ont, pour annuler le refus de séjour, commis une erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que Mme E... ne remplit pas les conditions cumulatives exigées par ces articles ;
- en effet, l'intéressée ne justifie pas participer à l'entretien de ses enfants, faute de disposer de ressources stables et personnelles, ne bénéficiant que d'aides financières ponctuelles allouées par le département et ne produit aucune décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de ses enfants ; elle ne justifie pas, par ailleurs, que l'auteur de la reconnaissance de paternité de son enfant contribuerait de manière effective à l'entretien et à l'éducation de celui-ci.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2022, et un mémoire du 17 juin 2022, Mme E..., représentée par Me Chabbert Masson, demande à la cour le rejet de la requête et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que le préfet n'a pas entendu relever appel du jugement en tant qu'il annule l'interdiction du territoire et que les moyens invoqués par la préfète du Gard contre les autres décisions ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 10 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 4 juillet 2022.
Par une décision du 29 novembre 2022, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Toulouse a maintenu au profit de Mme E... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par un courrier du 28 juin 2023, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de retenir l'irrecevabilité pour tardiveté des conclusions présentées au-delà du délai d'appel par la préfète du Gard dans son mémoire en réplique du 2 juin 2022, dirigées contre le jugement du 8 mars 2022 en tant qu'il annule l'interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de deux ans, faute pour ces conclusions d'avoir été présentées dans son mémoire introductif d'instance du 30 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
-l'accord franco-marocain en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante marocaine née le 25 mai 1983, déclare être entrée sur le territoire français le 13 mars 2012. Elle a épousé M. D..., ressortissant français, le 12 juin 2015. Elle a donné naissance à son premier enfant, B..., le 17 mars 2016. Mme E... a sollicité la délivrance d'un premier titre de séjour en qualité de parent d'enfant français le 20 juillet 2016, qui lui a été refusé par un arrêté du 6 février 2018 du préfet du Gard portant également obligation de quitter sans délai le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement du 5 septembre 2017 du tribunal correctionnel de Nîmes, Mme E... a été reconnue coupable des faits de " mariage contracté pour l'obtention d'un titre de séjour, d'une protection contre l'éloignement ou l'acquisition de la nationalité française ". M. D... est décédé le 21 janvier 2019. Par un jugement du 6 février 2019, le tribunal de grande instance de Nîmes a annulé la paternité de M. D... concernant l'enfant B.... M. A... C..., ressortissant français, a reconnu cet enfant le 29 avril 2019. Mme E... a eu depuis deux autres enfants, nés le 12 mars 2020 et le 13 avril 2021, également reconnus par M. A... C.... Mme E... a de nouveau sollicité, le 13 décembre 2019 la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 25 octobre 2021, la préfète du Gard a refusé de délivrer à l'intéressée un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
2. Par la présente requête, la préfète du Gard relève appel du jugement du 8 mars 2022 du tribunal administratif de Nîmes.
Sur la recevabilité des conclusions dirigées à l'encontre le jugement du 8 mars 2022 en tant qu'il annule l'arrêté du 25 octobre 2021 par lequel la préfète du Gard a prononcé à l'encontre de Mme E... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans :
3. Ainsi que le fait valoir Mme E... en défense, la préfète du Gard n'a pas, dans son mémoire introductif d'instance d'appel présenté de conclusions contre le jugement du 8 mars 2022 en tant qu'il annule la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans ni présenté de moyens à cet égard. Si, dans son mémoire en réplique du 2 juin 2022, la préfète peut être regardée comme contestant le jugement également en tant qu'il annule l'interdiction de retour sur le territoire, ainsi que les parties en ont été avisées par le courrier susvisé du 28 juin 2023, ces conclusions sont irrecevables pour être présentées au-delà du délai d'appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Selon l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. / Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ".
5. Il résulte des dispositions précitées que l'étranger qui sollicite la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au motif qu'il est parent d'un enfant français, doit justifier, outre de sa contribution effective à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, de celle de l'autre parent, de nationalité française, lorsque la filiation à l'égard de celui-ci a été établie par reconnaissance en application de l'article 316 du code civil. Le premier alinéa de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que cette condition de contribution de l'autre parent doit être regardée comme remplie dès lors qu'est rapportée la preuve de sa contribution effective ou qu'est produite une décision de justice relative à celle-ci.
6. Pour annuler l'arrêté du 25 octobre 2021 par lequel la préfète du Gard a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme E..., les premiers juges ont estimé que l'intéressée pouvait être regardée comme contribuant effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses trois enfants et que M. A... C..., de nationalité française, père de ces trois enfants, s'acquittait des dépenses alimentaires et vestimentaires de ses enfants et était présent avec eux au quotidien ainsi qu'aux rendez-vous médicaux, et en ont inféré que la décision de refus de séjour méconnaissait les dispositions précitées des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, que M. A... C... s'est borné à produire une attestation du 12 mai 2021, indiquant participer à l'entretien de ses trois enfants, sans aucunement en justifier par des éléments concrets, les attestations de tiers produites à cet égard ne pouvant être regardées comme constituant la preuve de la réalité de cette participation à cet entretien. Par ailleurs, Mme E..., si elle fait valoir qu'elle ne peut travailler faute de disposer d'un titre de séjour, et que, pour les mêmes raisons, elle est privée de prestations sociales, ne justifie pas davantage avoir consacré à l'éducation ou à l'entretien de ses enfants les aides financières qui lui sont accordées notamment par le département du Gard.
8. Dans ces conditions, la préfète du Gard est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes s'est fondé dans son jugement du 8 mars 2022, pour annuler l'arrêté du 25 octobre 2021 portant refus de séjour, sur le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par la préfète dans l'application des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... tant devant le tribunal administratif de Toulouse qu'en appel à l'encontre de l'arrêté du 25 octobre 2021.
En ce qui concerne l'ensemble des décisions attaquées :
9. La décision attaquée a été signée par M. Frédéric Loiseau, secrétaire général de la préfecture du Gard, qui disposait aux termes de l'arrêté du 8 mars 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, d'une délégation à l'effet de signer notamment tous arrêtés relevant des attributions de l'État dans le département du Gard en toutes matières, à l'exception des réquisitions prises en application du code de la défense, de la réquisition des comptables publics régie par le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, et des arrêtés de conflit. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté.
En ce qui concerne le refus de séjour :
10.En premier lieu, en vertu de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Si Mme E... fait valoir qu'elle est entrée en France le 13 mars 2012, elle n'en justifie pas. Elle est mère de trois enfants français, dont un pour la reconnaissance duquel elle a fait l'objet d'une condamnation par un jugement du 5 septembre 2017 du tribunal correctionnel de Nîmes, pour des faits de " mariage contracté en vue de l'obtention d'un titre de séjour, d'une protection contre l'éloignement ou l'acquisition de la nationalité française ", à deux mois d'emprisonnement avec sursis. En outre, elle ne justifie pas, en dépit de la relation entretenue avec M. A... C..., qui est par ailleurs marié, dont elle n'établit pas qu'elle aurait commencé avant le 29 avril 2019, date de la reconnaissance par ce dernier du premier enfant de Mme E..., de l'existence d'autres attaches en France, alors qu'elle ne conteste pas la présence au Maroc de membres de sa famille. Dans ces conditions, le refus de séjour opposé à Mme E... ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
12. En deuxième lieu, compte tenu des éléments indiqués au point précédent, le refus de séjour opposé à Mme E... ne peut être regardé comme se trouvant entaché d'une erreur d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
13. En troisième lieu, en vertu de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". En vertu de l'article 9 de la même convention : " 1. Les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. (...) ".
14. Si deux des enfants de Mme E... sont scolarisés, elle ne justifie d'aucun élément qui ferait obstacle à ce que leur scolarité se poursuive au Maroc, pays dont Mme E... a la nationalité. Dans ces conditions, le moyen invoqué sur le fondement de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté, ainsi en tout état de cause que celui invoqué sur le fondement de l'article 9 de la même convention, faute pour la décision de refus de séjour d'emporter en elle-même séparation de Mme E... et de ses enfants.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation du refus de séjour.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :
16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour.
17. En deuxième lieu, en vertu de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...)/ 6 ° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ".
18. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 11 du présent arrêt concernant le refus de séjour, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire serait entachée d'illégalité au regard des dispositions précitées et porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou serait entachée d'une erreur d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
19. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Gard est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé son arrêté du 25 octobre 2021 en tant qu'il refuse de délivrer à Mme E... un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur les frais liés à l'instance :
20. Mme E... étant dans le présent litige, pour l'essentiel, partie perdante, les dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit à ses conclusions relatives aux frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 8 mars 2022 du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu'il annule l'arrêté du 25 octobre 2021 de la préfète du Gard en tant qu'il refuse de délivrer à Mme E... un titre de séjour , lui fait obligation de quitter le territoire français sans délai et fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Article 2 : Le surplus de la requête de la préfète du Gard est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E..., à Me Chabbert Masson, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Gard.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2023.
Le rapporteur,
P. Bentolila
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22TL20883
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