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27/06/2023 | FRANCE | N°21TL00377

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 27 juin 2023, 21TL00377


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Charpentes Bois Goubie JP a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la société anonyme Face Languedoc Roussillon à lui verser la somme de 16 662 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017 en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de travaux de reprise consécutifs à l'apparition de coulures noires sur la charpente en bois du gymnase d'un collège construit sous la maîtrise d'ouvrage du département de

s Pyrénées-Orientales.

Par un jugement n° 1804902 du 3 décembre 2020, le tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Charpentes Bois Goubie JP a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la société anonyme Face Languedoc Roussillon à lui verser la somme de 16 662 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017 en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de travaux de reprise consécutifs à l'apparition de coulures noires sur la charpente en bois du gymnase d'un collège construit sous la maîtrise d'ouvrage du département des Pyrénées-Orientales.

Par un jugement n° 1804902 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la société Face Languedoc Roussillon à lui verser une somme de 16 503,39 euros toutes taxes comprises.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, le 27 janvier 2021, puis, le 11 avril 2022, devant la cour administrative d'appel de Toulouse, la société anonyme Face Languedoc Roussillon, représentée par Me Sala, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 3 décembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par la société Charpentes Bois Goubie JP tendant à ce qu'elle soit condamnée à lui verser la somme de 16 662 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017 en réparation du préjudice résultant du coût des travaux de reprise liés à l'apparition de coulures noires sur la charpente en bois du gymnase et de la salle d'évolution d'un collège construit sous la maîtrise d'ouvrage du département des Pyrénées-Orientales et, à titre subsidiaire, de limiter les travaux de reprise de la charpente en bois à la somme de 7 254 euros toutes taxes comprises et de condamner la société Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion à la garantir et à la relever de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de mettre solidairement à la charge des sociétés Charpentes Bois Goubie JP et Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucune expertise amiable ou judiciaire n'a été diligentée par la société Charpentes Bois Goubie JP de sorte que la cause exacte des dégradations observées sur les poutres en bois du gymnase n'est pas établie ;

- elle n'a commis aucune de nature à engager sa responsabilité délictuelle pour faute au sens de l'article 1240 du code civil dès lors qu'elle a procédé à la pose de bacs en acier déjà découpés aux dimensions de l'entraxe des poutres et n'a pas réalisé le meulage des bacs en acier sur le toit ;

- sa responsabilité ne saurait davantage être engagée sur le fondement du régime de la responsabilité des choses que l'on a sous sa garde prévu à l'article 1242 du code civil dès lors, d'une part, que, n'étant pas gardienne de la pluie, elle ne peut être tenue pour responsable des dégâts causés par les intempéries sur les poutres en bois, d'autre part, que ces poutres, anormalement recouvertes d'un revêtement huileux, n'ont pas été protégées par la société Charpentes Bois Goubie JP en charge de leur pose et, enfin, qu'il n'est pas établi que les bacs en acier posés par ses soins se trouvaient dans une position anormale ou en mauvais état ;

- sa responsabilité quasi-délictuelle pour manquement à l'une de ses obligations contractuelles n'est pas engagée dès lors, d'une part, qu'en application du cahier des clauses techniques du marché, elle ne devait protéger les ouvrages qu'après l'exécution des complexes d'étanchéité, lesquels ont été posés après les bacs en acier, d'autre part, que les bacs en acier n'ont, au regard de leur revêtement caractéristique, ni à être dégraissés ni à être nettoyés et, enfin, qu'il n'est pas établi que les coulures en litige résulteraient de l'érosion des bacs en acier ;

- la société Charpentes Bois Goubie JP a commis une faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité en s'abstenant de protéger les ouvrages dont elle avait la charge alors qu'elle n'ignorait pas qu'il existait un délai entre la fin de ses travaux et la fin des travaux d'étanchéité, que la société Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion lui a demandé de remettre en état les poutres et, enfin, que la norme AFNOR NF P 03-001 visée à l'article 13 du cahier des clauses techniques particulières du lot n° 3 prévoit sur ce point que l'entrepreneur doit protéger les ouvrages contre les risques de vol, de détournement et de détérioration jusqu'à la réception ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur son appel en garantie contre la société Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion, membre de l'équipe de maîtrise d'œuvre en charge de la mission ordonnancement pilotage coordination ;

- la responsabilité de cette société est engagée dès lors qu'elle était en charge du phasage des travaux et aurait dû, lors des études préparatoires de chantier, anticiper le fait que les bacs en acier ne pourraient pas protéger la charpente des intempéries entre l'intervention de la société Charpentes Bois Goubie JP, qui s'est achevée le 4 avril 2016, et le début de son intervention, prévu le 20 avril suivant, ainsi que cela résulte du compte-rendu de chantier n° 33, ce qui lui commandait de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la charpente ;

- le préjudice allégué n'est pas établi, le montant des travaux de remise en état des poutres en bois est passé, sans justification probante, de 7 254 euros à 16 662 euros toutes taxes comprises pour un nombre d'heures de travaux et un taux horaire eux-mêmes exagérés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2021, la société à responsabilité limitée Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion, représentée par Me Gadel conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Face Languedoc Roussillon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucune demande n'a été présentée à son encontre par la société Charpentes Bois Goubie JP devant le tribunal ;

- sa responsabilité n'est pas engagée ;

- les coulures constatées sur les poutres en bois proviennent bien des bacs en acier mis en œuvre par la société Face Languedoc Roussillon et sont en lien direct avec les travaux dont elle avait la charge puisqu'elles sont apparues postérieurement à son intervention sur le chantier tandis que, dans un courrier du 3 octobre 2016, cette société a reconnu que ces coulures pouvaient être la conséquence d'intempéries indépendantes de son fait et que l'eau de pluie a pu emporter la protection huileuse présente sur les bacs en acier ;

- la chronologie des faits de l'appelante est erronée : ainsi que cela résulte des comptes-rendus de chantier n°s 33 et 35, la société Charpentes Bois Goubie a achevé son intervention le 19 avril 2016 et la société appelante a débuté sa mission le lendemain ;

- les désordres en litige ne sont nullement liés à un défaut de coordination entre les corps d'état sur le chantier ;

- la société appelante a été parfaitement informée qu'il lui appartenait de veiller à ne pas endommager la charpente posée par la société Charpentes Bois Goubie JP laquelle a également largement attiré son attention sur ce point ;

- la mission ordonnancement pilotage coordination qui lui a été confiée n'impliquait aucun rôle de surveillance dans l'exécution du chantier laquelle était assurée par le groupement de maîtrise d'œuvre ;

- la société appelante n'est pas fondée à lui faire supporter sa propre responsabilité ;

- à titre surabondant, les prétentions indemnitaires de la société Charpentes Bois Goubie JP ne sauraient être accueillies en l'état dès lors qu'elle procédé elle-même et de manière évolutive au chiffrage des travaux de reprise lesquels ont été fixés à la somme de 7 253 euros toutes taxes comprises le 28 août 2016 avant de passer à la somme de 16 662 euros dans le cadre de la procédure devant le tribunal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2022, la société par actions simplifiée Charpentes Bois Goubie JP, représentée en dernier lieu par Me Patard-Piémont, administrateur judiciaire, et par Me Galinat, mandataire judiciaire, eux-mêmes représentés par Me Marc, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Face Languedoc Roussillon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il n'est pas nécessaire de diligenter une mesure d'expertise dès lors que l'origine des désordres est connue et que la société appelante a reconnu que les coulures provenaient de l'huile de protection présente sur le bac de couverture fourni et posé par ses soins ;

- la société Charpentes Bois Goubie JP est fondée à engager la responsabilité de la société appelante sur le fondement quasi-délictuel au regard de la faute commise par cette dernière et de son lien de causalité avec son préjudice et n'a, pour sa part, commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;

- la société appelante a commis une faute en s'abstenant de suivre ses recommandations pour protéger les poutres en bois entre la pose du bac acier et la mise hors d'eau de l'ouvrage au regard du risque lié aux intempéries clairement identifié et sur lequel son attention a été appelée alors qu'elle savait que le bac de couverture était perforé ;

- par un courriel du 15 avril 2016, elle a alerté la société appelante sur la nécessité de prendre toutes les précautions utiles pendant la pose de la couverture et les opérations d'étanchéité afin de garder les charpentes propres et en bon état jusqu'à la réception et lui a adressé des directives à respecter pour éviter de souiller cette structure en bois amenée à rester apparente ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à engager la responsabilité de la société appelante sur le fondement de la responsabilité du fait des choses que l'on a sous sa garde au regard de la protection huileuse apposée sur les bacs acier ;

- le préjudice est établi dès lors qu'elle rapporte la preuve que l'aspect esthétique des poutres a été endommagé et produit les feuilles de temps des salariés mobilisés pour les travaux ainsi que les factures des différentes dépenses engagées pour la location de l'outillage et du matériel de levage, pour l'achat des fournitures selon les spécifications techniques du marché ;

- le maître d'œuvre ayant exigé une reprise totale par ponçage et peinture des poutres endommagées, elle a été contrainte de reprendre ses ouvrages pendant près d'un mois, ce qui explique que le premier devis estimatif de 7 254 euros toutes taxes comprises s'est révélé insuffisant.

Par une ordonnance du 7 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 10 janvier 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- les observations de Me Massot, substituant Me Sagard, représentant la société Face Languedoc Roussillon, de Me Akel, substituant Me Marc, représentant Me Patard-Piémont et Me Galinat agissant respectivement en qualité d'administrateur et de mandataire judiciaire de la société Charpentes Bois Goubie JP.

Considérant ce qui suit :

1. En 2013, le département des Pyrénées-Orientales a entrepris de construire un nouveau collège dans la commune d'Elne doté d'un gymnase pourvu d'une charpente apparente en bois. Par un acte d'engagement du 11 décembre 2013, la maîtrise d'œuvre du projet a été confiée à un groupement conjoint comprenant, notamment, la société Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion, bureau d'études en charge de la mission ordonnancement pilotage coordination. Les travaux ayant été allotis, le maître d'ouvrage a, par un acte d'engagement du 22 juin 2015, attribué le lot n° 3 " charpente bois - Constructions à ossature bois - terrasses " à la société Charpentes Bois Goubie JP. Par un acte d'engagement du même jour, le lot n° 4 " couverture - étanchéité " a été attribué à la société Face Languedoc Roussillon. Après avoir constaté l'apparition de coulures noires le long des poutres de la charpente du gymnase dont elle a assumé la reprise à ses frais à la demande du maître d'œuvre, la société Charpentes Bois Goubie JP a, par une assignation délivrée le 19 juin 2017, saisi le tribunal de commerce de Perpignan afin d'obtenir la condamnation de la société Face Languedoc Roussillon à lui verser la somme de 16 662 euros toutes taxes comprises correspondant aux travaux de reprise de ces désordres, cette société ayant, à son tour, fait délivrer une assignation le 16 août 2017 à la société Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion afin de l'appeler en garantie. Par un jugement du 3 avril 2018, le tribunal de commerce de Perpignan a décliné sa compétence pour connaître de ces deux instances au profit du tribunal administratif de Montpellier.

2. La société Face Languedoc Roussillon relève appel du jugement du 3 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier l'a condamnée à verser la somme de 16 503,39 euros toutes taxes comprises à la société Charpentes Bois Goubie JP en réparation des préjudices correspondant aux coûts de reprise des désordres affectant les poutres du gymnase et jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur son appel en garantie contre la société à responsabilité limitée Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion. Par un jugement du 1er mars 2023, le tribunal de commerce de Bergerac a désigné Me Patard-Piémont et Me Galinat respectivement en qualité d'administrateur et de mandataire judiciaire de la société Charpentes Bois Goubie JP.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de la société Face Languedoc Roussillon :

3. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.

4. Il résulte du compte-rendu de chantier n° 33 du 19 avril 2016 et du courrier du 3 octobre 2016 adressé par la société appelante à la société en charge de la mission ordonnancement coordination pilotage que la société Charpentes Bois Goubie JP a commencé la pose de l'ossature de la charpente du gymnase le 6 avril 2016, ces travaux ayant été achevés le 19 avril 2016, tandis que la société Face Languedoc Roussillon est intervenue du 20 au 24 avril suivant pour procéder à la pose de la couverture de cet ouvrage.

5. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue des travaux de pose de la charpente en bois, la société Charpentes Bois Goubie JP a, par un courriel du 15 avril 2016, en copie duquel se trouvait la société Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion, adressé des directives à la société appelante sur les précautions à prendre lors de son intervention pour poser la couverture sur le gymnase où la charpente était amenée à rester apparente afin de conserver l'esthétique des poutres en bois tandis que les coulures noires apparues sur les poutres ont été constatées par la société Charpentes Bois Goubie JP, dans un courriel du 13 mai 2016.

6. Si la société Face Languedoc Roussillon fait valoir qu'elle n'était tenue de protéger ses propres ouvrages qu'après l'exécution des complexes d'étanchéité, soit postérieurement à la pose des bacs acier composant la toiture, qu'aucune faute à l'origine des désordres n'a été identifiée en l'absence d'expertise amiable ou judiciaire, et qu'il n'est pas démontré que les coulures noires observées sur les poutres de la charpente proviendraient de l'érosion des bacs acier, elle a, toutefois, par une lettre du 3 octobre 2016 adressée à la société Service Associés Bertrand Ingénierie gestion, expressément reconnu que postérieurement à la pose de la toiture en " bac acier " des épisodes pluvieux sont survenus au cours desquels l'eau de pluie a ruisselé à travers les bacs de couverture perforés jusqu'aux pannes, emportant avec elle la protection huileuse apposée sur les " bacs acier " en atelier avant colisage pour éviter l'apparition d'efflorescences dues à l'humidité ou à la condensation.

7. Sur ce point, il résulte de l'instruction, éclairée par les photographies produites et la chronologie des faits, que les coulures noires ayant altéré l'esthétique des poutres en bois apparentes du gymnase sont directement imputables aux opérations de pose de la couverture réalisées par la société Face Languedoc Roussillon, laquelle a opéré sur le chantier sans prévoir de protection adéquate de la toiture en cours de pose ni anticiper, en qualité de professionnelle avertie, la survenance de possibles épisodes pluvieux entre la pose de la toiture en bac acier composée de tôles d'acier perforées et la réalisation du hors d'eau alors même qu'elle a été sensibilisée, par les recommandations techniques qui lui ont été adressées par cette dernière, sur les risques d'atteinte à l'esthétique des poutres apparentes de la charpente en bois du gymnase. Par suite, et dès lors que l'état du dossier permet de se prononcer sur la nature des désordres et leur imputabilité sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, c'est à bon droit que les premiers juges ont jugé que la responsabilité quasi-délictuelle de la société Face Languedoc Roussillon était susceptible d'être engagée au titre de ce ces désordres.

En ce qui concerne l'existence de causes exonératoires de responsabilité :

8. Il résulte de l'instruction que le chantier de pose de la charpente en bois s'est achevé le 15 avril 2016, qu'une réunion de chantier a eu lieu le 19 avril suivant et que la société appelante est intervenue le lendemain pour poser la couverture de sorte que la charpente en ossature bois a été laissée peu de temps à l'air libre. Or sur ce point, l'appelante ne démontre pas ni même n'allègue que les poutres en bois étaient déjà tachées par des coulures noires lorsqu'elle a commencé la pose de la couverture en tôle d'acier ou que le fait de les laisser à l'air libre quelques jours a été de nature à les endommager. Par ailleurs, elle ne pouvait ignorer, en sa qualité de professionnelle avertie, que le bac de couverture qu'elle était chargée de poser était, en application des articles 1.2 et 3.1.1 du cahier des clauses techniques particulières afférent au lot n° 4, composé de tôles d'acier nervurées et perforées, et qu'il comportait, ainsi qu'elle l'a reconnu, un revêtement huileux susceptible de causer des désordres en cas d'intempéries. Par suite, aucune part de responsabilité ne peut être mise à la charge de la société Charpentes Bois Goubie JP dans la survenance des désordres.

En ce qui concerne les préjudices indemnisables :

9. En se bornant à soutenir que le coût de la remise en état des désordres serait excessif et que les justificatifs produits concernant le nombre d'heures de travail et le taux horaire appliqué sont dépourvus de valeur probante, la société appelante ne produit aucun élément précis et circonstancié, tel qu'un devis chiffré, de nature à établir qu'il existerait des solutions moins onéreuses et techniquement plus adaptées pour remettre en état les poutres du gymnase dégradées par les coulures noires. Les justificatifs de travaux réalisés, lesquels ont consisté en des travaux de ponçage de l'ensemble des poutres et arbalétriers et de pose d'une couche de bouche incolore et d'une couche de lasure en deux passages à l'aide de moyens de levage, de ponçage et d'aspiration, doivent, en l'absence d'élément probant de nature à en remettre en cause la pertinence et dès lors qu'ils n'apparaissent pas disproportionnés au regard de l'ampleur des désordres constatés, être admis dans leur principe et leur montant. Par suite, le tribunal a fait une exacte appréciation du préjudice subi par la société Charpente Bois Goubie JP en condamnant la société Face Languedoc Roussillon à lui verser la somme de 16 503,39 euros toutes taxes comprises.

En ce qui concerne l'appel en garantie présenté à l'encontre de la société Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion :

10. Si la société appelante peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels elle n'est liée par aucun contrat dans les conditions rappelées au point 3, elle supporte toutefois la charge d'apporter la preuve qu'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage.

11. En application des dispositions de l'article 10 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé alors en vigueur, l'ordonnancement, la coordination et le pilotage du chantier ont pour objet d'analyser les tâches élémentaires portant sur les études d'exécution et les travaux, de déterminer leurs enchaînements ainsi que leur chemin critique par des documents graphiques et d'harmoniser dans le temps et dans l'espace les actions des différents intervenants au stade des travaux et, enfin, de mettre en application les diverses mesures d'organisation arrêtées au titre de l'ordonnancement et de la coordination.

12. En l'espèce, en vertu des articles 2.3 et 3.2 de l'acte d'engagement, conclu le 11 décembre 2013, et du tableau de répartition des honoraires figurant dans ce même acte d'engagement et de l'avenant n° 1 au marché de maîtrise d'œuvre, la mission ordonnancement, coordination, pilotage a été intégralement confiée, au sein du groupement de maîtrise d'œuvre conjoint, à la société Services Associés Bertrand Ingénierie Gestion.

13. Dès lors, d'une part, que le chantier de pose de la charpente a pris fin le 15 avril 2016 et, d'autre part, que le même jour, la société appelante a été alertée, avant même d'intervenir sur le chantier à partir du 20 avril 2016, après la réunion de chantier du 19 avril 2016, pour y poser la toiture en bac acier, sur les précautions à prendre pour préserver l'esthétique des poutres apparentes, la chronologie des interventions des sociétés Charpentes Bois Goubie JP et Face Languedoc Roussillon sur le chantier de construction du gymnase n'est, en elle-même et pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8, de nature à caractériser ni une faute dans l'enchaînement des tâches d'exécution des travaux ni un défaut d'harmonisation dans le temps et dans l'espace des interventions de ces deux sociétés. En outre, il résulte de l'instruction qu'après la découverte de coulures noires le 13 mai 2016 et l'échec de la tentative de remise en état des poutres engagée entre les sociétés Face Languedoc Roussillon et Charpentes Bois Goubie JP, la société Services Associés Bertrand Ingénierie Gestion a, par une lettre du 21 septembre 2016, faisant suite à une réunion de chantier du 20 septembre 2016, réitéré la demande faite par la maîtrise d'œuvre à la société Charpentes Bois Goubie JP de reprendre l'aspect esthétique des poutres. Dans ces conditions, eu égard à ses diligences et alors même qu'il ne lui incombait pas, ainsi qu'elle le soutient à juste titre, de diriger l'exécution des travaux, la société Services Associés Bertrand Ingénierie ne peut être regardée comme ayant commis une faute dans l'exercice de la mission ordonnancement, pilotage et coordination du chantier. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à l'appel en garantie présenté par la société Face Languedoc Roussillon à l'endroit de la société Services Associés Bertrand Ingénierie

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Face Languedoc Roussillon n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a jugé que seule sa responsabilité quasi-délictuelle était engagée à l'égard de la société Charpentes Bois Goubie JP et rejeté l'appel en garantie qu'elle a présenté contre la société Services Associés Bertrand Ingénierie Gestion.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des sociétés Charpentes Bois Goubie JP et Services Associés Bertrand Ingénierie Gestion, qui ne sont pas les parties perdantes dans le présent litige, au titre des frais exposés par la société Face Languedoc Roussillon et non compris dans les dépens.

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Face Languedoc Roussillon une somme 1 500 euros à verser à respectivement à la société Charpentes Bois Goubie JP et à la société Services Associés Bertrand Ingénierie Gestion en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1 : La requête de la société Face Languedoc Roussillon est rejetée.

Article 2 : La société Face Languedoc Roussillon versera à la société Charpentes Bois Goubie JP et à la société Services Associés Bertrand Ingénierie Gestion une somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Face Languedoc Roussillon, à Me Patard-Piémont et Me Galinat, agissant respectivement en qualité d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société par actions simplifiée Charpentes Bois Goubie JP, et à la société à responsabilité limitée Service Associés Bertrand Ingénierie Gestion.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL00377


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL00377
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Nadia EL GANI-LACLAUTRE
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS NICOLAU MALAVIALLE GADEL CAPSIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-06-27;21tl00377 ?
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