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13/06/2023 | FRANCE | N°20TL01906

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 13 juin 2023, 20TL01906


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Entreprise Malet, devenue la société Spie Batignolles Malet, a demandé au tribunal administratif de Montpellier au titre des préjudices subis à raison de l'exécution des travaux du lot n° 1 " voiries réseaux divers " afférent au projet d'extension de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de la commune de Gignac :

1°) à titre principal, de condamner la commune de Gignac à lui payer les sommes de :

- 7 442,90 euros hors taxes au titre de l

a révision des prix ;

- 2 255,60 euros hors taxes au titre du retard de paiement de la situ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Entreprise Malet, devenue la société Spie Batignolles Malet, a demandé au tribunal administratif de Montpellier au titre des préjudices subis à raison de l'exécution des travaux du lot n° 1 " voiries réseaux divers " afférent au projet d'extension de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de la commune de Gignac :

1°) à titre principal, de condamner la commune de Gignac à lui payer les sommes de :

- 7 442,90 euros hors taxes au titre de la révision des prix ;

- 2 255,60 euros hors taxes au titre du retard de paiement de la situation n° 12 ;

- 2 848,86 euros hors taxes au titre des prestations supplémentaires réalisées et indispensables à la réalisation de l'ouvrage ;

- 188 538,02 euros hors taxes au titre des préjudices subis du fait de l'allongement du chantier, dont 68 796 euros hors taxes au titre des frais supplémentaires de la structure d'encadrement, 9 663,90 euros hors taxes au titre de l'immobilisation des moyens sur le chantier, 26 506,69 euros hors taxes au titre de la perte de productivité du personnel et 83 571,43 euros hors taxes au titre de l'absence d'amortissement des frais généraux et de la perte de chiffre d'affaires ;

2°) à titre subsidiaire de condamner in solidum la commune de Gignac, la société Tognella architectes 2AI et la société Ibis construction à lui payer la somme de 188 538,02 euros hors taxes à raison des préjudices subis du fait de l'allongement du chantier, dont 68 796 euros hors taxes au titre des frais supplémentaires de la structure d'encadrement, 9 663,90 euros hors taxes au titre de l'immobilisation des moyens sur le chantier, 26 506,69 euros hors taxes au titre de la perte de productivité du personnel et 83 571,43 euros hors taxes au titre de l'absence d'amortissement des frais généraux et de la perte du chiffre d'affaires ;

3°) le cas échéant, de condamner in solidum ou pour ce qui les concerne la commune de Gignac, la société Tognella architectes 2AI, la société Ibis construction et la société A... Meunier Construction à lui payer la somme de 188 538,02 euros hors taxes à raison des préjudices subis du fait de l'allongement du chantier, dont 68 796 euros hors taxes au titre des frais supplémentaires de structure d'encadrement, 9 663,90 euros hors taxes au titre de l'immobilisation des moyens sur le chantier, 26 506,69 euros hors taxes au titre de la perte de productivité du personnel et 83 571,43 euros hors taxes au titre de l'absence d'amortissement des frais généraux et la perte du chiffre d'affaires.

Par un jugement n° 1705232 du 18 mars 2020, le tribunal administratif de Montpellier, a dans son article 1er, condamné la commune de Gignac à verser à la société Spie Batignolles Malet, au titre du solde du décompte général, la somme de 12 203,08 euros hors taxes, assortie des intérêts contractuels à compter du 27 avril 2017 et de la capitalisation des intérêts à compter du 6 novembre 2018.

Le tribunal par l'article 2 de ce jugement a, par ailleurs, condamné la commune de Gignac, la société Tognella architectes 2AI et la société Ibis Construction, in solidum, à verser à la société Spie Batignolles Malet la somme de 81 106,69 euros en réparation des préjudices subis au titre de l'allongement du chantier, avec intérêts contractuels à compter du 27 avril 2017 et capitalisation des intérêts à compter du 6 novembre 2018, et a rejeté le surplus des conclusions de la société Spie Batignolles Malet ainsi que le surplus des conclusions des autres parties.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille le 26 mai 2020, puis réenregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse le 11 avril 2022 sous le n°20TL01906, un mémoire en réplique du 18 mars 2022, et un mémoire en production de pièces du 3 février 2023, la société Tognella architectes 2AI, représentée par Me Ensenat, demande à la cour :

1°) à titre principal, la réformation du jugement du 18 mars 2020 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il la condamne in solidum avec la commune de Gignac et la société Ibis construction à verser la somme de 81 106,69 euros à la société Spie Batignolles Malet avec intérêts contractuels à compter du 27 avril 2017 et capitalisation des intérêts à compter du 6 novembre 2018 ;

2°) à titre subsidiaire, à être garantie d'éventuelles condamnations prononcées à son encontre, solidairement, par M. A... et la société Bureau d'études et de recherches pour l'industrie moderne (BERIM) ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Spie Batignolles Malet et de la commune de Gignac la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal, en retenant sa responsabilité quasi-délictuelle à raison de la faute commise par la société Ibis Construction dans l'allongement de la durée du marché de la société Malet, s'est fondé sur un moyen qui n'avait pas été soulevé par la société Malet, qui n'invoquait qu'un manquement à son devoir de conseil dans l'attribution du lot n° 2 à la société Ibis Construction, et n'a donc pas respecté le principe du contradictoire ;

- en ce qui concerne le bien-fondé du jugement, aucune faute ne peut être retenue à son encontre dans l'exercice de son devoir de conseil ;

- en effet, et en ce qui concerne l'attribution du lot n° 2 à la société Ibis Construction, en vertu de l'article 6 du décret du 29 novembre 1993, aucune obligation de conseil ne pesait sur le maître d'œuvre, le choix revenant exclusivement au maître d'ouvrage et à la commission d'attribution des offres ; à cet égard, la société Ibis Constructions arrivait en deuxième position et sa note technique était moins bonne ; ainsi cette société a été retenue par la commission d'appel d'offres pour des raisons propres au maître d'ouvrage et en contradiction avec les résultats de la comparaison des offres figurant dans le rapport définitif d'analyse des offres ; aucune faute ne peut donc lui être reprochée dans l'attribution des lots n°s 2 et 5 ;

- en ce qui concerne la question des mesures coercitives en cours de chantier, elle a rappelé l'entreprise Ibis Construction, tout au long du chantier, à ses obligations ; de plus, le maître d'ouvrage, sur ses conseils, a eu recours à des entreprises tierces aux frais et risques de la société Ibis Construction ; dès lors, aucune faute ne saurait lui être reprochée au titre du suivi du chantier ; le décalage du planning des travaux et les modifications ne sauraient lui être imputés ;

- en ce qui concerne le préjudice qui aurait été subi par la société Spie Batignolles Malet, les frais supplémentaires de structure d'encadrement demandés ne sont pas justifiés dès lors qu'à compter du mois d'avril 2013 et jusqu'au mois d'octobre 2014, cette société n'assistait plus aux réunions de chantier, l'équipe de travaux étant mise en doublon sur un autre chantier ; le maintien d'un conducteur de travaux n'était donc pas justifié entre octobre 2013 et avril 2014, seuls un projeteur et un dessinateur ayant dû être mobilisés, mais ces deux postes ont déjà été indemnisés au titre des travaux supplémentaires ; il en est de même du préjudice allégué au titre de la perte de productivité du personnel ;

- c'est, par ailleurs, à tort que le tribunal a écarté l'appel en garantie qu'elle a présenté à l'encontre de M. A..., lequel, en charge de la mission ordonnancement pilotage coordination (OPC), se devait d'adapter l'organisation du chantier en communiquant suffisamment à l'avance les plannings décalés, cette mission étant étrangère à celle qui lui était confiée ;

- elle appelle également en garantie le bureau d'études BERIM, qui était en charge de la gestion des lots techniques tels que le gros œuvre et le lot VRD ; ainsi, la société BERIM a validé les études VRD de la société Spie Batignolles Malet, et devait par ailleurs valider le devis des travaux modificatifs et supplémentaires de cette société.

Par un mémoire, enregistré le 6 janvier 2022, la société anonyme Bureau d'études et de recherches pour l'industrie moderne (BERIM) représentée par Me Appolis, conclut au rejet des conclusions d'appel en garantie présentées par la commune de Gignac et par la société Tognella Architectes et à ce qu'il soit mis à la charge de celles-ci la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, les conclusions d'appel en garantie présentées devant la cour à son encontre sont irrecevables dès lors qu'elle n'était pas présente en première instance ;

- à titre subsidiaire, les appels en garantie présentés à son encontre ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 17 janvier 2022, un mémoire du 8 juin 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, et un mémoire du 2 mars 2023, la société anonyme Spie Batignolles Malet, représentée par Me Wally Issop, conclut, dans le dernier état de ses écritures :

- à titre principal, au rejet de la requête de la société Tognella architectes 2AI et, par la voie de l'appel incident, à la condamnation in solidum de la commune de Gignac, de la société Tognella architectes 2AI et de la société Ibis construction à lui verser la somme de 226 245,62 euros toutes taxes comprises au titre des préjudices subis du fait de l'allongement du chantier dont 68 796 euros hors taxes, soit 82 555,20 euros toutes taxes comprises au titre des frais supplémentaires de la structure d'encadrement, 9 663,90 euros hors taxes au titre de l'immobilisation des moyens sur le chantier, soit la somme de 11 596,68 euros toutes taxes comprises, 26 506,69 euros hors taxes, soit la somme de 31 808,03 euros toutes taxes comprises, au titre de la perte de productivité du personnel, et 83 571,43 euros hors taxes, soit 100 285,72 euros toutes taxes comprises, au titre de l'absence d'amortissement des frais généraux et de la perte de chiffre d'affaires ;

- à ce que ces condamnations soient assorties des intérêts moratoires dus contractuellement à compter du 27 avril 2017 et de la capitalisation des intérêts dus un an à compter de la requête ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

- à titre subsidiaire, à la condamnation in solidum de la commune de Gignac, de la société Tognella architectes 2AI, de la société Ibis construction ou tout autre appelé en garantie par les appelantes, notamment la SAS A... Meunier Coordination, à lui verser la somme totale de 188 538,02 euros hors taxes, soit la somme de 226 245,62 euros toutes taxes comprises au titre des préjudices subis du fait de l'allongement du chantier ;

- à ce qu'il soit mis à la charge de la société Tognella architectes 2AI, ou de toute autre partie perdante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le maître d'ouvrage a commis une faute en confiant les lots n° 2 et n° 5 à des entreprises locales inexpérimentées ne présentant pas les garanties techniques, professionnelles et financières pour assurer le marché dans les délais exigés ;

- elle a subi un préjudice du fait de l'allongement de la durée du chantier en raison des retards subis dans l'exécution de son contrat qui ne lui sont pas imputables ;

- le maître d'ouvrage a commis une faute lors de la passation des marchés de travaux, dans l'examen des candidatures en vue de l'attribution des lots dès lors notamment qu'aucune analyse des candidatures n'a été effectuée pour apprécier les garanties professionnelles, techniques et financières des entreprises LCD et Ibis Construction alors que cette dernière n'avait ni les capacités techniques ni les capacités financières pour exécuter le lot n° 2 du marché ; en outre, cette dernière a été choisie en lieu et place d'une autre entreprise arrivée en première position à la suite du classement effectué par la maîtrise d'œuvre, de sorte qu'elle a été retenue contre l'avis et l'analyse du maître d'œuvre ; le lot n° 2 a été attribué en méconnaissance totale des critères d'attribution sur la base du seul critère du prix, le critère technique ayant illégalement été neutralisé ;

- le recours à la procédure négociée prévue par l'article 35 du code des marchés publics est entaché d'illégalité dès lors que les offres des candidats au lot n° 2 n'étaient ni inacceptables, dans la mesure où la commune n'établit pas qu'elle n'était pas en mesure de les financer, ni irrégulières ; par ailleurs, il a été illégalement recouru à une procédure négociée alors que le marché n'avait pas été déclaré infructueux ; ces illégalités fautives sont à l'origine directe du préjudice qu'elle a subi ;

- la procédure négociée a été mise en œuvre en méconnaissance des critères d'attribution des marchés en faisant abstraction du critère technique ;

- le maître d'ouvrage a également commis une faute en ce qu'informé par la société Malet des retards entraînés par la défaillance des entreprises Ibis Construction et LCD, il n'a pris aucune mesure coercitive à l'encontre de ces sociétés pour mettre un terme aux difficultés rencontrées pendant l'exécution du marché.

Par un mémoire, enregistré le 21 mars 2022, M. A... et la société par actions simplifiée A... Meunier Coordination, représentés par Me Salleles, concluent, à titre principal, au rejet des demandes formulées à leur encontre et à ce que soit mise à la charge de la société Tognella Architectes 2AI la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, subsidiairement, à ce que la société A... Meunier Coordination garantisse M. A... des condamnations prononcées à son encontre.

Ils soutiennent que les moyens invoqués à son encontre ne sont pas fondés.

Un mémoire a été produit pour la commune de Gignac le 26 avril 2023.

II. Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille le 21 août 2020, puis réenregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse le 11 avril 2022 sous le n° 20TL03057, un mémoire en réplique du 17 mars 2022, un mémoire en production de pièces du 3 février 2023, et un mémoire du 26 avril 2023, non communiqué, la commune de Gignac, représentée par Me Moreau, demande à la cour :

- à titre principal, l'annulation du jugement du 18 mars 2020 du tribunal administratif de Montpellier en tant que, par son article 2, il la condamne in solidum avec la société Tognella architectes 2AI et la société Ibis Construction à verser à la société Spie Batignolles Malet la somme de 81 106,69 euros en réparation des préjudices subis avec intérêts contractuels à compter du 27 avril 2017 et capitalisation des intérêts à compter du 6 novembre 2018 ;

- à titre subsidiaire, de condamner les sociétés Tognella architectes 2AI, Ibis construction, sociétés Bering, PCING, et Groupe SECA, à la garantir des condamnations qui auraient été prononcées à son encontre ;

- et à ce qu'il soit mis à la charge des parties perdantes la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- si le tribunal a retenu l'existence d'une faute de la commune engageant sa responsabilité, consistant à ne pas avoir pris les mesures propres à remédier au retard du chantier, en l'absence de mesures coercitives prises à l'encontre de la société Ibis construction, il n'existe pas de présomption à cet égard, cette faute devant être établie ; or, l'obligation de rappeler les intervenants à leurs obligations en cours de chantier incombe à la maitrise d'œuvre ; en l'espèce, l'entreprise Ibis Construction a fait l'objet de rappels réguliers par la maîtrise d'œuvre et par la commune ; le bureau de contrôle Veritas a émis par ailleurs plusieurs observations sur le travail réalisé par cette société ; c'est donc à tort que le tribunal a considéré que la commune avait commis une faute dans l'exercice de son pouvoir de contrôle et de direction du marché ;

- en ce qui concerne les préjudices qui auraient été subis par la société Spie Batignolles Malet, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la prolongation du délai d'exécution du marché sur une durée de douze mois n'a pas entraîné de frais supplémentaires de structure d'encadrement par la mobilisation d'un conducteur de travaux, dont la présence sur le chantier n'est pas établie ; s'agissant des frais liés à la déprogrammation d'équipes, leur réalité n'est pas établie par les pièces du dossier, dès lors que la société Spie Batignolles Malet indique elle-même qu'elle s'était déployée sur d'autres chantiers;

- en ce qui concerne l'appel en garantie présenté à l'encontre de la société anonyme Groupe SECA, cette société était liée à la commune par un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage, conclu le 24 mars 2010, et cette mission s'étendait sur l'ensemble de l'opération et de construction de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes depuis la définition des ouvrages jusqu'à la réception des travaux ; il appartenait donc à la société Groupe SECA de la tenir informée de l'état d'avancement des travaux et du suivi du calendrier d'exécution ;

- par ailleurs, elle est fondée à appeler en garantie les membres du groupement de maîtrise d'œuvre dès lors que le maître d'œuvre chargé d'une mission de direction de l'exécution du contrat de travaux au sens de la loi du 12 juillet 1985 doit garantir intégralement le maître d'ouvrage des condamnations prononcées à son encontre du fait de l'allongement du chantier , l'engagement de la responsabilité du maître d'œuvre n'étant pas subordonné à la commission d'une faute d'une particulière gravité ; les sociétés Tognella architectes 2AI, Bering et PCING devront donc la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

- elle appelle, en outre, en garantie la société Ibis Construction, dont le tribunal a estimé la part de responsabilité à hauteur de 60 % , alors que sa responsabilité dans les retards pris dans le chantier est en réalité totale dès lors que malgré de nombreux rappels à l'ordre, et mises en demeure, tant du maître d'ouvrage que du maître d'œuvre, la société a cumulé de nombreux retards, pour différentes causes, tout au long du chantier ; ces retards, qui ont pour cause l'absence de production des plans d'exécution des travaux par la société Ibis Construction, le temps pris pour lever les réserves émises par le bureau Veritas, puis les malfaçons affectant plusieurs chapes réalisées ayant obligé à refaire ces ouvrages, sont tous dus à la mauvaise exécution de sa mission, par le titulaire du marché, et ne relèvent pas de sa propre faute ; ces différentes fautes sont à elles seules responsables du retard accumulé dont la société Spie Batignolles Malet affirme qu'il est à l'origine des préjudices dont elle demande réparation.

Par un mémoire, enregistré le 6 janvier 2022, la société BERIM représentée par Me Apollis, conclut au rejet des conclusions d'appel en garantie présentées à son encontre par la commune de Gignac et par la société Tognella Architectes et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Gignac et de la société Tognella Architectes la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que

- les conclusions d'appel en garantie présentées en appel à son encontre sont irrecevables dès lors qu'elle n'était pas présente en première instance n'ayant pas été attraite à la cause.

- à titre subsidiaire, les appels en garantie présentés à son encontre ne sont pas fondés.

Par deux mémoires, enregistrés les 17 janvier et 8 juin 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, et un mémoire du 2 mars 2023, la société Spie Batignolles Malet, représentée par Me Wally Issop, conclut, dans le dernier état de ses écritures :

- à titre principal au rejet de la requête de la commune de Gignac, et, par la voie de l'appel incident, à la condamnation in solidum de cette dernière, de la société Tognella architectes 2AI et de la société Ibis construction à lui verser la somme de 226 245,62 euros toutes taxes comprises au titre des préjudices subis du fait de l'allongement du chantier dont 68 796 euros hors taxes et 82 555,20 euros toutes taxes comprises au titre des frais supplémentaires de la structure d'encadrement, 9 663,90 euros hors taxes au titre de l'immobilisation des moyens sur le chantier, soit la somme de 11 596,68 euros toutes taxes comprises, 26 506,69 euros hors taxes, soit 31 808,03 euros toutes taxes comprises, au titre de la perte de productivité du personnel et 83 571,43 euros hors taxes, soit 100 285,72 euros toutes taxes comprises au titre de l'absence d'amortissement des frais généraux et de la perte du chiffre d'affaires ;

- à ce que ces condamnations soient assorties des intérêts moratoires dus contractuellement à compter du 27 avril 2017 et de la capitalisation des intérêts dus un an à compter de la requête ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

- à ce qu'il soit mis à la charge de la société Tognella architectes 2AI, ou de toute autre partie perdante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

- à ce qu'il soit mis la charge de la commune de Gignac la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir les mêmes moyens que dans l'instance 20TL01906.

Par ordonnances du 3 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 27 avril 2023 dans les requêtes n°s 20TL01906 et 20TL03057.

Par un courrier du 17 mai 2023, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de soulever d'office, en application de l'article R 811-1 du code de justice administrative l'irrecevabilité des conclusions d'appel en garantie présentées par la commune de Gignac à l'encontre du groupe SECA et de la société PCING faute pour ces sociétés d'avoir été présentes en première instance et à l'encontre de la société Ibis Construction faute pour cet appel en garantie d'avoir été présenté en première instance.

Vu les autres pièces de ces deux dossiers.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

-l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Hamidi, représentant la commune de Gignac et de Me Wally Issop, représentant la société Spie Batignolles Malet.

Dans chacune des deux requêtes 20TL01906 et 20TL03057, deux notes en délibéré ont été produites le 30 mai 2023 par la commune de Gignac et une par la société Spie Batignolles Malet le 30 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Gignac a lancé au cours de l'année 2010 un projet d'extension de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Le Micocoulier " comprenant 65 lits et places. Par un acte d'engagement du 7 décembre 2010, la commune de Gignac a confié une mission de maîtrise d'œuvre à un groupement conjoint composé de la société 2AI Archictures, devenue Tognella Architectes 2AI, architecte et mandataire du groupement, du bureau d'études société Bureau d'études et de recherches pour l'industrie moderne (BERIM) et de la société PCING pour la mission de coordination du système de sécurité incendie (SSI). Ce marché de maîtrise d'œuvre a fait l'objet de trois avenants en date des 30 juillet 2013, 5 septembre 2014 et 20 mars 2015. La mission ordonnancement pilotage coordination (OPC) a été confiée à M. B... A.... Le marché public de travaux était réparti en 14 lots et, à la suite de la procédure d'appel d'offres, par un acte d'engagement signé du pouvoir adjudicateur le 5 novembre 2012, la société Entreprise Malet, devenue Spie Batignolles Malet s'est vu attribuer le lot n° 1 voiries réseaux divers (VRD) pour un montant global et forfaitaire de 605 318,81 euros hors taxes. Le lot n° 2 " gros œuvre " a été confié à la société Ibis Construction. Le marché, notifié le 3 avril 2013, prévoyait que l'ensemble des travaux seraient réalisés dans un délai de 17 mois. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 29 avril 2015 puis le maître d'ouvrage a notifié à la société Entreprise Malet, le 12 février 2016, la proposition de décompte général et définitif. Un procès-verbal de levée des réserves a été établi le 28 avril 2016. Par lettre du 27 mars 2017, la société Entreprise Malet a informé la commune de Gignac qu'elle refusait de signer la proposition de décompte général et définitif et présentait un mémoire en réclamation aux termes duquel elle demandait le paiement d'une somme globale de 225 345,20 euros hors taxes. Cette demande a été implicitement rejetée par la commune.

2. La société Spie Batignolles Malet, venant aux droits de la société Entreprise Malet, a demandé au tribunal administratif de Montpellier, à titre principal, de condamner la commune de Gignac à lui verser la somme de 201 085,38 euros hors taxes, à titre subsidiaire, de condamner cette commune et la société Tognella architectes 2AI à lui payer une somme de 2 848,86 euros hors taxes au titre des prestations supplémentaires réalisées et indispensables à la réalisation de l'ouvrage et de condamner in solidum la commune de Gignac, la société Tognella architectes 2AI et la société Ibis construction à lui payer la somme de 188 538,02 euros hors taxes au titre des préjudices subis du fait de l'allongement du chantier, dont 68 796 euros hors taxes au titre des frais supplémentaires de la structure d'encadrement, 9 663,90 euros hors taxes au titre de l'immobilisation des moyens sur le chantier, 26 506,69 euros hors taxes au titre de la perte de productivité du personnel et 83 571,43 euros hors taxes au titre de l'absence d'amortissement des frais généraux et de la perte de chiffre d'affaires.

3. Par un jugement du 18 mars 2020, le tribunal administratif de Montpellier dans son article 1er a, d'une part, condamné la commune de Gignac à verser à la société Spie Batignolles Malet, au titre du solde du décompte général, la somme de 12 203,08 euros hors taxes, et, d'autre part dans son article 2, a condamné in solidum la commune de Gignac, la société Tognella architectes 2AI et la société Ibis Construction à verser à la société Spie Batignolles Malet la somme de 81 106,69 euros en réparation des préjudices subis.

4. Par une requête n° 20TL01906 la société Tognella architectes 2AI demande la réformation du jugement précité en tant que, par son article 2, il la condamne in solidum avec la commune de Gignac et la société Ibis construction à verser la somme de 81 106,69 euros à la société Spie Batignolles Malet et demande à être garantie d'éventuelles condamnations prononcées à son encontre, solidairement, par M. A... et la société BERIM.

5. Par une requête n° 20TL03057 la commune de Gignac demande, à titre principal, la réformation du jugement précité en tant que par son article 2, il la condamne in solidum avec la société Tognella architectes 2AI et la société Ibis Construction à verser à la société Spie Batignolles Malet la somme de 81 106,69 euros et, à titre subsidiaire, la condamnation des sociétés Tognella architectes 2AI, Ibis construction, BERIM, PCING, et Groupe SECA, à la garantir des condamnations qui seraient prononcées à son encontre.

6. La société Spie Batignolles Malet, conclut, outre au rejet des requêtes, par la voie de l'appel incident, à la condamnation in solidum de la commune de Gignac, de la société Tognella architectes 2AI et de la société Ibis construction à lui verser la somme de 226 245,62 euros toutes taxes comprises au titre des préjudices subis du fait de l'allongement du chantier.

Sur la jonction :

7. Les requêtes n°s 20TL01906 et 20TL03057 sont dirigées contre le même jugement et sont relatives au même marché. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de l'irrégularité du jugement invoqué par la société Tognella Architectes :

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la société Tognella :

8. D'une part, dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché qui a subi un préjudice imputable à la fois à l'autre partie, en raison d'un manquement à ses obligations contractuelles, et à d'autres intervenants à l'acte de construire avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de ces autres intervenants, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage. Le titulaire du marché peut demander au juge de prononcer la condamnation solidaire de l'autre partie, laquelle ne peut être condamnée qu'à raison de ses propres fautes, avec les coauteurs des dommages, ces derniers ne pouvant non plus être rendus solidairement débiteurs de sommes correspondant à des préjudices qui ne leur sont aucunement imputables.

9. D'autre part, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

10. Aux termes de l'article 6 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé : " L'assistance apportée au maître de l'ouvrage pour la passation du ou des contrats de travaux sur la base des études qu'il a approuvées a pour objet : a) De préparer la consultation des entreprises, en fonction du mode de passation et de dévolution des marchés /b) De préparer s'il y a lieu, la sélection des candidats et d'examiner les candidatures obtenues / c) D'analyser les offres des entreprises et, s'il y a lieu, les variantes à ces offres ; / d) De préparer les mises au point permettant la passation du ou des contrats de travaux par le maître de l'ouvrage ".En vertu de l'article 9 du même décret : " La direction de l'exécution du ou des contrats de travaux a pour objet : a) De s'assurer que les documents d'exécution ainsi que les ouvrages en cours de réalisation respectent les dispositions des études effectuées ; b) De s'assurer que les documents qui doivent être produits par l'entrepreneur, en application du contrat de travaux ainsi que l'exécution des travaux sont conformes audit contrat ; c) De délivrer tous ordres de service, établir tous procès-verbaux nécessaires à l'exécution du contrat de travaux, procéder aux constats contradictoires et organiser et diriger les réunions de chantier ;(...) ".

11. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'alors que la société Spie Batignolles Malet devait entamer en septembre 2013 l'exécution de la phase 2 du lot n° 1 VRD du marché dont elle était attributaire, elle n'a pu commencer ces travaux qu'en septembre 2014, ce retard ayant eu pour cause la défaillance de la société Ibis Construction dans la réalisation des travaux du lot n° 2 " gros œuvre ", en raison des erreurs et malfaçons commises par cette entreprise, qui ont parfois nécessité de casser et de refaire des ouvrages. Toutefois, ainsi qu'en attestent les réunions de comptes rendus de chantier, l'entreprise précitée a fait l'objet de rappels à de nombreuses reprises de la part de la société Tognella Architectes 2AI concernant notamment la remise des plans d'exécution à ses salariés. La société Tognella Architectes 2AI a, de plus et notamment, rappelé, le 26 janvier 2013, à l'entreprise Ibis Construction l'obligation de reprise des travaux sur la chape, et le 15 janvier 2014, elle l'a mise en demeure de casser et de refaire la chape 3 et de respecter les délais sous peine d'encourir des pénalités de retard. Elle lui a également indiqué, le 4 septembre 2013, l'urgence de réaliser le plan de récolement des eaux usées et des eaux pluviales et, le 11 septembre suivant, lui a indiqué qu'elle avait réalisé les sorties " eaux pluviales " du bâtiment sans suivre un plan comportant les fils d'eau. Dans ces conditions, aucune faute ne peut être reprochée à la société Tognella Architectes 2AI concernant l'exécution de sa mission de maîtrise d'œuvre dans l'exécution du chantier.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Tognella Architectes 2AI est fondée à soutenir que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, elle n'a pas failli dans l'exercice de sa mission de direction de l'exécution des travaux.

13. Toutefois, il appartient à la cour saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Spie Batignolles Malet devant le tribunal administratif de Montpellier à l'encontre de la société Tognella Architectes 2AI.

14. À cet égard si la société Spie Batignolles Malet invoque un manquement de la société Tognella Architectes 2AI à son obligation de conseil du maître d'ouvrage quant au choix de ses cocontractants, il résulte de l'instruction et notamment du document d'analyse des offres " rapports d'analyse définitifs " établi par la commission d'appel d'offres réunie le 3 octobre 2012, dans le cadre de la procédure négociée ayant conduit à l'attribution du lot n° 2 à la société Ibis Construction, qu'il a été attribué une note pondérée de 9 sur 12 à la société Ibis Construction, au titre de la valeur technique. S'agissant du critère du prix, la société Ibis Construction a fait une offre de 1 152 274,07 euros hors taxes, soit la plus proche de l'estimation de la valeur du lot, et avec une différence très importante avec les autres entreprises, dont les offres s'échelonnent entre 1 595 000 euros et 2 439 314 euros hors taxes. La société Ibis Construction a ainsi obtenu la note maximale de 8 sur ce critère du prix contre 5,78 pour l'entreprise CGC arrivée en seconde position. Si la société Ibis Construction au regard du critère du prix, qui a été privilégié in fine par le maître d'ouvrage, a été classée en première position, devant la société CGC, la note obtenue au regard de la valeur technique aurait dû conduire la commune à s'interroger sur l'attribution du lot n° 2 à la société Ibis Construction. Dans ces conditions, au regard des dispositions précitées de l'article 6 du décret du 29 novembre 1993 susvisé relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé, la société Tognella Architectes 2AI ne saurait être regardée comme ayant commis une faute quant au choix de la société attributaire du lot n° 2. En tout état de cause, la faute ayant conduit aux préjudices dont la société Spie Batignolles Malet a demandé réparation réside dans l'acceptation par la commune de Gignac de la candidature de la société Ibis Construction dans le cadre de la procédure initiale d'appel d'offres ouvert, puis dans le choix par cette commune de recourir à une procédure négociée menée à la suite de la déclaration d'infructuosité du marché, entachée d'irrégularité. Or, la société Ibis Construction, dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, n'avait obtenu qu'une note technique de 1,80 sur 10 attribuée avec une note pondérée de 9,80 sur 20 et un classement en 6ème position sur 7 entreprises, la société CGC étant classée en première position, avec une note technique de 9 sur 10, et une note pondérée de 14,7 sur 20, et, dès lors, et en tout état de cause, les chances de la société Ibis Construction de remporter le marché dans le cadre de la procédure d'appel d'offres étaient nulles.

15. Il résulte de ce qui précède que la société Tognella Architectes est fondée à demander l'annulation de l'article 2 du jugement du 18 mars 2020 en tant qu'il la condamne in solidum avec la commune de Gignac et la société Ibis Construction à verser à la société Spie Batignolles Malet la somme de 81 106,69 euros avec intérêts contractuels à compter du 27 avril 2017 et capitalisation des intérêts à compter du 6 novembre 2018.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Gignac :

16. Les premiers juges, sur le fondement des principes rappelés aux points 8 et 9 du présent arrêt, ont considéré que la commune de Gignac, faute de rappel adressé à l'entreprise Ibis construction, titulaire du lot n° 2 gros œuvre quant au respect des délais d'exécution, ou d'organisation de réunions pour éviter que le chantier prenne un retard préjudiciable aux autres entreprises intervenantes sur le chantier, avait commis une faute ayant contribué au retard pris par l'exécution des travaux. Ainsi qu'il est exposé au point 11 du présent arrêt, le retard subi par la société Entreprise Malet a eu pour cause le retard de l'entreprise Ibis Construction attributaire du lot n° 2 gros œuvre, dont les travaux ont été achevés dix mois après la date prévue. Toutefois et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, ce retard ne saurait être regardé comme consécutif à une insuffisance de la direction des travaux par le maître d'ouvrage, dans la mesure où, comme il a été déjà dit, l'entreprise défaillante a été rappelée à plusieurs reprises à ses obligations contractuelles. Il appartient néanmoins à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Spie Batignolles Malet devant le tribunal administratif de Montpellier et en appel à l'encontre de la commune de Gignac.

17. En premier lieu, aux termes de l'article 52 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " ... Les candidatures qui n'ont pas été écartées en application des dispositions de l'alinéa précédent sont examinées au regard des niveaux de capacités professionnelles, techniques et financières mentionnées dans l'avis d'appel public à la concurrence, ou, s'il s'agit d'une procédure dispensée de l'envoi d'un tel avis, dans le règlement de la consultation. Les candidatures qui ne satisfont pas à ces niveaux de capacité sont éliminées ". En vertu de l'article 6 du règlement de la consultation, les critères de recevabilité des candidatures se rapportent aux garanties et aux capacités financières, aux capacités professionnelles et aux capacités techniques et références, les critères étant pondérés à hauteur de 60 % pour la valeur technique et 40 % pour le prix.

18. Il résulte de l'instruction que la société Ibis Construction dans sa candidature indiquait que pour la réalisation du lot n° 2 " Gros œuvre ", qui constituait le lot le plus important du marché dont la valeur était estimée à 1,2 millions d'euros, elle pouvait mobiliser seulement un effectif de huit salariés composé d'un conducteur de travaux, d'un chef de chantier, de quatre compagnons et de deux manœuvres, soit un effectif de salariés très nettement inférieur à celui proposé par les autres candidats, compris pour les six autres candidatures, entre 18 salariés (plus des sous-traitants) et 43 salariés. Dans ces conditions et compte tenu également de ce que la société Ibis Construction a indiqué dans sa candidature avoir réalisé seulement 231 459 euros de chiffre d'affaires en 2009, 418 340 euros en 2010, et 482 858 euros en 2011, la société Spie Batignolles Malet est fondée à soutenir que la commune de Gignac a commis une erreur d'appréciation en admettant la candidature de la société Ibis Construction.

19. En second lieu, en vertu de l'article 35 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer des marchés négociés dans les cas définis ci-dessous. I. -Peuvent être négociés après publicité préalable et mise en concurrence : 1° Les marchés et les accords-cadres pour lesquels, après appel d'offres ou dialogue compétitif, il n'a été proposé que des offres irrégulières ou inacceptables que le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter. Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché après évaluation du besoin à satisfaire ne permettent pas au pouvoir adjudicateur de la financer (...) ".

20. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'analyse des offres établi le 24 septembre 2012 par la commission d'appel d'offres dans le cadre de l'appel d'offres lancé initialement par la commune le 12 juillet 2012, qu'indépendamment de l'offre présentée par la société Ibis Construction, qui s'établissait à la somme de 1 152 274,07 euros hors taxes, les offres présentées par les six autres entreprises pour l'attribution dans le cadre de l' appel d'offres lancé par la commune de Gignac du lot n° 2 " Gros œuvre " du marché se situaient à des sommes dépassant, dans une fourchette de 43,3 % à 119,2 %, l'estimation à la somme de 1 112 689,31 euros hors taxes de la valeur de ce lot par la commune de Gignac. Toutefois, faute pour la commune d'établir ni même d'alléguer qu'elle n'était pas en mesure au sens des dispositions précitées de l'article 35 du code des marchés publics, de financer le lot n° 2 du marché à hauteur du montant des offres qui ont été présentées dans le cadre de l'appel d'offres, les offres ne pouvaient être regardées comme inacceptables, et, par là-même, la commune ne pouvait, comme elle l'a fait à la suite du procès-verbal d'appel d'offres du 17 septembre 2012, " demande(r) une analyse complémentaire des offres ", et, à supposer qu'elle ait entendu déclarer le marché infructueux, recourir à la procédure négociée.

21. Par conséquent, la société Spie Batignolles Malet est fondée à soutenir que c'est à tort que la commune de Gignac a accepté la candidature de la société Ibis Construction et a choisi, dans le cadre d'une procédure négociée menée à la suite de la déclaration d'infructuosité du marché entachée d'irrégularité, la société Ibis Construction, laquelle, au demeurant, dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, et, comme il a été exposé au point 14 du présent arrêt, n'était classée qu'en 6ème position sur 7 candidats et pouvait ainsi être regardée comme dépourvue de toute chance de remporter le marché.

22. Il résulte de ce qui précède qu'eu égard à la faute commise par la commune de Gignac dans le choix de la société Ibis Construction, cette commune n'est pas fondée à demander la réformation de l'article 2 du jugement en tant qu'il la déclare responsable des préjudices subis par la société SPIE Batignolles Malet.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices subis par la société SPIE Batignolles Malet :

S'agissant des frais supplémentaires de structure d'encadrement :

23. En ce qui concerne, tout d'abord, les conclusions de la société Malet portant sur les frais supplémentaires de la structure d'encadrement, les premiers juges y ont fait droit à hauteur de la somme de 54 600 euros hors taxes, en retenant, du fait d'une prolongation du délai d'exécution du marché sur une durée de douze mois entre octobre 2013 et septembre 2014, l'exposition de la société Malet à des frais salariaux supplémentaires à raison de l'emploi d'un conducteur de travaux et d'une secrétaire comptable, à raison, respectivement d'une intervention de 1,5 jour par semaine et de 0,5 jour par semaine. La circonstance invoquée par la commune selon laquelle le conducteur de travaux n'aurait pas été présent aux réunions de chantier, sur toute cette période d'un an, à l'exception d'une seule réunion de chantier du 23 octobre 2013, n'est, dès lors que la commune et la société Tognella Architectes ont elles-mêmes indiqué que la société Malet a été dispensée à compter d'octobre 2013 d'assister à ces réunions, tout en étant présente sur le chantier entre octobre 2013 et septembre 2014, pas de nature à remettre en cause la réalité des préjudices subis par cette dernière société. Si, dans le cadre de son appel incident, la société SPIE Batignolles Malet demande la condamnation de la commune de Gignac à lui verser au titre des frais supplémentaires de la structure d'encadrement la somme de 68 796 euros hors taxes, par application d'un coefficient multiplicateur de 1,26 sur la somme de 54 600 euros hors taxes représentative de frais salariaux qu'elle a été contrainte d'exposer du fait de l'allongement du chantier, ce coefficient multiplicateur correspondant, à hauteur de 13.4 %, aux frais exposés par l'agence SPIE Batignolles Malet de Montpellier, à hauteur de 4,4 %, aux frais exposés par le siège de l'agence et le siège de la société holding et à la marge bénéficiaire à hauteur de 3%, elle n'établit pas la réalité de ces frais.

S'agissant des frais supplémentaires liés à la réorganisation des chantiers :

24. Si la commune de Gignac soutient en appel que la réalité de la désorganisation de chantiers alléguée par la société SPIE Batignolles Malet serait démentie par le fait que celle-ci aurait, lorsqu'elle a quitté le chantier de Gignac, placé son équipe en doublon sur d'autres chantiers jusqu'au 4 octobre 2016, la société ne demande pas la réparation du préjudice lié à la perte de chantiers, mais du préjudice lié à la perte de productivité liée à l'obligation de placer sur d'autres chantiers, déjà composés d'équipes complètes, des équipes initialement placées sur le chantier de Gignac. Par conséquent et dans la mesure où la commune de Gignac ne conteste pas l'évaluation du préjudice subi par la société SPIE Batignolles Malet du fait de cette perte de productivité, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif l'a condamnée à verser à cette société à ce titre la somme de 26 506,69 euros hors taxes.

S'agissant des frais supplémentaires liés au retrait de la société SPIE du chantier de Gignac semaine 39 de 2013, soit à compter du 26 septembre 2013 :

25. Si, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la réalité de l'impossibilité pour la société Spie Batignolles Malet d'avoir pu, comme cela était prévu par le planning du marché, commencer l'exécution de la seconde phase du lot n° 1 du marché à partir du mois de septembre 2013 est établie, la société pas plus en appel qu'elle ne le faisait en première instance, ne justifie de ce qu'elle aurait été contrainte de placer au titre de la semaine 39, soit celle débutant le lundi 25 septembre 2013, l'équipe placée sur le chantier de Gignac sur un autre chantier, ce qui aurait conduit à une perte de productivité de ses salariés dont elle demande réparation.

S'agissant de l'absence d'amortissement des frais généraux de l'année 2013 :

26. Aux termes de l'article 10 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux : " Contenu et caractère des prix / 10.1 Contenu des prix / 10.11 Les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux, y compris les frais généraux, impôts et taxes, et assurer à l'entrepreneur une marge pour risques et bénéfices ".

27. Il ressort des stipulations précitées qu'elles s'appliquent aux prix fixés par le marché et n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'indemnisation intégrale du préjudice subi par le titulaire du marché du fait de retards dans l'exécution du marché imputables au maître de l'ouvrage ou à ses autres cocontractants et distincts de l'allongement de la durée du chantier due à la réalisation des travaux supplémentaires, dès lors que ce préjudice apparaît certain et présente avec ces retards un lien de causalité directe. Au nombre de ces préjudices se trouve notamment le préjudice inhérent au surcroît de frais généraux causé par l'allongement de la durée du chantier au-delà du temps nécessaire à l'exécution des travaux supplémentaires rémunérés par ailleurs qui constitue un préjudice distinct de celui qu'indemnisent les sommes allouées au titre des frais non prévus d'installation, d'implantation, de renforcement du personnel et de sous-utilisation de celui-ci

28. La société Spie Batignolles Malet ne justifie concrètement ni de la nature ni du quantum de frais généraux auxquels elle aurait été exposée du fait du paiement différé de la somme de 405 000 euros en raison de l'absence d'exécution de la totalité du chantier en 2013. C'est par conséquent à bon droit que le tribunal a rejeté ses conclusions présentées sur ce point

En ce qui concerne les appels en garantie présentés par la commune de Gignac :

S'agissant de la recevabilité de l'appel en garantie présenté à l'encontre du groupe SECA, et des sociétés PCING et BERIM :

29. Les conclusions d'appel en garantie présentées par la commune de Gignac à l'encontre du groupe SECA, et de la société PCING sont irrecevables, faute pour ces sociétés d'avoir été présentes en première instance. Par ailleurs ainsi que l'oppose la société BERIM en défense, les conclusions d'appel en garantie présentées par la commune de Gignac à son encontre sont irrecevables faute pour cette société d'avoir été présente en première instance.

S'agissant de l'appel en garantie présenté à l'encontre de la société Ibis Construction :

30. Les conclusions d'appel en garantie présentées par la commune de Gignac à l'encontre de la société Ibis Construction sont irrecevables faute d'avoir été présentées en première instance.

S'agissant de l'appel en garantie présenté à l'encontre de la société Tognella Architectes :

31. Compte tenu, ainsi qu'il est dit aux points 11 et 14 du présent arrêt, de l'absence de faute commise par la société Tognella Architectes dans sa mission de maîtrise d'œuvre, tant dans la direction de l'exécution des travaux, que dans le choix de l'entreprise Ibis Construction, lequel a été le fait de la commune de Gignac, l'appel en garantie présenté par la commune de Gignac à l'encontre de la société Tognella Architectes doit être rejeté.

32. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la société Tognella Architectes 2AI est fondée à demander la réformation de l'article 2 du jugement attaqué en tant qu'il la condamne in solidum avec la commune de Gignac et la société Ibis Construction à verser à la société Spie Batignolles Malet la somme de 81 106,69 euros, d'autre part, que l'appel incident de la société Spie Batignolles Malet doit être rejeté et, enfin, que la commune de Gignac n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier l'a condamnée à verser à la société Spie Batignolles Malet la somme de 81 106,69 euros

Sur les frais liés au litige :

33. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de la société Spie Batignolles Malet, de M. A... et de la société A... et de la société Berim. Il y a lieu en revanche, sur le fondement de ces dispositions, de mettre à la charge de la commune de Gignac une somme de 1 500 euros au bénéfice de la société Tognella Architectes 2AI. Par ailleurs, les dispositions de cet article L. 761-1 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune de Gignac, partie perdante, relatives aux frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du 18 mars 2020 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il condamne la société Tognella Architectes 2AI in solidum à verser à la société Spie Batignolles Malet la somme de 81 106,69 euros.

Article 2 : La commune de Gignac versera la somme de 1 500 euros à la société Tognella Architectes 2AI sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 3: La requête de la commune de Gignac est rejetée.

Article 4: Les appels incidents présentés par la société Spie Batignolles Malet dans les requêtes n°s 20TL01906 et 20TL03057 sont rejetés.

Article 5: Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Gignac, à la société anonyme Spie Batignolles Malet, à la société à responsabilité limitée Tognella architectes 2AI, à la société Ibis Construction, à M. B... A..., à la société par actions simplifiée A... Meunier Coordination, à la société anonyme Bureau d'études et de recherches pour l'industrie moderne, au Groupe Seca, et à la société PCING.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2023 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2023.

Le rapporteur

P. Bentolila

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°20TL01906 et 20TL03057

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL01906
Date de la décision : 13/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Pierre BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : AARPI MB Avocats

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-06-13;20tl01906 ?
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