Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner l'État à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et une somme de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence résultant de carences fautives dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante.
Par un jugement n° 1802274 du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille le 28 juillet 2021, puis réenregistrée le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, M. B..., représenté par Me Andreu, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de condamner l'État à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et une somme de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande d'indemnisation du 26 avril 2018 et de la capitalisation des intérêts, résultant des carences fautives de l'État dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la créance en litige n'est pas prescrite dès lors que le préjudice moral d'anxiété invoqué présente un caractère continu, susceptible d'évoluer dans le temps ; le préjudice lié à l'anxiété est également susceptible d'évoluer à chaque fois qu'un salarié confronté au même risque d'inhalation de poussières d'amiante est touché par une maladie cancéreuse reconnue d'origine professionnelle ; l'anxiété est par ailleurs régulièrement réactivée lors des contrôles et des examens ;
- la période d'exposition ayant eu lieu avant l'entrée en vigueur du décret du 17 août 1977, le délai de prise en charge de quarante ans expire le 17 août 2017 ; par conséquent, la saisine de la ministre du travail le 26 avril 2018 est intervenue moins de quarante ans après l'expiration du délai de prise en charge prévu par les tableaux 30 et 30 bis des maladies professionnelles pour le cancer broncho-pulmonaire et mésothéliome ;
- le délai de prescription quadriennale a été interrompu par les procédures juridictionnelles engagées pour l'indemnisation des préjudices en lien avec la carence fautive de l'État jusqu'à l'intervention des arrêts du Conseil d'État du 3 mars 2004 n° 241150 et suivants et du 9 novembre 2015 n° 342468, qui ont reconnu la responsabilité de l'État du fait de son abstention à prendre des mesures avant l'intervention du décret du 17 août 1977 ;
- pour ce qui est du site de Tamaris, un arrêté interministériel du 12 avril 2011 l'a inscrit, à compter du 20 avril 2011 et au titre de la période de 1949 à 1996, sur la liste complémentaire des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;
- le lien de causalité entre la carence fautive de l'État et le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis tient notamment dans le fait de devoir procéder régulièrement à une consultation médicale et à un examen tomodensitométrique thoracique ;
- la réalité des préjudices invoqués est établie ; le fait de ne pas être tombé malade ne saurait faire obstacle à la réparation intégrale de ses préjudices.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la prescription quadriennale opposable aux salariés tendant à la réparation de leur préjudice d'anxiété court à compter de leur connaissance des risques, intervenue en l'espèce à compter du 20 avril 2011, date de publication au Journal officiel de la République française de l'arrêté interministériel du 12 avril 2011 portant inscription, au titre de la période de 1949 à 1996, de la Société des ateliers et fonderies de Tamaris à laquelle ont succédé les Aciéries du Haut Languedoc, dont la suite a été prise par les Aciéries et Fonderies de Tamaris, sur la liste complémentaire des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; en l'espèce la réparation du préjudice n'a été sollicitée qu'en 2018 ;
- par ailleurs, le délai de prescription quadriennale ne peut être interrompu par les recours ou les plaintes des autres salariés tant contre leur employeur que contre l'État.
Par une ordonnance du 9 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 28 mars 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ancien salarié des aciéries et fonderies du site de Tamaris à Alès (Gard), a saisi la ministre du travail, en 2018, d'une demande tendant à la réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant de son exposition à l'amiante lors de l'exercice de son activité professionnelle. La ministre du travail a implicitement rejeté cette demande. M. B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner l'État à lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant des carences fautives de l'État.
2. M. B... relève appel du jugement du 30 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". L'article 2 de la même loi dispose que : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ".
4. D'autre part, aux termes du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 : " Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif ; / 2° Avoir atteint l'âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans ; / 3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget. / Le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité est ouvert aux ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle (...) ". Ces dispositions instaurent un régime particulier de cessation anticipée d'activité permettant aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication ou de traitement de l'amiante ou de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, dits " travailleurs de l'amiante ", de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle.
5. En premier lieu, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 3, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.
6. Le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un salarié éligible à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante mentionnée au point 4 naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante. La publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel dans les conditions mentionnées au point 4, est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante. Le droit à réparation du préjudice en question doit donc être regardé comme acquis, au sens des dispositions citées au point 3, pour la détermination du point de départ du délai de prescription, à la date de publication de cet arrêté. Dès lors que l'exposition a cessé, la créance se rattache, en application de ce qui a été dit au point 5, non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.
7. En second lieu, d'une part, les recours formés à l'encontre de l'État par des tiers tels que d'autres salariés victimes, leurs ayants droit ou des sociétés exerçant une action en garantie fondée sur les droits d'autres salariés victimes ne peuvent être regardés comme relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, dont ils ne peuvent dès lors interrompre le délai de prescription en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968. D'autre part, les dispositions de cet article subordonnant l'interruption du délai de prescription qu'elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique, les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formées devant les juridictions judiciaires ne peuvent, en tout état de cause, en l'absence d'une telle mise en cause, davantage interrompre le cours du délai de prescription de la créance le cas échéant détenue sur l'État.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B..., qui n'a saisi la ministre du travail qu'en 2018 d'une demande tendant à la réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant de son exposition à l'amiante, soit au-delà du délai de quatre ans courant à compter du 20 avril 2011, date de publication au Journal officiel de la République française de l'arrêté interministériel du 12 avril 2011 portant inscription, au titre de la période de 1949 à 1996, de la Société des ateliers et fonderies de Tamaris, à laquelle ont succédé les Aciéries du Haut Languedoc et dont la suite a été prise par les Aciéries et fonderies de Tamaris, sur la liste complémentaire des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'appelant demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2: Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 18 avril 2023 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.
Le rapporteur,
P. Bentolila
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL03050