Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Axa France Iard a notamment demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, les sociétés Ingerop Expertise et Structure, Wilmotte et associés, Axima Concept et Sogéa Sud Bâtiment et M. B... A... à lui verser une somme de 294 494,58 euros correspondant aux frais qu'elle a avancés en sa qualité d'assureur subrogé de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée.
Par un jugement n° 1800960-1800964 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Montpellier a notamment condamné, à l'article 3 de ce jugement, la sociétés Ingerop Conseil et Ingénierie à verser à la société Axa France Iard la somme de 24 510 euros toutes taxes comprises, en réparation, d'une part, du désordre n° 2 afférent au dysfonctionnement du système de récupération de l'énergie de l'interface entre l'air provenant du puits canadien et du circuit d'air soufflé et, d'autre part, du désordre n° 9 afférent au fonctionnement figé des installations Honeywell. Par ailleurs, il a condamné in solidum la société Ingerop Conseil et Ingénierie et la société Sogéa Sud à verser à la société Axa France Iard la somme de 226 041,32 euros toutes taxes comprises, en réparation du désordre n° 6 afférent à l'augmentation du taux d'humidité relative dans les locaux du sous-sol de la médiathèque.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire, enregistré le 30 mars 2023, qui n'a pas été communiqué, la société par actions simplifiée Ingerop Conseil et Ingénierie, représentée par la société d'avocats Interbarreaux Sanguinède di Frenna et associés, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 Juillet 2021 en tant qu'il l'a condamnée, d'une part, à verser à la société Axa France Iard la somme de 24 510 euros toutes taxes comprises en ce qui concerne la réparation des désordres n° 2 et n° 9 et, d'autre part, à verser in solidum avec la société Sogéa Sud la somme de 226 041,32 euros toutes taxes comprises en réparation du désordre n° 6 ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner la société Axima Concept à la garantir de la somme de 24 510 euros toutes taxes comprises à hauteur de 90 % en ce qui concerne la réparation des désordres n° 2 et n° 9 ;
3°) de condamner les sociétés Sogéa Sud, venant aux droits de la société Dumez Sud, et Viaterra, venant aux droits de la société Équipement du Biterrois et de son Littoral, à la garantir de la somme de 226 041,32 euros toutes taxes comprises à hauteur de 80 % en ce qui concerne la réparation du désordre n° 6 ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la société Axa France Iard la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, le désordre n° 6 ne lui est pas imputable ; en effet, elle n'avait aucune mission relative à l'établissement des notes de calcul et des plans d'exécution, le lot gros œuvre concerné par le désordre n° 6 mettant à la charge de la société Dumez Sud ces études d'exécution ;
- le caractère décennal des désordres n° 2 et n° 9 affectant l'ouvrage n'étant pas établi, le recours subrogatoire de la société d'assurance Axa France Iard, intervenant en qualité d'assureur dommages-ouvrage du maître de l'ouvrage, ne pouvait être exercé par cette dernière ;
- en tout état de cause, le désordre n° 2 ne lui est pas imputable dès lors qu'il trouve pour unique origine l'absence de réalisation des travaux prévus au marché de la société Axima Concept pour lesquels cette dernière a été payée ; elle n'a pas manqué à son devoir de conseil dès lors que cette non-conformité n'était pas visible même pour un professionnel ;
- quant au désordre n° 9 qui trouve son origine dans un défaut de paramétrage informatique qui ne relève pas de sa compétence, elle n'a pas manqué à son devoir de conseil ; il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir réalisé de tests de bon fonctionnement dès lors que cette prestation était à la charge de la société Axima Concept, titulaire du lot n° 13 ;
- à titre subsidiaire, en ce qui concerne le désordre n° 6, eu égard aux fautes commises tant par la société Dumez Sud que par la société Équipement du Biterrois et de son Littoral qui avait des missions assimilables à celles d'un locateur d'ouvrage, elle est fondée à être relevée et garantie par ces sociétés de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre et excédant 20 % ;
- en ce qui concerne les désordres n° 2 et n° 9, eu égard aux fautes commises par la société Axima Concept, elle est fondée à être relevée et garantie par cette société de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre et excédant 10 %.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2022, la société Axa France Iard, représentée par Me Rigeade, conclut :
1°) à titre principal, à la confirmation du jugement attaqué ;
2°) au rejet de la requête ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Ingerop Conseil et Ingénierie le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) à titre subsidiaire, à la réformation, par la voie de l'appel incident, des articles 2 et 3 du jugement en tant qu'il n'a pas condamné solidairement les sociétés Ingerop Conseil et Ingénierie, Wilmotte et associés, Axima Concept, Sogéa Sud Bâtiment et M. A... au paiement de la somme de 294 494,58 euros correspondant aux frais qu'elle a avancés en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage ;
5°) à la condamnation solidaire de ces mêmes personnes au paiement de la somme de 17 543,89 euros correspondant aux frais d'expertise ;
6°) à ce qu'il soit mis à la charge solidaire de ces mêmes personnes le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, en ce qui concerne le désordre n° 6, ce désordre est imputable à la société appelante ;
- en ce qui concerne les désordres n° 2 et n° 9, en qualité d'assureur subrogé dans les droits et actions de son assuré, ses droits et ses actions ne sont pas limités à la responsabilité décennale en l'absence de disposition légale ou conventionnelle limitant son recours ; l'appelante a commis une faute dès lors que les désordres n° 2 et n° 9 auraient dû être décelés par la maîtrise d'œuvre, comme l'a relevé l'expert judiciaire ;
- à titre subsidiaire, les conclusions d'appel en garantie de la société appelante ne la concernent pas dès lors qu'elle entend récupérer les sommes qu'elle a avancées au titre de la condamnation solidaire des intervenants, qui n'est pas remise en cause.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2022, la société Wilmotte et associés et M. A..., représentés par Me Tirel, concluent :
- à titre principal, à ce qu'ils soient mis hors de cause de l'instance ;
- à titre subsidiaire, au rejet de toutes les demandes de la société Axa France Iard et en particulier, celle concernant la condamnation solidaire au paiement des frais d'expertise ;
- à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation des sociétés Ingerop Conseil et Ingénierie, Axima Concept, Sogéa Sud Bâtiment et Viaterra à les garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre ;
- en tout état de cause à ce qu'il soit mis à la charge de la société Ingerop Conseil et Ingénierie le versement, à chacun d'eux, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- à titre principal, aucune demande n'est formée à leur encontre ;
- à titre subsidiaire, la société Axa France Iard ne verse pas à l'instance les quittances subrogatoires justifiant le paiement entre les mains du maître de l'ouvrage de la somme de 294 494,58 euros ; la subrogation de la compagnie d'assurances dans les droits de son assuré, n'est pas établie ;
- ils ne sauraient être tenus au paiement des frais concernant l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Montpellier dès lors qu'ils n'étaient pas parties à cette instance ;
- à titre infiniment subsidiaire, ils n'étaient en charge ni de la rédaction des cahiers des clauses techniques particulières concernant les lots techniques, ni de leur conception, ni du suivi d'exécution de ces lots ;
- sur le terrain de la responsabilité contractuelle, les conclusions de l'expert ne retiennent, les concernant, aucune part de responsabilité ;
- ils doivent être garantis de toute condamnation prononcée à leur encontre, d'une part, par la société appelante résultant des manquements de cette dernière et, d'autre part, par les sociétés Axima Concept et Sogéa Sud Bâtiment et Viaterra.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 décembre 2021 et le 29 mars 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Viaterra, anciennement dénommée société Équipement du Biterrois et de son littoral, représentée par Me Broc, conclut :
- au rejet des conclusions d'appel en garantie de la société Ingerop Conseil et Ingénierie dirigées à son encontre ;
- à ce qu'il soit mis à la charge de la société Ingerop Conseil et Ingénierie le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de son contrat de maîtrise d'ouvrage délégué ; le rapport d'expertise ne confirme nullement les allégations de la société appelante sur l'existence de cette prétendue faute ;
- elle n'a pas accompli de missions de suivi technique du chantier relevant des attributions du locateur d'ouvrage ni commis des actes non prévus par son contrat de mandat la liant au maître de l'ouvrage ;
- en ce qui concerne le désordre n° 6, le rapport d'expertise n'établit pas que ce désordre lui est, de façon certaine et directe, imputable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2023, la société Axima Concept, représentée par Me Marc, conclut :
- à ce que le jugement attaqué soit réformé en tant qu'il n'a condamné la société Ingerop Conseil et Ingénierie à la garantir, d'une part, de sa condamnation concernant le désordre n° 2 qu'à hauteur de 30 % au lieu de 90 % et, d'autre part, de sa condamnation concernant le désordre n° 9 qu'à hauteur de 20 % au lieu de 30 % ;
- au rejet de toute demande de condamnation la concernant des désordres n° 1, n° 2, n° 4 et n° 9 ;
- à titre subsidiaire, si sa responsabilité était retenue, à la condamnation de la société Ingerop Conseil et Ingénierie à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre à hauteur de 90 % pour le désordre n° 2 et de 30 % pour le désordre n° 9 ;
- à ce qu'il soit mis à la charge de tout succombant une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'assureur ne peut agir, à l'instar du maître d'ouvrage, que sur le terrain de la responsabilité décennale une fois prononcée la réception ; or, les désordres n° 1, n° 2 et n° 9 ne peuvent faire l'objet d'une réparation que sur le terrain contractuel ;
- elle n'est pas intervenue au titre des travaux en lien avec le désordre n° 6.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique,
- les observations de Me Latapie, représentant la société Ingerop Conseil et Ingénierie, celles de Me Rigeade, représentant la société Axa France Iard et celles de Me Marc, représentant la société Axima Concept.
Considérant ce qui suit :
1. En 2002, la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée a engagé la construction de la médiathèque centrale André Malraux. À cette fin, une convention de mandat a été passée avec la Société d'Équipement du Biterrois et de son Littoral, devenue société anonyme d'économie mixte Viaterra, pour la réalisation des études et du projet. La communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée a souscrit, le 28 novembre 2006, une police dommages-ouvrage auprès de la compagnie d'assurance Axa France Iard pour la réalisation de ce bâtiment. Les marchés de travaux, répartis en 18 lots, comprenaient notamment le lot n° 1
" Terrassement fondation Gros Œuvre charpente Métallique " attribué à la Société Dumez Sud, devenue Sogéa Sud, dont la réception sans réserve est intervenue le 16 septembre 2009. Différents désordres ayant été constatés, à la demande de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a, par une ordonnance n° 1003357 du 11 octobre 2010, diligenté une expertise. L'expert a déposé son rapport le 26 mars 2015. À la demande de société Axa France Iard, le juge des référés du tribunal de grande instance de Montpellier a également, par une ordonnance du 31 mars 2011, ordonné une expertise. La société Axa France Iard, en qualité d'assureur des dommages-ouvrage de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée, a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner in solidum notamment les sociétés Ingerop Expertise et Structures, devenue Ingerop Conseil et Ingénierie et Sogéa Sud Bâtiment à lui verser la somme de 294 494,58 euros correspondant aux frais qu'elle a avancés en sa qualité d'assureur dommage-ouvrage. La société Ingerop Conseil et Ingénierie relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 juillet 2021 en tant qu'il l'a condamnée, d'une part, à verser à la société Axa France Iard la somme de 24 510 euros toutes taxes comprises en ce qui concerne la réparation des désordres n° 2 et n° 9 et, d'autre part, à verser in solidum avec la société Sogéa Sud la somme de 226 041,32 euros toutes taxes comprises, en réparation du désordre n° 6. La société Axa France Iard conclut, à titre subsidiaire, à la réformation, par la voie de l'appel incident, des articles 2 et 3 du jugement en tant qu'il n'a pas condamné solidairement les sociétés Ingerop Conseil et Ingénierie, Wilmotte et associés, Axima concept, Sogéa Sud Bâtiment et M. A... au paiement de la somme de 294 494,58 euros correspondant aux frais qu'elle a avancés en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage.
Sur le recours subrogatoire de la société Axa France Iard :
2. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur ".
3. L'assureur qui bénéficie de la subrogation instituée par les prescriptions de l'article L. 121-12 du code des assurances dispose de la plénitude des droits et actions que l'assuré qu'il a dédommagé aurait été admis à exercer à l'encontre de toute personne responsable, à quelque titre que ce soit, du dommage ayant donné lieu au paiement de l'indemnité d'assurance.
4. Le recours subrogatoire présenté sur le fondement de l'article L. 121-12 du code des assurances par la société Axa France Iard devant les premiers juges tendait à rechercher la responsabilité des intervenants au marché passé par la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée pour la réalisation de la médiathèque sur le fondement, à titre principal, de la garantie décennale et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre. Dans ces conditions et à supposer même que les désordres n° 2 et n° 9 ne présentaient pas un caractère décennal, la société Axa France Iard, qui a justifié en première instance avoir indemnisé la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée à hauteur de 294 494,58 euros, restait fondée à exercer son recours subrogatoire sur le terrain de la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre.
En ce qui concerne l'imputabilité du désordre n° 6 sur le terrain de la garantie décennale :
5. La responsabilité décennale d'un constructeur ne peut être engagée que si les désordres lui sont imputables en ce qu'ils ne sont pas sans lien avec l'objet de ses obligations contractuelles.
6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, que le désordre qualifié de " n° 6 " par cet expert se manifeste par l'augmentation du taux d'humidité relative dans les locaux du sous-sol de la médiathèque, affectés au stockage et à la conservation des livres et documents, en méconnaissance des valeurs limites fixées contractuellement. Il résulte également de l'instruction et de ce rapport que ce désordre trouve son origine dans les venues d'eau au travers le sol et les parois, que les directives concernant la construction ont été imposées à la société Dumez Sud, notamment par le maître d'œuvre, et que les propositions de modifications de ces directives faites par cette société au cours des travaux n'ont pas été acceptées. Comme l'ont estimé les premiers juges, ce désordre trouve son origine à la fois dans la conception du système mis en œuvre en vue d'assurer l'étanchéité des locaux et dans la réalisation localement défectueuse de ce système et ce, malgré les observations formulées notamment par la société Dumez Sud en ce qui concerne la conception.
7. Si la société Ingerop Conseil et Ingénierie soutient que ce désordre ne lui est pas imputable, il ressort toutefois de l'annexe au contrat de maîtrise d'œuvre portant répartition des tâches entre intervenants qu'elle avait en charge, au stade de la rédaction du cahier des clauses techniques particulières, avec deux autres membres du groupement de maîtrise d'œuvre, l'exécution des plans et des schémas de principe des principaux équipements techniques, notamment les schémas de principe des installations de chauffage, ventilation, climatisation, bilan thermique et bilan d'exploitation et les plans de principe des fondations et de structure avec indication du pré-dimensionnement. Au stade de l'étude du projet, il lui incombait de s'assurer de l'exécution des plans techniques concernant le gros œuvre à l'échelle 1/50ème et, en particulier, les plans d'implantation des fondations avec coupes et les plans de structure par niveau avec coupes et dimensionnement. En outre, si le document de consultation des entreprises concernant le lot n° 1 " Terrassement-fondations-gros-œuvre-charpente " assignait à son titulaire, la société Dumez Sud, la réalisation des études d'exécution nécessaires à la réalisation du projet sans recours à des études complémentaires de la maîtrise d'œuvre, il appartenait cependant à la société Ingerop Conseil et Ingénierie, dans la phase direction de l'exécution des contrats de travaux, de viser pour les lots techniques, dont faisait partie le lot précité, les documents d'exécution des entreprises afin de vérifier leur conformité aux contrats et aux règles de l'art et de contrôler la conformité de la réalisation des travaux concernant les lots techniques par des visites techniques de spécialistes. Par suite, la responsabilité décennale de la société Ingerop Conseil et Ingénierie, qui était chargée de la conception du système mis en œuvre en vue d'assurer l'étanchéité des locaux, pouvait être recherchée par la société Axa France Iard exerçant son recours subrogatoire dans les droits de son assuré.
En ce qui concerne l'imputabilité des désordres n° 2 et n° 9 sur le terrain de la responsabilité contractuelle :
8. La responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.
9. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, que le désordre n° 2, qui s'est manifesté par l'absence de récupération de chaleur par l'interface entre l'air provenant du puits canadien et celui du circuit soufflé, résulte du défaut d'installation d'un système de filtrage en amont des batteries d'échange d'air provoquant l'encrassement de ces dernières. Cette absence de filtres, lesquels auraient dû être installés par la société Axima Concept, titulaire du lot n° 13, est apparue dès la mise en service de ces installations en décembre 2009 et n'a pas fait l'objet de réserves au moment de la réception. Il résulte également de l'instruction et notamment du rapport précité, que l'absence d'équipement en filtres des batteries ne pouvait échapper à un simple examen visuel, au plus tard lors des opérations préalables à la réception et donner lieu à une réserve, ce qui n'a pas été fait.
10. Quant au désordre n° 9, il résulte de l'instruction qu'il trouve son origine dans un défaut de paramétrage réalisé par la société Honeywell pour le compte de la société Axima Concept. Ce désordre, qui est apparu à la date où les installations réalisées par la société Axima Concept ont été mises en œuvre et s'est manifesté par le caractère figé des automates, pouvait être mis en évidence par de simples essais de fonctionnement.
11. S'il résulte ainsi de l'instruction que la société Axima Concept avait failli à ses obligations contractuelles, il appartenait, cependant, à la société Ingerop Conseil et Ingénierie, qui avait en charge, comme cela a été dit au point 7, la mission " direction de l'exécution des contrats de travaux ", de vérifier la conformité des travaux réalisés par les titulaires des lots techniques aux contrats et aux règles de l'art. Si cette dernière avait procédé aux vérifications qu'elle était contractuellement tenue de mettre en œuvre, les défauts de conformité pointés par l'expertise comme étant à l'origine des désordres n° 2 et n° 9, décelables par un simple examen visuel pour le désordre n° 2 et par de simples essais de fonctionnement pour le désordre n° 9, n'auraient pas dû lui échapper. Dès lors, en s'abstenant d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur ces désordres dont elle pouvait avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves, la société Ingerop Conseil et Ingénierie a failli à son devoir de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage. Ce manquement est de nature à engager sa responsabilité contractuelle au titre des désordres n° 2 et n° 9, qui pouvait être recherchée par la société Axa France Iard exerçant son recours subrogatoire dans les droits de son assuré.
12. Il résulte de ce qui précède que la société Ingerop Conseil et Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, elle a été condamnée, d'une part, à verser à la société Axa France Iard la somme de 24 510 euros toutes taxes comprises en ce qui concerne la réparation des désordres n° 2 et n° 9 et, d'autre part, à verser in solidum avec la société Sogéa Sud la somme de 226 041,32 euros toutes taxes comprises, en réparation du désordre n° 6.
13. Les conclusions de la société appelante contestant sa condamnation prononcée au profit de la société Axa France Iard étant rejetées, il n'y a pas lieu de statuer sur l'appel incident présenté seulement à titre subsidiaire par cette dernière.
Sur les conclusions d'appel en garantie de la société Ingerop Conseil et Ingénierie :
14. Comme cela a déjà été exposé aux points 9 à 11, les désordres n° 2 et n° 9 sont imputables, d'une part, à la société Ingerop Conseil et Ingénierie, qui a failli à son devoir de conseil à l'égard du maitre de l'ouvrage, et, d'autre part, à la société Axima Concept, qui a failli à ses obligations contractuelles. Dès lors, le préjudice résultant pour le maître de l'ouvrage de la réception définitive de la médiathèque sans réserves en ce qui concerne l'absence de filtre et le défaut de paramétrage, à l'origine des désordres n° 2 et n° 9, était directement imputable aux fautes commises par la société Axima Concept dans l'exécution des travaux dont elle était chargée. Compte tenu de la part prépondérante de la faute commise par la société Axima Concept dans la réalisation des désordres n° 2 et n° 9, la société Ingerop Conseil et Ingénierie est fondée à appeler en garantie la société Axima à concurrence de 70 % pour le désordre n° 2 et à concurrence de 80 % pour le désordre n° 9, ainsi que cela a été jugé par le tribunal. Par suite, les conclusions de la société Ingerop Conseil et Ingénierie tendant à ce qu'elle soit garantie par la société Axima Concept à hauteur de 90 %, tant pour le désordre n° 2 que pour le désordre n° 9, ne peuvent qu'être rejetées.
15. En deuxième lieu, d'une part, l'appel en garantie est possible, même en l'absence de condamnation solidaire, lorsqu'un constructeur fait valoir qu'un autre constructeur doit le garantir de sa condamnation à réparer un préjudice au titre de sa responsabilité propre dans la survenance des désordres qui sont à l'origine de cette condamnation.
16. D'autre part, l'action en garantie décennale n'est ouverte au maître de l'ouvrage qu'à l'égard des constructeurs avec lesquels il a été lié par un contrat de louage d'ouvrage.
17. La convention de mandat pour l'étude et la réalisation de la médiathèque, conclue entre la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée, maître de l'ouvrage, et la société d'Équipement du Biterrois et de son Littoral, devenue la société Viaterra, détermine, conformément à l'article 3 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, alors en vigueur, les attributions que le maître de l'ouvrage confient à son mandataire " dans la limite du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle qu'il a arrêtés ". À cet égard, s'agissant de la réalisation des opérations, cette convention donne mandat à la société d'Équipement du Biterrois et de son Littoral pour exercer au nom et pour le compte du maître de l'ouvrage diverses attributions au titre desquelles figuraient le suivi du chantier sur le plan technique. Conformément à l'article 5 de la loi précitée, la convention définit les rapports entre le maître de l'ouvrage et le mandataire. L'article 15 de la convention stipule à ce titre que la société mandataire assurera un suivi permanent de la réalisation de l'ouvrage dans le respect du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle. Il résulte de l'ensemble de ces stipulations que la convention revêt le caractère d'un contrat de mandat et non de louage d'ouvrage. Par suite, la qualité de constructeur ne peut être reconnue à la société d'Équipement du Biterrois et de son Littoral.
18. Au demeurant, s'il résulte de l'instruction que la société d'Équipement du Biterrois et de son Littoral s'est opposée à la proposition de la société Dumez Sud de modifier la structure du dallage en sous-sol et s'est conformée à ses obligations contractuelles de suivi permanent de la réalisation de l'ouvrage dans le respect du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle en mettant en demeure la société Dumez Sud de se conformer aux dispositions techniques, financières et de délais initialement fixés dans son contrat. S'il résulte également de l'instruction que la société Dumez Sud avait également attiré l'attention de la société d'Équipement du Biterrois et de son Littoral sur l'absence de drainage périphérique en pied de la structure du sous-sol, il n'est cependant pas établi que cette dernière n'aurait pas signalé cet élément au maître de l'ouvrage.
19. Il résulte de ce qui précède que les conclusions d'appel en garantie de la société Ingerop Conseil et Ingénierie dirigées contre la société Viaterra ne peuvent qu'être rejetées.
20. En dernier lieu, comme cela a déjà été exposé au point 6, il résulte de l'instruction que le désordre n° 6 trouve son origine à la fois dans la conception du système mis en œuvre en vue d'assurer l'étanchéité des locaux et dans la réalisation localement défectueuse de ce système et ce, malgré les observations formulées notamment par la société Dumez Sud en ce qui concerne la conception. À cet égard, il résulte de l'instruction que la société Dumez Sud a vainement proposé, notamment à la société Ingerop Conseil et Ingénierie, le remplacement du système initialement conçu par un dallage drainant en sous-sol. Dans ces conditions, la société Sogéa Sud, venant aux droits de la société Dumez Sud, est condamnée à garantir la société Ingerop Conseil et Ingénierie à hauteur de 10 %.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ingerop Conseil et Ingénierie est seulement fondée à être garantie de sa condamnation solidaire à hauteur de 10 % pour le désordre n° 6 par la société Sogéa Sud.
Sur les conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société Ingerop Conseil et Ingénierie par la société Axima Concept:
22. Pour les motifs exposés au point 14, compte tenu de la part prépondérante de la faute commise par la société Axima Concept dans la réalisation des désordres n° 2 et n° 9, la société Axima Concept est seulement fondée à appeler en garantie de sa condamnation solidaire la société Ingerop Conseil et Ingénierie à concurrence de 30 % pour le désordre n° 2 et à concurrence de 20 % pour le désordre n° 9, ainsi que cela a été jugé par les premiers juges. Par suite, les conclusions de la société Axima Concept tendant à ce qu'elle soit garantie par la société Ingerop Conseil et Ingénierie pour le désordre n° 2 à hauteur de 90 % et pour le désordre n° 9 à hauteur de 30 %, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Ingerop Conseil et Ingénierie sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la société Axa France Iard n'étant pas la partie perdante.
24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Ingerop Conseil et Ingénierie le versement à chacune des sociétés intimées, à l'exclusion de la société Sogéa Sud, d'une somme de 700 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La société Sogéa Sud est condamnée à garantir la société Ingerop Conseil et Ingénierie à hauteur de 10 % de la condamnation solidaire à verser à la société Axa France Iard la somme de 226 041,32 euros toutes taxes comprises, en réparation du désordre n° 6.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 juillet 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : La société Ingerop Conseil et Ingénierie versera à chacune des sociétés intimées, à l'exclusion de la société Sogéa Sud, une somme de 700 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des prétentions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Ingerop Conseil et Ingénierie, à la société Axa France Iard, à la société par actions simplifiée Wilmotte et associés, à M. B... A..., à la société anonyme d'économie mixte Viaterra, à la société anonyme Axima Concept et à la société par actions simplifiée Sogéa Sud Bâtiment.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2023 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2023.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL03778