Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme SMA SA, agissant en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage subrogée dans les droits de la région Occitanie, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner in solidum, sur le fondement de la responsabilité décennale, la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou et la société TPF Ingénierie, venant aux droits de la société Beterem Ingénierie, à lui verser la somme de 206 013,77 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du dépôt de la présente requête, au titre des indemnités qu'elle a versées à la région Occitanie correspondant au montant des travaux de reprise des désordres affectant le lycée professionnel hôtelier de Mazamet.
Par un jugement n° 1806138 du 8 avril 2021, le tribunal administratif de Toulouse a, d'une part, condamné solidairement les sociétés Kieken-Kerloveou et TPF Ingénierie à verser à la société SMA SA la somme de 206 013,77 euros, et, d'autre part, condamné la société TPF Ingénierie à garantir la société Kieken-Kerloveou à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à son encontre et la société ETB, à garantir la société TPF Ingénierie à hauteur de 80 % de la condamnation prononcée à son encontre.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux le 26 mai 2021, puis réenregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse le 1er mars 2022, la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou, représentée par Me Massol, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 avril 2021 ;
2°) de rejeter la demande de la SA SMA présentée à son encontre ;
3°) subsidiairement, de condamner la société TPF Ingénierie à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre au profit de la SA SMA ;
4°) de mettre à la charge de tout succombant le versement à son profit de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le rapport d'expertise, qui relève que les désordres du fait de l'absence d'étanchéité de la construction, rendaient l'immeuble impropre à sa destination, impute l'essentiel des désordres à l'entreprise ETB et le tribunal administratif a rappelé à plusieurs reprises dans son jugement que les désordres étaient imputables à des fautes d'exécution de la société ETB ;
- elle est en droit de demander à être exonérée de toute responsabilité, faute d'avoir commis la moindre faute, ainsi que le relève le rapport d'expertise ;
- c'est la société Beterem, aux droits de laquelle vient la société TPF Ingénierie, qui a procédé à la levée des réserves ; si la société appelante, en sa qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre a signé les procès-verbaux de levée des réserves, seule la société TPF Ingénierie a suivi les travaux, rédigé la liste des réserves, avant de les lever après examen ; elle est donc fondée à appeler en garantie la société TPF Ingénierie à hauteur de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre.
Par un mémoire, enregistré le 23 août 2021, la société TPF Ingénierie venant aux droits de la société Beterem Ingénierie, représentée par Me Prévost, demande à la cour, à titre principal, l'annulation du jugement, et de rejeter les conclusions dirigées à son encontre par la SMA SA, à titre subsidiaire, et par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à garantir la société Kieken-Kerloveou à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à son encontre, et de rejeter toutes les conclusions présentées par la société d'architecture Kieken-Kerloveou à son encontre, à titre infiniment subsidiaire de confirmer le jugement en toutes ces dispositions, et, en tout état de cause, de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les désordres sont entièrement imputables à la société ETB ainsi qu'il ressort du rapport d'expertise ;
- par ailleurs, la société Kieken-Kerloveou, qui a signé les procès-verbaux de réception, avait une mission de maîtrise d'œuvre complète, ainsi que l'établit le tableau de répartition des honoraires, incluant le lot n° 3 " étanchéité ", et était mandataire solidaire du groupement ;
- enfin, aucune pièce ne démontre l'absence de pérennité des travaux de reprise réalisés par ETB.
Par un mémoire du 2 mars 2023, la société SMA SA demande le rejet de la requête de la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou et de la société TPF Ingénierie et à ce qu'il soit mis à leur charge in solidum la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
Elle soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- les premiers juges ont limité à tort à 1 000 euros le montant de la somme qu'ils lui ont accordée au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Par une ordonnance du 6 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 7 mars 2023 .
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique
- et les observations de Me Nicaud, représentant la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou.
Considérant ce qui suit :
1. La région Midi-Pyrénées, devenue région Occitanie, a donné mandat à la société publique locale Midi-Pyrénées Construction pour faire procéder à des travaux de réhabilitation du lycée professionnel hôtelier de Mazamet. Par un acte d'engagement signé le 9 mai 2012, la société publique locale Midi-Pyrénées Construction a confié le marché de maîtrise d'œuvre à un groupement de maîtrise d'œuvre composé de la société d'architecture Kieken-Kerloveou, mandataire, du bureau d'études techniques Beterem Ingénierie et de la société Kaloa. Par un acte d'engagement signé le 1er juillet 2013, le lot n° 3 " étanchéité " a été attribué à la société ETB.
2. Par la présente requête, la société d'architecture Kieken-Kerloveou relève appel du jugement du 8 avril 2021 du tribunal administratif de Toulouse, en tant qu'il la condamne solidairement avec la société TPF Ingénierie à verser à la société SMA SA, agissant par subrogation dans les droits de la région Occitanie en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, la somme de 206 013,77 euros, et en tant que ce jugement a seulement condamné la société TPF Ingénierie à la garantir à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à son encontre. La société TPF Ingénierie, venant aux droits de la société Beterem Ingénierie, demande à la cour, par la voie de l'appel incident, à titre principal, l'annulation du jugement et de rejeter les conclusions dirigées à son encontre par la société SMA SA, et, à titre subsidiaire, de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à garantir la société Kieken-Kerloveou à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à son encontre.
Sur l'appel de la société Kieken-Kerloveou :
En ce qui concerne les conclusions relatives à la condamnation solidaire avec la société TPF Ingénierie à verser à la société SMA SA la somme de 206 013,77 euros :
3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Un constructeur peut voir sa responsabilité engagée dès lors qu'il a participé de manière directe et effective à l'acte de construction en cause, sans que l'administration ait à prouver qu'il a commis une faute, le régime de la responsabilité décennale étant un régime de présomption de responsabilité reposant sur la notion d'imputabilité, et non un régime de responsabilité pour faute. Le fait que le dommage pourrait résulter d'autres causes que l'intervention du constructeur ne suffit pas à exonérer celui-ci de sa responsabilité, dès lors qu'il ne peut être exonéré que s'il est établi que le dommage ne peut résulter en aucune façon des travaux réalisés. La notion de faute des autres constructeurs n'intervient qu'au stade de la répartition entre eux de la charge finale de l'indemnité, à l'occasion des éventuels appels en garantie qu'ils peuvent former entre eux.
4. La condamnation prononcée en première instance se rapporte à des désordres afférents à des infiltrations d'eau par les toits terrasse des bâtiments 10, 11 et 16 et il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, que ces désordres ont pour origine principale des défauts d'exécution dans le traitement de l'étanchéité réalisé par la société ETB, titulaire du lot n° 3. Ces désordres pour lesquels la société SMA SA, assureur au titre de l'assurance dommages-ouvrage de la région Occitanie a agi devant le tribunal administratif de Toulouse sur le fondement de l'article L. 242-1 du code des assurances, mettent en jeu la responsabilité des constructeurs au sens de l'article 1792-1 du code civil, au nombre desquels se trouvent notamment la société Kieken-Kerloveou, celle-ci étant en l'espèce en vertu de l'acte d'engagement, titulaire, conjointement avec la société Beterem Ingéniérie et la société Kaloa, au titre des missions de base, d'une mission de direction de l'exécution des travaux, d'une mission visa des études d'exécution et d'une mission de conseil au maître d'ouvrage lors des opérations de réception des travaux. Dans ces conditions, sa qualité de constructeur l'exposait, ainsi que l'ont considéré à bon droit les premiers juges, à une condamnation solidaire à l'égard du maître d'ouvrage au titre de la garantie décennale.
5. Par ailleurs, un constructeur peut voir sa responsabilité engagée dès lors qu'il a participé de manière directe et effective à l'acte de construction en cause, sans que l'administration ait à prouver qu'il a commis une faute, le régime de la responsabilité décennale étant un régime de présomption de responsabilité reposant sur la notion d'imputabilité, et non un régime de responsabilité pour faute. Le fait que le dommage pourrait résulter d'autres causes que l'intervention du constructeur ne suffit pas à exonérer celui-ci de sa responsabilité, dès lors qu'il ne peut en être exonéré que s'il est établi que le dommage ne peut résulter en aucune façon des travaux réalisés. La notion de faute des autres constructeurs n'intervient qu'au stade de la répartition entre eux de la charge finale de l'indemnité, à l'occasion des éventuels appels en garantie qu'ils peuvent former entre eux.
6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la société Kieken-Kerloveou à l'encontre du jugement en tant qu'il la condamne solidairement avec la société TPF Ingénierie à verser à la société SMA SA la somme de 206 013,77 euros, ne peuvent qu'être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions de la société Kieken-Kerloveou appelant en garantie la société TPF Ingénierie :
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du tableau de répartition des honoraires et des éléments de mission par cotraitants à raison desquels doivent être appréciées les responsabilités respectives des membres d'un groupement de maîtrise d'œuvre, que si, pour la direction de l'exécution des travaux (DET), les honoraires attribués à la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou sont supérieurs à ceux attribués à la société TPF Ingénierie, pour la mission visa et pour la mission d'assistance au maître d'ouvrage pour la réception des travaux (AOR), les honoraires attribués à la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou et ceux attribués à la société TPF Ingénierie sont sensiblement du même ordre. Il résulte de plus de l'instruction que la société TPF Ingénierie a adressé à la société Kieken-Kerloveou une lettre, le 20 mai 2015 et un courriel, le 28 mai suivant, lui transmettant des plans établis par la société ETB et invitant la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou à lever les réserves. Dans ces conditions, même si cette dernière devait avant de signer, comme elle l'a fait le 14 août 2015, les procès-verbaux des opérations préalables à réception des travaux et le procès-verbal de levée des réserves, s'enquérir elle-même du bien-fondé de la levée des réserves, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des responsabilités respectives de la société Kieken-Kerloveou et de la société TPF Ingénierie, en condamnant cette dernière à garantir la société appelante à hauteur de 50 % de sa condamnation.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a limité à 20 % la part de sa condamnation devant être garantie par la société TPF Ingénierie, et à demander que cette part soit portée à 50 %.
Sur l'appel incident de la société TFP Ingénierie :
En ce qui concerne les conclusions portant sur la condamnation solidaire avec la société Kieken-Kerloveou à verser à la société SMA SA la somme de 206 013,77 euros :
9. Ainsi qu'il est indiqué aux points 3 à 5 du présent arrêt, et dès lors que la société TPF Ingénierie, en sa qualité de membre d'un groupement de maîtrise d'œuvre, donc de constructeur au sens de l'article 1792-1 du code civil, peut voir sa responsabilité engagée au titre de la garantie décennale, dès lors qu'elle a participé, ce qui a été le cas en l'espèce de manière directe et effective à l'acte de construction en cause, alors même qu'elle n'aurait pas commis de faute, ses conclusions à l'encontre du jugement attaqué en tant qu'il la condamne solidairement avec la société Kieken-Kerloveou à verser la somme de 206 013,77 euros à la société SMA SA doivent être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions de la société TPF Ingénierie appelant en garantie la société Kieken-Kerloveou :
10. Ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit au point 8, la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou est fondée à demander la réformation du jugement en ce qu'il limite à 20 % la part de sa condamnation devant être garantie par la société TPF Ingénierie et à demander à ce que cette garantie soit portée à 50 %. Dans ces conditions, les conclusions de la société TPF Ingénierie tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il la condamne à garantir à hauteur de 20 % la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou de sa condamnation doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige de première instance :
11. La société SMA SA ne justifie pas qu'en mettant à la charge de la société TPF Ingénierie et la société ETB, représentée par Me Thiollet, la somme de 1 000 euros à la société SMA SA sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, les premiers juges auraient fait une estimation insuffisante des frais exposés par elle dans le cadre de la première instance. Dès lors, les conclusions présentées par la société SMA SA à l'encontre de la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou et de la société TPF Ingénierie tendant à ce qu'il soit mis à leur charge in solidum la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société TPF Ingénierie partie perdante dans le présent litige, bénéficie de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou et la société SMA SA.
DÉCIDE :
Article 1er : La société TPF Ingénierie est condamnée à garantir la société civile professionnelle d'architecture Kieken-Kerloveou à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre.
Article 2: Le jugement du 8 avril 2021 du tribunal administratif de Toulouse est réformé en ce qu'il est contraire à ce qui précède.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié à la SMA SA, à la SCP d'architecte Kieken-Kerloveou, à la TPF Ingénierie et à Me Philippe Thiollet, mandataire de la Sarl ETB.
Copie en sera adressée pour information à la société publique locale Midi-Pyrénées et à la Région Occitanie.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2023 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023
Le rapporteur
P. Bentolila
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet du Tarn, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21TL22248
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