Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 19 mars 2019 lui interdisant d'accéder au site du Commissariat à l'énergie atomique situé à Marcoule, et la décision du 25 avril 2019 par laquelle la ministre de la transition écologique et solidaire a rejeté le recours administratif qu'il a formé contre cette décision
Par un jugement n° 1902203 du 29 juin 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2021, et deux mémoires, enregistrés les 3 octobre 2022 et 9 mars 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Camous, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 juin 2021 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler la décision du 25 avril 2019 par laquelle la ministre de la transition écologique et solidaire a rejeté le recours administratif qu'il a formé contre la décision du 19 mars 2019 lui interdisant d'accéder aux sites d'Orano et du commissariat à l'énergie atomique situés à Marcoule ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal lui a reproché de ne pas avoir fourni l'autorisation d'intervention sur site nucléaire obtenue en 2018 ; en effet, il n'a jamais été destinataire d'un document écrit de cette nature ; la décision litigieuse s'analyse cependant bien en un retrait d'autorisation d'accès ; en conséquence, cette décision aurait dû intervenir à l'issue d'une procédure contradictoire, ainsi que le prévoit l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- de plus, elle est insuffisamment motivée ; à cet égard rien ne justifie qu'elle échappe à l'obligation de motivation en raison de ce que ses motifs pourraient être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration ; au surplus, cette exception à l'obligation de motivation ne concerne pas le 8° de l'article L. 211-2 ;
- en s'appuyant sur une note blanche non circonstanciée, ce qu'il relève d'ailleurs, ainsi que sur l'avis du CoSSeN, qui n'est qu'une interprétation elle-même erronée de cette note, le tribunal a commis une erreur de droit ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; ainsi, aucun indice de radicalisation n'a été signalé à son encontre depuis 2016 et au cours de la période de 2014 à 2016 les contacts en question s'expliquent par les matchs de football qu'il organisait ; de plus, le seul fait qu'il se rende à la mosquée tous les vendredis ne peut être retenu contre lui ; enfin, de nombreux témoignages attestent de l'absence de son radicalisation
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2022, le ministre de la transition énergétique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de l'environnement ;
- le code pénal ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ingénieur en génie mécanique au sein de la société Orano Projets, a sollicité, le 28 janvier 2019, une autorisation d'accès afin de pouvoir exercer ses fonctions au sein du site du Commissariat à l'énergie atomique à Marcoule (Gard), qui constitue un point d'importance vitale et une zone protégée au titre du secret de la défense nationale. Elle lui a été refusée le 19 mars 2019, après qu'a été émis un avis défavorable, le 11 mars précédent, par le Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire. En application de l'article R. 1332-33 du code de la défense, il a formé, le 20 mars 2020, un recours administratif préalable obligatoire à l'encontre de cette décision, qui a été rejeté, le 25 avril suivant, par décision de la ministre de la transition écologique et solidaire.
2. M. B... relève appel du jugement du 29 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision précitée du 24 avril 2019 de la ministre de la transition écologique et solidaire.
3. En application des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense, les centres nucléaires de production d'électricité constituent des installations d'importance vitale, c'est-à-dire des établissements dont l'indisponibilité risquerait de diminuer d'une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation. Les articles L. 1332-2-1 et R. 1332-22-1 du même code prévoient que l'opérateur d'un de ces établissements doit expressément en autoriser l'accès aux personnes physiques ou morales appelées à y intervenir, après une enquête administrative destinée à vérifier, notamment par la consultation de traitements automatisés de données personnelles que les caractéristiques de ces personnes ne sont pas incompatibles avec un tel accès. L'article R. 1332-33 du code précité institue un recours administratif préalable obligatoire devant le ministre coordonnateur du secteur d'activités concerné, en l'espèce le ministre de la transition écologique et solidaire.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe de la décision du 24 avril 2019 :
4. Si M. B... soutient, en appel comme en première instance, que le refus d'accès à la centrale nucléaire de Marcoule s'analyserait en un retrait d'une autorisation d'accès à ce site, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait bénéficié d'une telle autorisation, dont l'existence ne saurait être établie par la seule production d'une " demande d'autorisation d'accès - enquête administrative - Orano Projets " datée du 23 août 2018. Dès lors, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, le moyen tiré de ce que la décision du 25 avril 2019 serait entachée d'illégalité faute d'avoir été précédée d'une procédure préalable contradictoire, en méconnaissance des articles L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, ne peut qu'être écarté.
5. Par ailleurs et d'une part, aux termes de l'article R. 2311-2 du code de la défense, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Les informations ou supports protégés font l'objet d'une classification comprenant trois niveaux : \ 1° Très Secret-Défense ; \ 2° Secret-Défense ; \ 3° Confidentiel-Défense ". L'article R. 2311-3 du même code dispose, dans sa rédaction applicable à l'espèce, que : " (...) Le niveau Confidentiel-Défense est réservé aux informations ou supports protégés dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale classifié au niveau Très Secret-Défense ou Secret-Défense ". Aux termes de l'article 413-9 du code pénal : " Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès. / (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.
À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". L'article L. 311-5 de ce code dispose : " Ne sont pas communicables : / (...) / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / a) Au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ; / b) Au secret de la défense nationale ; / c) À la conduite de la politique extérieure de la France ; / d) À la sûreté de l'État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations (...) ".
7. Il résulte de la combinaison des dispositions citées au point précédent que la décision par laquelle le ministre compétent refuse, sur le fondement de l'article R. 1332-33 du code de la défense, de faire droit au recours administratif préalable formé à l'encontre de la décision d'un opérateur d'importance vitale refusant d'autoriser l'accès d'une personne à un point d'importance vitale qu'il gère ou utilise, constitue un refus d'autorisation au sens du 7° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, qui doit être motivé. Toutefois, une décision dont les considérations de fait reposent exclusivement sur les éléments contenus dans une note classifiée " confidentiel défense ", sont au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale. Par suite et sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elle rejetait un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux, la décision du 25 avril 2019 par laquelle la ministre de la transition écologique et solidaire a refusé à l'intéressé l'accès à la centrale nucléaire de Marcoule, dès lors qu'elle repose sur des éléments contenus dans une note classifiée " confidentiel défense ", ainsi qu'il résulte de la fiche du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (CoSSeN), n'avait pas à être motivée. Dès lors, le moyen de M. B... tiré du défaut de motivation de cette décision doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision du 25 avril 2019 :
8. Aux termes de l'article L. 2312-1 du code de la défense : " La Commission du secret de la défense nationale est une autorité administrative indépendante. Elle est chargée de donner un avis sur la déclassification et la communication d'informations ayant fait l'objet d'une classification en application des dispositions de l'article 413-9 du code pénal (...). / L'avis de la Commission du secret de la défense nationale est rendu à la suite de la demande d'une juridiction française (...) ". L'article L. 2312-4 dispose que : " Une juridiction française dans le cadre d'une procédure engagée devant elle (...) peut demander la déclassification et la communication d'informations, protégées au titre du secret de la défense nationale, à l'autorité administrative en charge de la classification. / Cette demande est motivée. / L'autorité administrative saisit sans délai la Commission du secret de la défense nationale ".
9. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la note blanche produite par la ministre de la transition écologique et solidaire, établie par la direction générale de la sécurité intérieure le 21 octobre 2020, que M. B... a entretenu des contacts réguliers, de 2014 à 2016, avec un individu radicalisé et a eu un contact avec un velléitaire au djihad. Le Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire, qui a réalisé l'enquête administrative ayant donné lieu à un avis défavorable du 11 mars 2019, indique, de plus, que les renseignements classifiés font état de " liens personnels, réguliers et non fortuits " avec cette personne radicalisée.
9. Cependant, ces éléments ne sont pas circonstanciés, alors que l'appelant expose que les contacts qui lui sont reprochés n'ont eu lieu qu'à l'occasion de parties de football qu'il a concouru à organiser dans la Manche, avec le soutien de la ville de Cherbourg, et qu'il n'a plus eu ensuite aucune relation avec ces personnes. Il produit, en outre, de nombreuses attestations dont il ressort que son comportement ne s'apparente en rien à celui d'un individu radicalisé
10. Le caractère imprécis des informations contenues dans la note blanche et la fiche du Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire ne permet à la cour ni de se prononcer sur le bien-fondé de la décision refusant à l'appelant l'accès au site de la centrale nucléaire de Marcoule ni de déterminer si ces informations sont couvertes par le secret de la défense nationale. Par suite, il y a lieu, comme le permet l'article L. 2312-4 du code de la défense, de demander au ministre des armées de communiquer à la cour, après avoir sollicité l'avis de la Commission du secret de la défense nationale dans les conditions prévues par le code de la défense et, le cas échéant, déclassifié les informations en cause, toutes précisions sur les motifs ayant justifié la décision du 25 avril 2019 opposée à M. B.... Dans l'hypothèse où le ministre des armées estimerait que certaines de ces informations ne pourraient pas être communiquées à la cour, il devra transmettre à celle-ci tous les éléments relatifs à la nature des informations écartées et aux raisons pour lesquelles elles sont classifiées, de façon à permettre à la cour de se prononcer en connaissance de cause, sans porter directement ou indirectement atteinte au secret de la défense nationale. Il y a également lieu d'ordonner avant-dire-droit à la ministre de la transition écologique de communiquer à la cour, en complément des indications figurant dans les documents qu'elle produit, tous les éléments qui peuvent être versés au dossier dans le respect des exigences liées à la sécurité nationale, permettant à la cour de se prononcer sur la légalité de sa décision du 25 avril 2019.
11. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, avant de se prononcer sur le bien-fondé du moyen de la requête tiré de l'erreur d'appréciation soulevé par M. B..., de demander à l'administration la communication des motifs ayant justifié le refus d'accès à la centrale nucléaire de Marcoule qui lui a été opposé, le cas échéant après déclassification des informations couvertes par le secret de la défense nationale, ou à défaut tous éléments permettant à la cour de se prononcer, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
DÉCIDE :
Article 1 : Avant de statuer sur la requête de M. B..., il est procédé à un supplément d'instruction tendant, après avoir appelé à la cause le ministre des armées en qualité d'observateur, à la production par lui des éléments mentionnés au point 10 du présent arrêt. À défaut, il est ordonné à la ministre de la transition écologique de communiquer à la cour les informations définies par les motifs du présent arrêt. Ces documents devront parvenir au greffe de la cour dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 2 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt demeurent réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la ministre de la transition écologique, au ministre des armées.
Copie en sera adressée à la société Orano Projets.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.
Le président-assesseur,
P. Bentolila
Le président-rapporteur,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL03822