Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Axa France a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État à lui verser la somme de 11 008,09 euros assortie des intérêts au taux légal en réparation des préjudices subis par son assurée, l'agence bancaire " Comédie " de la Banque Populaire du Sud en raison des événements survenus à Montpellier le 26 janvier 2019.
Par un jugement n° 1906176 du 16 février 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces , enregistrées les 16 avril 2021 et 19 avril 2021 devant la cour administrative d'appel de Marseille, puis devant la cour administrative d'appel de Toulouse et des mémoires enregistrés les 28 et 29 septembre 2022, la société Axa France, représentée par Me d'Hauteville, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 février 2021 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 11 008,09 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle dispose d'un intérêt lui donnant qualité pour agir dès lors, d'une part, qu'elle est subrogée dans les droits de son assurée dont elle a indemnisé le sinistre à hauteur de 7 948,71 euros et, d'autre part, qu'elle a été autorisée à poursuivre au nom de son assurée le recouvrement des sommes de 1 056 euros et 2 003,38 euros correspondant respectivement à la franchise et des frais de gardiennage contractuellement restés à la charge de cette dernière ;
- sa requête est recevable dès lors qu'elle a été introduite dans le délai de recours contentieux ;
- la responsabilité de l'État est engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure dès lors, d'une part, que la dégradation de l'agence bancaire qu'elle assure a été commise par force ouverte et par violence lors de la manifestation du mouvement dit des " gilets jaunes " qui s'est tenue le 26 janvier 2019 sur la place de la Comédie à Montpellier, d'autre part, que le dommage résulte du délit de destruction, de dégradation ou de détérioration d'un bien appartenant à autrui prévu à l'article 322-1 du code pénal et, enfin, que le dommage a été causé à l'occasion d'un attroupement ayant dégénéré ;
- ainsi que cela résulte du rapport de police du 26 janvier 2019, le caractère prémédité et isolé des dégradations n'est pas établi, ces dernières résultant d'un phénomène d'entraînement de la part de manifestants dans le cadre d'une action spontanée et improvisée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er juillet 2021 et le 11 octobre 2022, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la responsabilité de l'État n'est pas engagée en l'absence d'attroupement ou de rassemblement spontané au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et en l'absence de lien de causalité entre les préjudices allégués et la manifestation du mouvement dit des " gilets jaunes " du 26 janvier 2019 ;
- les dégradations subies par l'assurée résultent d'agissements délictuels perpétrés, de manière préméditée et organisée, par des individus de type " casseurs " au nombre de 300, munis de projectiles, de casques de moto, de raquettes de tennis et d'engins pyrotechniques, organisés en groupuscules et, pour certains, cagoulés, sans lien avec la manifestation qui ont infiltré le cortège avant de s'en détacher dans le seul but de commettre des actes de vandalisme et des dégradations ainsi que cela résulte du rapport de police et du tableau de main courante versés au dossier ;
- à titre subsidiaire, le préjudice allégué, qui n'est étayé par aucune pièce probante, ne présente pas de caractère réel et certain.
La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur qui, par un mémoire enregistré le 29 avril 2021, a décliné sa compétence pour présenter des observations au nom de l'État en application des dispositions de l'article R. 811-10-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la société Axa France.
La clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 7 novembre 2022 à 12 heures par une ordonnance du 12 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre, rapporteure ;
- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le samedi 26 janvier 2019, lors de la journée de manifestation du mouvement dit des " gilets jaunes " qui a eu lieu dans le centre-ville de Montpellier, les vitrages de la devanture et du sas intérieur de l'agence bancaire " Comédie " de la Banque Populaire du Sud, située 11 place de la Comédie, ont fait l'objet de dégradations. Son assureur, la société Axa France, l'a indemnisée des dommages subis du fait de ce sinistre. La demande préalable de la société Axa France, adressée par une lettre du 16 juillet 2019, a été implicitement rejetée par le préfet de l'Hérault. La société Axa France, assureur subrogé dans les droits de son assurée à concurrence de l'indemnité versée, a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État, sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, à lui verser la somme de 11 008,09 euros, dont 1 056 euros et 2 003,68 euros correspondent respectivement aux frais de franchise et de gardiennage restés contractuellement à la charge de son assurée et dont elle entend obtenir le recouvrement au nom de celle-ci. La société Axa France relève appel du jugement du 16 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés.
3. Ne peuvent être regardés comme étant le fait d'un attroupement ou rassemblement au sens de ces dispositions les actes délictuels commis sur des biens privés alors qu'ils ne procédaient pas d'une action spontanée dans le cadre ou le prolongement d'un attroupement ou rassemblement mais d'une action préméditée, organisée par un groupe structuré à seule fin de les commettre.
4. Pour rejeter la demande présentée par la société Axa France, le tribunal a jugé que les faits litigieux, qui ont été menés par des personnes cagoulées diligentant une action rapide et préméditée en vue de la destruction de biens, n'ont pas été commis par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure alors même qu'ils se sont déroulés dans le prolongement de la manifestation et que les auteurs des dommages, non identifiés pour certains, sont susceptibles d'avoir participé à cette dernière.
5. Il résulte de l'instruction, en particulier du compte-rendu établi par la direction départementale de la sécurité publique de l'Hérault le 26 janvier 2019, du tableau de main-courante destiné au suivi de la journée nationale de mobilisation du 26 janvier 2019 et du procès-verbal de dépôt de plainte par le directeur de l'agence " Comédie " de la Banque Populaire du Sud pour des faits de dégradations volontaires commis le même jour entre 17 et 19 heures, que des rassemblements de membres du mouvement dit des " gilets jaunes " se sont déroulés dans le centre-ville de Montpellier le 26 janvier 2019, entre 10 heures 45 et 22 heures 30. Au plus fort de la manifestation, il était comptabilisé 2 000 manifestants, dont 300 manifestants à risque qui ont pris part au cortège et ont commis des dégradations en différents points du centre-ville dans le prolongement de la manifestation. Il résulte des articles de presse versés au dossier que la manifestation a eu un caractère particulièrement violent, de nombreux heurts ayant été recensés dans le procès-verbal d'ambiance, faisant état de jets de projectiles et d'affrontements de manifestants avec les forces de l'ordre. Il résulte également de l'instruction que les dégradations occasionnées à l'agence bancaire Banque Populaire du Sud ont été provoquées vers 17 heures 30 par des personnes qui étaient au nombre de celles qui ont pris part à la manifestation et ne présentaient pas un caractère isolé tandis que cet établissement bancaire se situe à proximité du parcours emprunté par le cortège des manifestants. Ainsi, en l'absence d'éléments précis et circonstanciés de nature à établir qu'elles auraient été le fait de groupes isolés constitués dans le seul but de commettre des délits et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que certains individus auraient agi le visage dissimulé ou munis de projectiles, ces dégradations doivent être regardées comme s'inscrivant dans le prolongement du rassemblement constitué à l'occasion de la manifestation du 26 janvier 2019. Par suite, ces dégradations, qui revêtent le caractère de dommages résultant de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, sont de nature à engager la responsabilité sans faute de l'État sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Axa France est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a jugé que les faits litigieux n'ont pas été commis par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
Sur les préjudices indemnisables :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur (...) ". Il résulte de ces dispositions que le versement, par l'assureur, de l'indemnité à laquelle il est tenu en vertu du contrat d'assurance le liant à son assuré, le subroge, dès cet instant et à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de son assuré contre le tiers responsable du dommage.
8. Il résulte de l'instruction, en particulier de la quittance subrogatoire versée au dossier, que les dégradations des vitrages et du sas intérieur de l'agence bancaire " Comédie " de la Banque Populaire du Sud ont donné lieu à une indemnisation s'élevant à la somme de 7 948,71 euros. En revanche, la société Axa France ne justifie pas être subrogée dans les droits de son assurée en ce qui concerne le versement de la franchise et du découvert de garantie dont les montants respectifs de 1 056 euros et 2 003,38 euros sont restés contractuellement à la charge de cette dernière et dont elle ne peut poursuivre le recouvrement au nom de celle-ci, qui n'a, en tout état de cause, pas la qualité de partie à l'instance et ne peut être régulièrement représentée par son assureur, lequel n'a pas la qualité de mandataire au sens de l'article R. 431-11 du code de justice administrative.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Axa France, subrogée dans les droits de l'agence Banque populaire du Sud " Comédie ", est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État et à ce que ce dernier soit condamné à lui verser une somme de 7 948,71 euros.
Sur les intérêts :
10. La société Axa France a droit aux intérêts au taux légal de l'indemnité citée au point 9 à compter du 19 juillet 2019, date de réception de sa demande préalable.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 500 euros au titre des frais exposés par la société Axa France et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1 : Le jugement n° 1906176 du 16 février 2021 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'État est condamné à verser à la société Axa France une indemnité d'un montant de 7 948,71 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 19 juillet 2019.
Article 3 : L'État versera à la société Axa France une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Axa France est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Axa France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2023.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL01451