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06/12/2022 | FRANCE | N°21TL00233

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 06 décembre 2022, 21TL00233


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée SERRF a demandé au tribunal administratif de Nîmes, d'une part, d'annuler la décision du 26 novembre 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du

séjour des étrangers et du droit d'asile, pour des montants respectifs de 17 700 eu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée SERRF a demandé au tribunal administratif de Nîmes, d'une part, d'annuler la décision du 26 novembre 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour des montants respectifs de 17 700 euros et 2 124 euros, ainsi que la décision du 5 février 2019 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, de prononcer la décharge de ces contributions.

Par un jugement n° 1901261 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a annulé les décisions du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 26 novembre 2018 et du 5 février 2019, mis à la charge de cet établissement une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative de Marseille le 19 janvier 2021, puis, le 11 avril 2022, devant la cour administrative d'appel de Toulouse, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Schegin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 décembre 2020 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) de rejeter la demande de la société SERRF devant le tribunal administratif de Nîmes tendant d'une part, à l'annulation des décisions des 26 novembre 2018 et 5 février 2019 par lesquelles son directeur général a respectivement mis à sa charge les contributions spéciale et forfaitaire prévues à l'article L. 8253-1 du code du travail et à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour des montants de 17 700 euros et 2 124 euros, et rejeté son recours gracieux et, d'autre part, à la décharge de l'obligation de payer ces sommes ;

3°) de mettre à la charge de la société SERRF une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les décisions du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration des 26 novembre 2018 et 5 février 2019 ne sont pas entachées d'inexactitude matérielle quant à l'existence d'une relation de travail entre la société SERRF et M. B... D..., ressortissant marocain résidant en Espagne ne disposant d'aucune autorisation de séjour ou de travail lui permettant de travailler en France, alors, d'une part, que ce dernier intervenait sur les chantiers de la société SERRF avec ses équipes en se plaçant sous les ordres de la société SERRF, ce qui permet d'établir l'existence d'un lien de subordination, et, d'autre part, que la qualité d'associé, qui n'exclut pas celle de salarié, ne le dispensait pas de l'obligation de disposer d'une autorisation de travail pour exercer une activité professionnelle en France.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2022, la société SERRF, représentée par Me Royer, conclut au rejet de la requête, et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de l'OFII.

Par une ordonnance du 19 août 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 19 septembre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... E...

- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. À la suite de l'établissement d'un constat d'infraction par la direction interdépartementale de la police aux frontières du Gard, le 24 avril 2017, pour l'emploi d'un travailleur étranger démuni d'autorisation de travail, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a, par une décision du 26 novembre 2018, mis à la charge de la société SERRF, spécialisée dans l'entretien d'espaces verts, les travaux de clôture, de débroussaillage, d'élagage et d'abattage d'arbres, la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 17 700 euros, ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 2 124 euros. Par une décision du 5 février 2019, cette même autorité a rejeté le recours gracieux formé par cette société, par une lettre du 21 janvier 2019. L'Office français de l'immigration et de l'intégration relève appel du jugement du 3 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé les décisions précitées des 26 novembre 2018 et 5 février 2019.

Sur le bien-fondé du moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Et aux termes de l'article L. 8253-1 du même code, dans sa version en vigueur à la date des décisions attaquées : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution (...) ". En vertu de l'article R. 8253-1 de ce code : " La contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est due pour chaque étranger employé en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1. / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui a embauché ou employé un travailleur étranger non muni d'une autorisation de travail ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine (...) ".

3. D'une part, il résulte de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi comme juge de plein contentieux d'une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail, d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision et de prendre, le cas échéant, une décision qui se substitue à celle de l'administration. Celle-ci devant apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé, le juge peut, de la même façon, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant fixé de manière forfaitaire par l'article L. 8251-1, le premier alinéa de l'article L. 8253-1 et l'article R. 8253-2 du code du travail, ou en décharger l'employeur.

4. D'autre part, la qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. À cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l'existence d'un lien juridique, fût-il indirect, de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l'autorité de son cocontractant. Dès lors, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.

5. Il résulte de l'instruction que l'Office français de l'immigration et de l'intégration a fondé l'application des contributions spéciale et forfaitaire instituées par les dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur les éléments du procès-verbal établi par les services de la direction interdépartementale de la police aux frontières du Gard le 24 avril 2017, dont une copie lui a été adressée, constatant, sur la base d'investigations diligentées après réception d'une lettre de dénonciation anonyme, que M. A... C..., gérant de la société SERRF emploierait M. D..., ressortissant marocain, titulaire d'un titre de séjour délivré par les autorités espagnoles. Il résulte de ce même procès-verbal que M. D... détient la totalité des parts d'une société de droit espagnol, la société Espace nature et paysage SL, laquelle réaliserait plus de 70% de son activité en sous-traitance pour le compte de la société SERRF en mettant à sa disposition de la main d'œuvre, la société SERRF se chargeant de fournir aux travailleurs des véhicules ainsi que des outils.

6. S'il est constant, d'une part, que M. A... C..., gérant de la société SERRF, a fondé la société de droit espagnol Espace Nature et Paysage SL, spécialisée dans l'entretien paysager dont il a, au cours de l'année 2017, cédé les parts à M. D..., et, d'autre part, que la société SERRF a recours à la main d'œuvre fournie par cette société à laquelle elle sous-traite la majeure partie des travaux qui lui sont confiés en agissant en qualité de donneur d'ordres auprès de ses salariés et en mettant à leur disposition le matériel nécessaire à l'exercice de leurs missions, ces seules circonstances ne suffisent pas, en l'absence, notamment, de constatations matérielles précises et circonstanciées démontrant, notamment, que M. D... se serait personnellement trouvé en posture de travail pour accomplir des tâches pour le compte et sous la direction de la société SERRF, à établir que ce dernier serait placé dans un lien de subordination vis-à-vis decette dernière. La matérialité des faits d'emploi irrégulier de M. D... par la société SERRF n'est, dès lors, pas suffisamment établie. L'Office français de l'immigration et de l'intégration ne produisant aucun élément nouveau, en appel, de nature à établir l'existence d'un lien de subordination permettant de caractériser une relation de travail entre M. A... C... et M. D..., c'est à bon droit que le tribunal a annulé les décisions des 26 novembre 2018 et 5 février 2019 par lesquelles le directeur général de cet établissement a mis à la charge de la société SERRF les contributions spéciale et forfaitaire en se fondant sur l'inexactitude matérielle les entachant.

7. Il résulte de ce qui précède que l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé les décisions des 26 novembre 2018 et 5 février 2019 par lesquelles il a respectivement mis à la charge de la société SERRF les contributions spéciale et forfaitaire prévues par les articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et rejeté le recours gracieux de cette société.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SERRF qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 500 euros à verser à la société SERRF au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1 : La requête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est rejetée.

Article 2 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera à la société SERRF une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme SERRF et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.

La rapporteure,

N. El E...Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL00233


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL00233
Date de la décision : 06/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

335-06-02-02 Étrangers. - Emploi des étrangers. - Mesures individuelles. - Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Nadia EL GANI-LACLAUTRE
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : CABINET SCHEGIN

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-12-06;21tl00233 ?
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