Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 à 2013 et des cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011 à 2013, ainsi que la condamnation de l'Etat au remboursement des frais de constitution de garanties en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.
Par un jugement n° 1702667 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulouse, d'une part, a rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître leurs conclusions tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire de contributions sociales à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2011, d'autre part, a rejeté le surplus de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 14 décembre 2019, le 30 décembre 2019 et le 17 septembre 2020 sous le n° 19BX04774 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 19TL24774 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, M. C..., représenté par Me Bastide et Me Dupas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il a rejeté la demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti avec son épouse au titre, respectivement, des années 2010 à 2013 et des années 2012 et 2013.
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de ces cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que la condamnation de l'Etat au remboursement des frais de constitution de garanties en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros hors taxes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- ses déclarations de revenus des années 2010 à 2013 ont été établies sur la base d'indications données par un agent de l'administration fiscale à l'occasion d'un précédent contrôle sur pièces ;
- la doctrine référencée BOI-SJ-RES-10-20-10-20120912 admet que les propositions de rectification puissent constituer des supports de prise de position formelle ;
- la procédure d'imposition est irrégulière, dès lors que le service a implicitement mis en œuvre la procédure de répression des abus de droit, sans le faire bénéficier des garanties attachées à la procédure prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
- la proposition de rectification qui lui a été adressée le 16 décembre 2013, portant sur l'année 2010, est basée sur des informations recueillies par l'administration fiscale dans le cadre de la vérification de comptabilité de la société de droit espagnol Bios Analytique Instruments SL, dite BAIS, qui était alors en cours et qui s'est achevée le 8 avril 2014, sans qu'il puisse faire valoir utilement ses observations ;
- les rectifications contestées aboutissent à une double imposition, proscrite par les stipulations du 1 de l'article 24 de la convention fiscale franco-espagnole, dès lors que les revenus litigieux ont été imposés en Espagne et que la société BAIS, qui a la qualité de résident fiscal espagnol, n'a pas d'établissement stable en France ;
- les revenus qu'il a perçus de la société BAIS ne constituaient pas des salaires, justifiant l'application de l'article 15 de la convention fiscale franco-espagnole, mais des rémunérations de dirigeant, impliquant l'application de l'article 16 de cette convention et leur imposition en Espagne ;
- les impositions contestées méconnaissent les articles 49 à 55 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la pénalité pour manquement délibéré n'est pas justifiée dès lors que les rectifications procèdent d'une prise de position nouvelle et contestable de l'administration fiscale et se limitent à la remise en cause d'un crédit d'impôt.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 17 juillet 2020 et le 27 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la cotisation supplémentaire de contributions sociales à laquelle M. et Mme C... ont été assujettis au titre de l'année 2011 ayant fait l'objet d'une décision de dégrèvement total le 15 novembre 2019, les conclusions correspondantes sont irrecevables ;
- les moyens soulevés par le requérant sont inopérants ou ne sont pas fondés ;
- la demande présentée sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales est irrecevable en l'absence de litige né et actuel avec le comptable.
Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de M. C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention signée le 10 octobre 1995 entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Cherrier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dupas, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit espagnol Bios Analytique Instruments SL, dite BAIS a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé qu'elle exerçait son activité commerciale, financière et de formation, se rapportant à l'informatique et aux analyses chimiques, par l'intermédiaire d'un établissement stable en France, situé dans les locaux de la société française Bios Analytique. M. C..., coadministrateur et cogérant de la société BAIS, a ensuite fait l'objet d'un contrôle sur pièces et d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, aboutissant à la remise en cause du crédit d'impôt dont il avait bénéficié de 2010 à 2013 sur le fondement de l'article 24 de la convention fiscale franco-espagnole, au titre des rémunérations versées par la société BAIS, qui ont été regardées comme imposables en France. M. C... fait appel du jugement du 15 octobre 2019 du tribunal administratif de Toulouse, en tant qu'il a rejeté la demande, introduite avec son épouse, tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été en conséquence assujettis au titre, respectivement, des années 2010 à 2013 et des années 2012 et 2013.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que le service vérificateur s'est fondé, pour remettre en cause le crédit d'impôt dont M. C... avait bénéficié de 2010 à 2013, sur la circonstance que la société BAIS, qui assurait sa rémunération, exerçait ses activités en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, situé en France dans les locaux de la société Bios Analytique. Ce faisant, l'administration n'a entendu, même de manière implicite, ni invoquer le caractère fictif de l'acte constitutif de la société BAIS ou même du mandat social détenu par M. C..., ni écarter un montage fondé sur la constitution d'une société ayant eu pour seul motif d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que M. C... aurait normalement supportées. Il en résulte que l'administration, alors même qu'elle a constaté l'établissement de factures fictives par une autre société du groupe auquel appartient la société BAIS, en vue de faire échapper cette dernière à l'imposition en France, n'a pas fondé les rectifications litigieuses sur l'existence d'un acte constitutif d'un abus de droit. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la procédure d'imposition serait irrégulière, faute pour l'administration d'avoir mis en œuvre les garanties prévues par les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". L'administration est tenue d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus de tiers et qu'elle a utilisés pour établir les impositions, afin de le mettre en mesure de demander la communication des documents en cause avant la mise en recouvrement des impositions.
5. Il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification adressée à M. et Mme C... le 16 décembre 2013, que l'administration fiscale s'est notamment fondée, pour établir la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à leur charge au titre de l'année 2010, sur les constatations réalisées à l'occasion de la vérification de comptabilité de la société BAIS, alors en cours, selon lesquelles M. C... n'avait pas travaillé en Espagne, mais en France, dans les locaux de la société française Bios Analytique. L'administration s'est appuyée, en particulier, sur un courrier du 2 juin 2005 adressé au second dirigeant de la société BAIS, selon lequel la société ne disposait en Espagne que d'une adresse de domiciliation, ainsi que sur le défaut de justification, par cette dernière, de versements comptabilisés au titre de rémunérations de M. C.... Les contribuables ont été rendus destinataires d'une copie de la proposition de rectification concernant la société BAIS, établie le 24 avril 2014 à l'issue de la vérification de comptabilité dont elle avait fait l'objet, qui était jointe aux propositions de rectification qui leur ont été personnellement adressées le 17 décembre 2014 et le 27 mars 2015 et qui permettait de les informer de manière suffisante de la teneur et de l'origine des renseignements évoqués précédemment. Ils étaient de la sorte mis à même de demander à prendre, s'ils l'estimaient utile, connaissance des documents qui les contenaient avant la mise en recouvrement du supplément d'impôt litigieux, qui est intervenue le 30 septembre 2015. Il suit de là que le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'administration aurait méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". L'article R. 57-1 du même livre dispose que : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées.
7. La circonstance que la proposition de rectification du 16 décembre 2013, qui comportait les mentions exigées par les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, permettant aux contribuables de présenter utilement leurs observations, leur a été adressée alors que la vérification de comptabilité de la société BAIS n'était pas achevée, est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition, dès lors qu'aucune disposition du livre des procédures fiscales ne fait obstacle à l'utilisation par le service des éléments recueillis à l'occasion d'une autre procédure en cours.
Sur le bien-fondé des impositions :
8. Une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition et, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
En ce qui concerne l'application de la loi française :
9. Aux termes, d'une part, de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus (...) ". L'article 4 B du même code dispose que : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal (...) ".
10. M. et Mme C..., qui avaient au cours des années en litige leur maison d'habitation en France, y disposaient de leur foyer et, par suite, de leur domicile fiscal en application du a du 1 de l'article 4 B du code général des impôts. Ils étaient dès lors passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus en application de l'article 4 A du même code.
En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-espagnole :
S'agissant de la situation fiscale de la société BAIS :
11. En vertu du premier alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts, ne sont passibles de l'impôt sur les sociétés que les seuls bénéfices réalisés dans des entreprises exploitées en France ou dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions.
12. Aux termes de l'article 4 de la convention fiscale franco-espagnole du 10 octobre 1995 : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un État contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l'impôt en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans cet État que pour les revenus de sources situées dans cet État ou pour la fortune qui y est située (...) 3. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne autre qu'une personne physique est un résident des deux États contractants, elle est considérée comme un résident de l'État où son siège de direction effective est situé ". L'article 5 de la même convention stipule que : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : a) un siège de direction, b) une succursale, c) un bureau (...) 4. Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, on considère qu'il n'y a pas " établissement stable " si : a) il est fait usage d'installations aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l'entreprise ; b) des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison ; c) des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de transformation par une autre entreprise ; d) une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins d'acheter des marchandises ou de réunir des informations pour l'entreprise ; e) une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins d'exercer, pour l'entreprise, toute autre activité de caractère préparatoire ou auxiliaire ; f) une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins de l'exercice cumulé d'activités mentionnées aux alinéas a à e, à condition que l'activité d'ensemble de l'installation fixe d'affaires résultant de ce cumul garde un caractère préparatoire ou auxiliaire (...) 7. Le fait qu'une société qui est un résident d'un État contractant contrôle ou est contrôlée par une société qui est un résident de l'autre État contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l'intermédiaire d'un établissement stable ou non) ne suffit pas, en lui-même, à faire de l'une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l'autre ". L'article 7 de la même convention ajoute que : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable (...) ".
13. Il résulte de l'instruction que le capital de la société BAIS est entièrement détenu par la société française Bios Analytique, dont le siège est situé à l'Union (Haute-Garonne), où elle dispose d'un local, et dont elle partage les mêmes fondateurs, administrateurs et dirigeants. Au cours des années en litige, l'activité commerciale de la société BAIS était assurée à travers des achats de fournitures auprès de la société Labservice, détenue par les mêmes personnes et établie à la même adresse en France. Cette dernière s'approvisionnait auprès de fournisseurs français et assemblait en particulier les stations de pilotage analytiques, dites stations de travail, vendues par la société BAIS, lesquelles permettaient le pilotage des équipements donnés en location par la société Bios Analytique à ses clients. Le transport des marchandises vers les clients européens de la société BAIS se faisait depuis le site de la société Labservice, où elles étaient stockées. Les principales transactions réalisées par la société BAIS, ainsi que les rémunérations versées à ses dirigeants, étaient effectuées à partir d'un compte ouvert auprès d'un établissement bancaire établi en France, sur lequel elle avait donné pouvoir à la société Bios Analytique. Le compte bancaire espagnol de la société BAIS était, par ailleurs, essentiellement alimenté par d'importants virements bancaires provenant de ce compte français, notamment pour effectuer le paiement direct des rémunérations de ses dirigeants. Les documents saisis par l'administration fiscale dans les locaux de la société Bios Analytique comprennent les actes relatifs à la création et à l'activité de la société BAIS et démontrent que sa comptabilité informatisée était tenue par la comptable salariée de cette société française, qui assurait également le suivi des opérations commerciales et des clients. Enfin, les administrateurs et dirigeants de la société BAIS, qui étaient domiciliés en France au cours des années en litige et disposaient de bureaux dans les locaux de la société Bios Analytique, n'ont pu justifier que d'un maximum d'une soixantaine de jours de présence par an en Espagne.
14. Il résulte en outre des éléments recueillis par l'administration fiscale que la société BAIS ne disposait, en Espagne, que d'une simple adresse de domiciliation et n'y employait aucun salarié pour les besoins de son activité. Une société tierce espagnole était chargée, d'une part, de réceptionner le courrier de la société BAIS et de le réexpédier en France, à l'adresse de la société Bios Analytique, d'autre part, d'assurer le respect de ses obligations comptables et fiscales en Espagne, à partir de la comptabilité tenue depuis la France.
15. Dans l'ensemble de ces conditions, la société BAIS, alors même qu'elle a tenu quatre assemblées générales à Barcelone au cours de l'ensemble des années en cause et qu'elle disposait en Espagne d'un bureau, d'une ligne téléphonique, d'un serveur et de logiciels interfacés de gestion commerciale, comptable et financière, mais accessibles depuis la France, doit être regardée comme disposant en France d'un local permanent constituant une installation fixe d'affaires où elle disposait du siège de sa direction effective et à partir de laquelle elle exerçait son activité.
16. Il résulte de ce qui précède que la société BAIS devait être regardée, au cours des années en cause, d'une part, comme exploitant son entreprise en France au sens des dispositions précitées du premier alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts, d'autre part, comme exerçant son activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable et comme résident fiscal de l'Etat français au sens des stipulations, citées au point 12, des articles 4, 5 et 7 de la convention franco-espagnole du 10 octobre 1995 attribuant à la France l'imposition des bénéfices des entreprises espagnoles remplissant ces conditions.
S'agissant du lieu d'imposition des revenus perçus par M. C... de la société BAIS :
17. Aux termes de l'article 15 de la convention fiscale franco-espagnole du 10 octobre 1995 : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 16, 18, 19 et 20, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un État contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre État contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État (...) ". L'article 16 de la même convention stipule que : " 1. Les jetons de présence et autres rétributions similaires qu'un résident d'un État contractant reçoit en sa qualité de membre du conseil d'administration ou de surveillance d'une société qui est un résident de l'autre État contractant sont imposables dans cet autre État. 2. Les revenus que les personnes visées au paragraphe 1 reçoivent en une autre qualité entrent, selon leur nature, dans les prévisions des autres articles de la présente Convention ". Aux termes enfin de l'article 24 de cette convention : " 1. En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont évitées de la manière suivante : a) Les revenus qui proviennent d'Espagne, et qui sont imposables ou ne sont imposables que dans cet État, conformément aux dispositions de la présente Convention, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsque leur bénéficiaire est un résident de France et qu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l'impôt espagnol n'est pas déductible de ces revenus, mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français. Ce crédit d'impôt est égal : i) pour tous les revenus non mentionnés au ii), au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus ; ii) pour les revenus visés au paragraphe 2 de l'article 10, au paragraphe 2 de l'article 11, au paragraphe 2 a de l'article 12, aux paragraphes 1 et 2 de l'article 13, au paragraphe 3 de l'article 15, au paragraphe 1 de l'article 16 et aux paragraphes 1 et 2 de l'article 17, au montant de l'impôt payé en Espagne conformément aux dispositions de ces articles ; ce crédit d'impôt ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus (...) ".
18. Il résulte de ce qui a été dit au point 16 que les revenus versés à M. C..., résident fiscal en France au sens de l'article 4 de la convention fiscale franco-espagnole, par la société BAIS au cours des années en litige doivent être regardés comme n'ayant pas été payés par un résident de l'Etat espagnol ou supportés par un établissement stable en Espagne. En outre, ils ne sauraient provenir d'un emploi salarié exercé en Espagne. Dans ces conditions, les revenus perçus par M. C..., qu'ils constituent des salaires ou des rémunérations de mandataire social, n'entraient pas dans le champ des stipulations des articles 15 et 16 de la convention fiscale franco-espagnole visant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu. Il s'ensuit, alors même que ces revenus auraient été imposés en Espagne, que c'est à bon droit que l'administration fiscale a remis en cause le crédit d'impôt dont M. C... avait bénéficié de 2010 à 2013 sur le fondement de l'article 24 de la convention fiscale franco-espagnole, au titre des rémunérations versées par la société BAIS.
En ce qui concerne les autres moyens relatifs au bien-fondé de l'imposition :
19. Le moyen tiré de ce que les impositions contestées méconnaîtraient les stipulations des articles 49 à 55 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.
20. La circonstance que les rectifications opérées à l'issue d'un autre contrôle sur pièces, portant sur les années 2006 et 2007, ont été fondées sur le régime d'imposition applicable aux revenus de source espagnole de M. C... et qu'à cette occasion le service lui a précisé, dans une proposition de rectification du 25 novembre 2009, les modalités de déclaration de ce type de revenus et les conditions pour bénéficier d'un crédit d'impôt à raison de revenus de source étrangère, sans remettre en cause ni l'origine de ses revenus, ni le crédit d'impôt qui avait été imputé sur ses impôts français, ne saurait être regardée comme constituant une prise de position formelle de l'administration sur la situation de fait du contribuable au regard d'un texte fiscal, que le requérant pourrait lui opposer sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.
21. M. C... ne peut davantage se prévaloir de la doctrine exprimée dans l'instruction référencée BOI-SJ-RES-10-20-10 du 12 septembre 2012, qui ne concerne que la mise en œuvre de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales et n'a pas pour objet d'interpréter le texte fiscal d'assiette qui constitue le fondement des droits en litige.
Sur les pénalités :
22. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
23. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société BAIS, qui disposait en France d'un local permanent à partir duquel elle exerçait son activité, était codirigée par M. C... depuis les locaux français de la société Bios Analytique. Ainsi qu'il a été dit au point 20, le requérant ne peut se prévaloir d'aucune prise de position formelle de l'administration concernant l'imposition en Espagne de ses revenus provenant de la société BAIS. En relevant, dans ces conditions, que M. C... ne pouvait ignorer que les revenus versés par la société BAIS étaient imposables en France, dont il est résident fiscal, l'administration établit, compte tenu du montant et de la répétition des impositions éludées à partir d'un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, le manquement délibéré du contribuable. Par suite, le moyen tiré de ce que l'application de ces majorations n'est pas fondée doit être écarté.
24. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales établies au titre, respectivement, des années 2010 à 2013 et des années 2012 et 2013, assortie du remboursement des frais de constitution de garanties en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.
Sur les frais liés au litige :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 27 octobre 2022, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022.
Le rapporteur,
N. A...
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°19TL24774 2