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18/10/2022 | FRANCE | N°20TL22578

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 18 octobre 2022, 20TL22578


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, par trois demandes distinctes, l'annulation de la décision du 15 mai 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de la deuxième unité de contrôle de la Haute-Garonne a autorisé son licenciement pour faute, l'annulation de la décision implicite de rejet par le ministre chargé du travail de son recours hiérarchique formé le 6 juillet 2018 contre la décision du 15 mai 2018 et l'annulation de la décision du 6 mars 2019 par laquelle le ministre char

gé du travail a de façon expresse rejeté son recours hiérarchique et a con...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, par trois demandes distinctes, l'annulation de la décision du 15 mai 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de la deuxième unité de contrôle de la Haute-Garonne a autorisé son licenciement pour faute, l'annulation de la décision implicite de rejet par le ministre chargé du travail de son recours hiérarchique formé le 6 juillet 2018 contre la décision du 15 mai 2018 et l'annulation de la décision du 6 mars 2019 par laquelle le ministre chargé du travail a de façon expresse rejeté son recours hiérarchique et a confirmé la décision du 15 mai 2018.

Par un jugement n°s 1803191-1900191-1902201 du 11 juin 2020 le tribunal administratif de Toulouse a rejeté les demandes de M. A... .

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 7 août 2020 et les 27 décembre 2021 et 9 mars 2022, M. A..., représenté par Me Denjean, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2020 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) d'annuler la décision du 15 mai 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de la deuxième unité de contrôle de la Haute-Garonne a autorisé son licenciement pour faute, ensemble la décision du 6 mars 2019 par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté de façon expresse son recours hiérarchique formé le 6 juillet 2018 contre la décision du 15 mai 2018 de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en premier lieu, les décisions dont il demande l'annulation, autorisant son licenciement, sont entachées d'une insuffisance de motivation ;

- en deuxième lieu, la procédure de licenciement est entachée d'irrégularité dès lors que le Crédit agricole n'a pas consulté le comité d'entreprise dans le délai de dix jours suivant la notification de la mise à pied , le comité d'entreprise n'ayant été consulté que le 7 février 2018, soit plus d'un mois et demi après la notification de la mise à pied ;

- le Crédit agricole n'a pas accompagné la demande d'autorisation du licenciement du procès-verbal de la réunion de comité d'entreprise mais seulement d'un projet de compte rendu de réunion non validé par ses membres ;

- il n'est pas établi l'existence d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;

- le licenciement est en lien avec le mandat, dès lors que son élection en qualité de conseiller des prud'hommes est à l'origine de la demande d'autorisation de licenciement présentée par le Crédit agricole.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2021, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 26 janvier et 8 juin 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la caisse régionale de crédit agricole mutuel Toulouse 31, représentée par Me Dubourdieu, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 26 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 16 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... C...,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lopez pour la caisse régionale de crédit agricole mutuel Toulouse 31.

Considérant ce qui suit :

1 .M. A... a été recruté au sein du Crédit agricole le 4 janvier 1993 en qualité de technicien " gestion financière ". Il occupait depuis le 15 janvier 2017 les fonctions de directeur d'agence à Cazères (Haute-Garonne) et exerçait par ailleurs les mandats de représentant syndical au comité d'entreprise et de conseiller prud'homal. La caisse régionale de crédit agricole Mutuel Toulouse 31 a sollicité, le 19 mars 2018, de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. A... pour faute, laquelle lui a été accordée par une décision du 15 mai 2018.

Le ministre chargé du travail a implicitement rejeté le recours hiérarchique formé par M. A... le 6 juillet 2018 contre la décision du 15 mai 2018 et, par une décision du 6 mars 2019, a rejeté de façon expresse ce recours hiérarchique.

2. Par un jugement du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Toulouse a joint les trois demandes présentées par M. A... contre ces trois décisions, a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande dirigée contre la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre l'autorisation de licenciement du 15 mai 2018 et a rejeté le surplus des demandes.

3. M. A... relève appel du jugement du 11 juin 2020 en tant qu'il rejette ses demandes dirigées contre la décision du 15 mai 2018 de l'inspecteur du travail et contre la décision expresse de rejet du 6 mars 2019 de son recours hiérarchique par le ministre chargé du travail.

Sur le bien-fondé du jugement et des décisions attaquées :

4. En vertu des dispositions de l'article L. 2411-3 du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives, bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, et ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution du mandat dont il est investi.

5. La décision de l'inspecteur du travail se fonde sur " le comportement managérial anxiogène " de M. A... se rapportant à l'instauration de sa part des comptes rendus d'activité (CRAC), la tenue de " propos dévalorisants ou blessants ", des " remarques d'ordre sexiste ou sexuel " à l'adresse de salariées, se rapportant à leur physique et à leurs tenues vestimentaires, et des propos à caractère sexuel.

6. En premier lieu, en vertu de l'article R. 2421-5 du code du travail applicable en l'espèce compte tenu des mandats détenus par M. A...: " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ".

7. Contrairement à ce que soutient l'appelant, la décision du 15 mai 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute, est précisément motivée dès lors qu'elle mentionne les textes, et notamment les articles du code du travail sur lesquels elle se fonde, et, de façon détaillée, l'ensemble des nombreux faits qui lui sont reprochés. Cette décision indique par ailleurs, en tout état de cause, les éléments de la procédure interne à l'entreprise qui a été suivie et notamment la mise à pied du 6 février 2018, l'entretien préalable au licenciement qui a eu lieu le 14 février 2018, la tenue du conseil de discipline, le 2 mars 2018, et la consultation du comité d'entreprise qui s'est réuni le 14 mars 2018. La décision autorisant son licenciement en estimant par ailleurs que l'enquête contradictoire réalisée par l'inspecteur du travail n'a pas mis en évidence l'existence d'un lien entre l'existence et l'exercice des mandats détenus par M. A... est suffisamment motivée dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'inspecteur du travail aurait été saisi d'éléments particuliers à cet égard.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-6 du code du travail, applicable à la situation de M. A..., compte tenu des mandats détenus : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / Lorsque le délégué syndical bénéficie de la protection prévue à l'article L. 2421-3, la consultation du comité social et économique a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. La demande d'autorisation de licenciement est présentée au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité social et économique. (...) ".

9. Il résulte de l'instruction que le comité d'entreprise a été consulté le 14 mars 2018, soit au-delà du délai de dix jours prévu par les dispositions précitées de l'article R. 2421-6 du code du travail et courant à compter de la date de mise à pied de M. A..., intervenue le 6 février 2018. Cependant, ce dernier avait été convoqué à l'entretien préalable, qui a eu lieu le 7 février 2018, et a été convoqué, le 19 février 2018, conformément à l'article 13 de la convention collective nationale applicable, au conseil de discipline qui s'est tenu le 2 mars 2018, lequel a été suivi par la convocation, dès le 8 mars 2018, des membres du comité d'entreprise. Dans ces conditions, l'intéressé ne peut utilement soutenir, eu égard à l'existence de la procédure disciplinaire interne engagée parallèlement à son encontre, qui impliquait de réunir le conseil de discipline avant de convoquer le comité d'entreprise, que le dépassement du délai de dix jours précité est de nature à entacher d'illégalité la décision d'autorisation de licenciement.

10. En troisième lieu, ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, aucune disposition législative ou règlementaire n'impose que l'employeur dans sa demande d'autorisation de licenciement adressée à l'inspecteur du travail transmette le compte rendu de la réunion du comité d'entreprise validé par les membres dudit comité. Dès lors, la circonstance que l'inspecteur du travail n'ait été destinataire que d'un projet de compte rendu de la réunion du comité d'entreprise et non d'un procès-verbal validé par ses membres, est sans incidence sur la validité de la procédure de licenciement.

11. En quatrième lieu, M. A... conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés . Tout d'abord, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mise en place des comptes rendus d'activité puisse être considérée, alors même qu'elle n'aurait pas été à l'initiative de la hiérarchie de M. A..., comme constituant en elle-même une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En effet, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette mise en place se serait accompagnée de mesures coercitives ou punitives pour les salariés n'ayant pas établi ces comptes rendus ou ayant eu des résultats inférieurs à ceux escomptés. De même, n'est pas suffisamment établie la réalité des propos " dévalorisants et blessants " qu'aurait tenu l'appelant à l'égard de certains salariés. Tel n'est pas le cas en revanche des remarques et propos de nature déplacée et à connotation sexuelle et/ou sexiste à destination de salariées qui lui sont reprochés par la décision de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement, qui sont établis par des attestations précises et circonstanciées émanant de salariées placées sous les ordres de M. A..., lequel, du reste, ne conteste pas ces faits, relevés par les premiers juges, et notamment les remarques sur leur physique, les exigences vestimentaires, et les propos déplacés à caractère sexuel.

12. En cinquième lieu, si M. A... produit un certain nombre de pièces, constituées notamment de courriels qui lui ont été adressés par des salariées, mais dans un contexte très différent de celui dans lequel les propos ou remarques d'ordre sexuel ou sexiste fautifs ont été prononcés, le contenu de ces documents n'est pas de nature à retirer à ces faits leur caractère fautif. De même, s'il soutient, d'une part, que l'administration s'est fondée sur le plan médical sur l'unique rapport établi par un psychologue, alors qu'il n'y aurait eu aucun arrêt de travail, ni de signalement à la médecine du travail avant le déclenchement de la procédure disciplinaire et, d'autre part, que les représentants du personnel n'ont pas non plus constaté un tel climat dégradé, ces circonstances ne sont de nature ni à ôter ni à atténuer le caractère fautif des faits reprochés et établis à l'encontre de M. A....

13. En cinquième lieu, M. A... invoque l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et ses mandats, en faisant valoir que son élection en qualité de conseiller des prud'hommes est à l'origine de la demande d'autorisation de licenciement présentée par le Crédit agricole, qu'il n'a plus bénéficié d'une d'évolution au sein de la société depuis sa désignation comme représentant syndical Force Ouvrière au comité d'entreprise le 24 novembre 2015, et ce malgré ses résultats professionnels, et qu'à la fin de l'année 2017, des tensions sont apparues entre ce syndicat et la direction du Crédit agricole, la société s'opposant à la diffusion d'un tract relatif aux groupes de travail sur le projet d'entreprise. Toutefois, les allégations de l'appelant ne sont pas établies par les pièces du dossier, eu égard notamment aux explications données en défense selon lesquelles, d'une part, seulement 21 postes de directeur de groupe d'agences existaient pour 107 salariés occupant des fonctions de directeur et de directeur adjoint et, d'autre part, M. A... a été nommé directeur de l'agence de Cazères, soit la plus importante du secteur. Dans ces conditions, l'existence d'un lien entre la décision autorisant son licenciement et l'exercice de ses mandats n'est pas établi.

14. Il résulte de ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions en annulation de la décision du 15 mai 2018 de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement ainsi que celles dirigées à l'encontre de la décision du 6 mars 2019 du ministre chargé du travail rejetant de façon expresse son recours hiérarchique.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. La caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Toulouse, n'étant pas dans la présente instance, la partie perdante, les conclusions présentées par M. A... à son encontre sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Toulouse .

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Toulouse sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Toulouse et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M.C..., président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.

Le rapporteur

P. C...

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20TL22578

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL22578
Date de la décision : 18/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: M. Pierre-Maurice BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : LEGAL WORKSHOP

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-10-18;20tl22578 ?
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