Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière 4 Les Jardins de la Croix Blanche a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la mise en demeure émise le 29 juin 2018 de payer la somme de 145 964 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée dont elle restait redevable au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 et aux pénalités y afférentes, ainsi que la décision du 17 septembre 2018 par laquelle le directeur départemental des finances publiques de Vaucluse a rejeté sa réclamation préalable, et d'ordonner la suspension des poursuites.
Par un jugement n° 1803609 du 5 février 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 avril 2021 sous le n° 21MA01350 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL01350 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche, représentée par Me Andjerakian-Notari, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités y afférentes qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 ;
3°) de prononcer en conséquence la décharge de l'obligation, procédant de la mise en demeure émise le 29 juin 2018, de payer la somme de 145 964 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il n'était pas saisi de conclusions d'assiette ;
- la décision de l'administration est entachée d'un défaut de motivation ;
- la réponse aux observations du contribuable, qui n'examine pas les moyens et pièces produites, n'est pas motivée ;
- elle bénéficiait d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2013 et n'était pas redevable d'une taxe sur la valeur ajoutée nette ;
- elle était également créditrice de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2014 ;
- le montant de la taxe sur la valeur ajoutée déductible au titre de l'année 2015 est erroné.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Cherrier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société 4 Les Jardins de la Croix Blanche fait appel du jugement du 5 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes, s'estimant exclusivement saisi de conclusions tendant à la décharge de l'obligation, procédant d'une mise en demeure émise le 29 juin 2018, de payer la somme de 145 964 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée dont elle restait redevable au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 et aux pénalités y afférentes, a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. La demande déposée par le représentant légal de la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche devant le tribunal administratif de Nîmes, en vertu de laquelle elle contestait son imposition et entendait obtenir l'annulation de la décision du 17 septembre 2018 rejetant sa réclamation préalable pour des motifs tenant au bien-fondé de la taxe sur la valeur ajoutée mise à sa charge, devait être regardée, afin de donner une portée utile à ses conclusions et moyens, non seulement comme tendant à la décharge de l'obligation de payer procédant de la mise en demeure émise le 29 juin 2018 et explicitement contestée, mais aussi comme tendant à la décharge des rappels de taxe correspondants, en droits et pénalités. La société appelante est, par suite, fondée à soutenir que le tribunal a omis de statuer sur une partie de ses conclusions. Le jugement attaqué doit, dès lors et dans cette mesure, être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions sur lesquelles le tribunal administratif de Nîmes n'a pas statué et de se prononcer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les conclusions tendant à la décharge de l'obligation de payer.
Sur les conclusions d'assiette :
4. En premier lieu, les irrégularités qui entachent la décision par laquelle le directeur des finances publiques statue sur la réclamation du redevable ne sont, par elles-mêmes, d'aucun effet sur la régularité comme sur le bien-fondé de l'imposition. Par suite, le moyen tiré, dans la requête de la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche, du défaut de motivation de la décision rejetant sa réclamation préalable ne peut, en tout état de cause, être utilement invoqué à l'appui des conclusions en décharge des impositions litigieuses.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ". Le dernier alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales oblige l'administration à aviser le contribuable qui a présenté des observations sur une proposition de rectification de la persistance d'un désaccord, en lui en faisant connaître les motifs. En l'espèce, les réponses aux observations du contribuable du 20 février 2017 et du 21 novembre 2017 énonçaient les motifs sur lesquels l'administration a entendu se fonder pour justifier le maintien des rectifications proposées et pour écarter les arguments soulevés par la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche, auxquels elle a répondu explicitement. Il s'ensuit que le moyen tiré du défaut de motivation de ces réponses doit être écarté.
6. En troisième lieu, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et les pénalités y afférentes contestés procèdent de la réintégration, dans les bases imposables de la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche, dont l'objet social est la construction d'immeubles en vue de la vente, du montant des encaissements réalisés au cours des années 2013, 2014 et 2015 dans le cadre de ventes en l'état futur d'achèvement de quatre appartements situés 1 avenue Frédéric Mistral à Meyrargues (Bouches-du-Rhône) et livrés en 2015.
7. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. (...) ". Il n'est pas contesté que la comptabilité de la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche des exercices 2014 et 2015, qui notamment était dépourvue de comptes 411 " clients " et entachée de nombreuses anomalies, portant en particulier sur les comptes TVA soldés en fin d'exercice, n'était pas probante et comportait ainsi de graves irrégularités au sens des dispositions précitées. Les impositions ont été établies conformément à l'avis rendu par la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au cours de sa séance du 19 avril 2018. Dans ces conditions, la charge de prouver le caractère exagéré des bases d'imposition arrêtées par l'administration incombe, pour les rappels correspondants aux années 2014 et 2015, à la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales. L'avis de la commission du 19 avril 2018 portant également sur l'année 2013, la charge de la preuve incombe à l'administration s'agissant des rappels correspondant à cette année.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 257 du code général des impôts : " I.- Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. (...) 2. Sont considérés : (...) 2° Comme immeubles neufs, les immeubles qui ne sont pas achevés depuis plus de cinq années, qu'ils résultent d'une construction nouvelle ou de travaux portant sur des immeubles existants (...) ". Aux termes de l'article 266 du même code : " (...) 2. En ce qui concerne les opérations mentionnées au I de l'article 257, la taxe sur la valeur ajoutée est assise : (...) b. Pour les mutations à titre onéreux ou les apports en société sur : - Le prix de la cession, le montant de l'indemnité ou la valeur des droits sociaux rémunérant l'apport, augmenté des charges qui s'y ajoutent ; - La valeur vénale réelle des biens, établie dans les conditions prévues à l'article L. 17 du livre des procédures fiscales, si cette valeur vénale est supérieure au prix, au montant de l'indemnité ou à la valeur des droits sociaux, augmenté des charges. (...) ". Aux termes de l'article 267 du même code : " I.- Sont à comprendre dans la base d'imposition : 1° Les impôts, taxes, droits et prélèvements de toute nature à l'exception de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même. (...) ". Aux termes de l'article 269 du même code : " (...) 2. La taxe est exigible : (...) a bis) Pour les livraisons d'immeubles à construire, lors de chaque versement des sommes correspondant aux différentes échéances prévues par le contrat en fonction de l'avancement des travaux (...) ".
9. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées des articles 266 et 267 du code général des impôts qu'en cas de vente "contrat en mains", la taxe sur la valeur ajoutée doit être assise sur l'intégralité du prix convenu, ou sur la valeur vénale du bien si elle lui est supérieure, à l'exception de la taxe sur la valeur ajoutée, mais sans déduction des frais du contrat que les parties conviennent de mettre à la charge du vendeur. En conséquence, c'est à bon droit que l'administration a inclus dans les bases d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de 2013 et de 2014 les frais d'actes notariés afférents aux ventes conclues lors de ces deux années et pris en charge par la société requérante.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. (...) 3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. (...) ". Aux termes de l'article 208 de l'annexe II au même code : " I. - Le montant de la taxe déductible doit être mentionné sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission. Les régularisations prévues à l'article 207 doivent également être mentionnées distinctement sur ces déclarations. (...) ".
11. La société 4 Les Jardins de la Croix Blanche fait valoir que le service n'a pas pris en compte la taxe sur la valeur ajoutée déductible correspondant aux factures des travaux qu'elle a réalisés lors de chacune des années en litige pour la construction des appartements en cause. Toutefois, il est constant qu'elle n'a pas porté ces taxes, relatives aux règlements intervenus en 2013 et 2014, sur les déclarations souscrites dans le délai prévu par les dispositions du I de l'article 208 de l'annexe II au code général des impôts. Il s'ensuit, alors même que ces omissions résulteraient d'une défaillance de l'entreprise chargée de sa comptabilité, que c'est à bon droit que l'administration a retenu la seule taxe sur la valeur ajoutée déductible régulièrement déclarée en 2013 et 2014. Par ailleurs, la seule production d'un tableau retraçant les travaux prétendument payés en 2015 ne permet pas d'établir la réalité des montants de taxe sur la valeur ajoutée déductible que la société requérante revendique au titre de cette même année et de remettre en cause le droit à déduction retenu par le service, après prise en compte partielle des observations formulées par la contribuable le 2 novembre 2017, à hauteur de 26 257 euros. Il suit de là que c'est à bon droit que l'administration n'a pas admis en déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche était redevable les taxes qu'elle invoque dans ses écritures contentieuses.
12. Il résulte de ce qui précède que la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche n'est pas fondée à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités y afférentes qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015.
Sur les conclusions en recouvrement :
13. L'ensemble des moyens soulevés par la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche pour contester l'obligation de payer procédant de la mise en demeure émise le 29 juin 2018 sont des moyens relatifs à la régularité et au bien-fondé de l'imposition correspondante, qui sont inopérants dans le cadre d'un litige relatif au recouvrement de l'impôt. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions en décharge de l'obligation de payer procédant de cette mise en demeure.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1803609 du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions d'assiette présentées par la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche.
Article 2 : La demande présentée par la société 4 Les Jardins de la Croix Blanche devant le tribunal administratif de Nîmes et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière 4 Les Jardins de la Croix Blanche et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées et à la direction régionale des finances publiques d'Occitanie.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2022, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- Mme Fabien, présidente assesseure,
- M. Lafon, président assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2022.
Le rapporteur,
N. A...
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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