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21/07/2022 | FRANCE | N°22TL20877

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 1ère chambre, 21 juillet 2022, 22TL20877


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 15 juillet 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a ordonné son expulsion.

Par un jugement n° 2105531 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 22TL20876 le 28 mars 2022, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la deman

de présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- M. A... ne bénéf...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 15 juillet 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a ordonné son expulsion.

Par un jugement n° 2105531 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 22TL20876 le 28 mars 2022, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- M. A... ne bénéficie pas de la protection offerte par les dispositions du 1° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la présence de M. A... sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2022, M. A..., représenté par Me Barbot-Lafitte, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Haute-Garonne ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 25 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 8 juin 2022.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juin 2022.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 22TL20877 le 28 mars 2022, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2105531 du 1er mars 2022 du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2022, M. A..., représenté par Me Barbot-Lafitte, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative:

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le préfet de la Haute-Garonne ne sont pas susceptibles de satisfaire les conditions requises à l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

Par ordonnance du 25 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 8 juin 2022.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juin 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lasserre, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Cherrier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant turc, né le 5 janvier 1990, a été condamné, le 17 septembre 2013, par le tribunal correctionnel de Toulouse, à un mois d'emprisonnement pour dégradation ou détérioration d'un bien destiné à l'utilité ou la décoration publique. Le 15 novembre 2013, il a été condamné en appel par la cour d'assises de Tarn-et-Garonne à quinze années de réclusion criminelle pour viol commis sur une mineure de quinze ans et complicité de viol avec circonstances aggravantes. Après avis favorable de la commission d'expulsion réunie le 7 juillet 2021, le préfet de la Haute-Garonne a décidé, par arrêté en date du 15 juillet 2021, son expulsion pour menace grave à l'ordre public. Le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 1er mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et en demande le sursis à exécution. Ces deux requêtes présentant des questions identiques à juger, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ". Aux termes de l'article L. 631-3 du même code : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite ou délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : / 1° L'étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis qu'il atteint au plus l'âge de treize ans (...) / La circonstance qu'un étranger mentionné aux 1° à 5° a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ne fait pas obstacle à ce qu'il bénéficie des dispositions du présent article ".

3. Si M. A... produit le récépissé de demande de renouvellement du titre de séjour de sa mère délivré par la préfecture de la Haute-Garonne ainsi que sa carte de résident valable du 12 décembre 2006 au 11 décembre 2016 mentionnant une entrée en France en septembre 2001 à l'âge de onze ans, il n'apporte aucun élément de nature à établir sa présence en France au cours de l'année scolaire 2003-2004. Ainsi, et alors même que sa famille a déménagé cette année-là et que ses parents résidaient régulièrement en France, M. A... ne peut être regardé comme établissant sa présence habituelle en France depuis au moins l'âge de treize ans. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a estimé que ce dernier entrait dans le champ de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit en décidant de l'expulser sur le fondement de l'article L. 631-1 du même code et a, pour cette raison, annulé l'arrêté d'expulsion en litige.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....

Sur les autres moyens soulevés par M. A... :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...). ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

6. L'arrêté attaqué vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment l'article L. 631-1, et mentionne, outre la présence de ses parents et ses sœurs en France, l'ensemble des condamnations pénales dont M. A... a fait l'objet ainsi que les incidents disciplinaires en détention. Par suite, il est suffisamment motivé en droit et en fait au sens et pour l'application des dispositions précitées. Cette motivation révèle en outre que le préfet a procédé à un examen réel et sérieux de sa situation.

7. En deuxième lieu, les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.

8. M. A... fait valoir qu'il ne constitue plus une menace à l'ordre public dès lors qu'il a fait l'objet d'un suivi psychologique, s'est investi professionnellement en détention et a procédé à l'indemnisation des parties civiles à raison de versements mensuels. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 1, M. A... a été condamné en 2013 pour des faits de dégradation ou détérioration d'un bien destiné à l'utilité ou la décoration publique et surtout pour des faits de viol commis sur une mineure de quinze ans et complicité de viol avec circonstances aggravantes. Pendant son incarcération, s'il a bénéficié de plusieurs crédits de réduction de peine, il a également fait l'objet, le 12 mars 2015, le 2 juin 2016, le 7 décembre 2017 et le 5 mars 2020, de retraits de crédit de réduction de peine. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que M. A... ne fait pas l'objet d'un suivi psychologique alors même que le rapport d'expertise psychiatrique en date du 4 septembre 2019 relève le fait que sa réinsertion est fortement conditionnée à un soutien spécialisé. Ainsi, eu égard aux faits reprochés et à l'ensemble des informations dont il pouvait disposer sur le comportement de l'intéressé pendant son incarcération, le préfet a pu estimer à bon droit que la présence de M. A... sur le territoire français constituait une menace grave et actuelle pour l'ordre public. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas commis d'erreur d'appréciation en décidant d'expulser M. A... du territoire français.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 8 du présent arrêt, il ressort des pièces du dossier que le requérant, âgé de 31 ans à la date de l'arrêté en litige, est présent habituellement en France depuis septembre 2004, a été condamné en 2013 pour des faits de dégradation ou détérioration d'un bien destiné à l'utilité ou la décoration publique et surtout pour des faits de viol commis sur une mineure de quinze ans et complicité de viol avec circonstances aggravantes et n'a pas eu un comportement exemplaire en détention où il a refusé tout suivi psychologique. Dans ces conditions, et alors même que ses parents et ses sœurs résident régulièrement en France, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté en date du 15 juillet 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé son expulsion pour menace grave à l'ordre public.

Sur la demande de sursis à exécution du jugement :

12. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. "

13. Le présent arrêt statue sur les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué. Les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a, par suite, pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse la somme réclamée par M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2105531 du 1er mars 2022 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22TL20877 du préfet de la Haute-Garonne.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et à Me Caroline Barbot-Lafitte.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

M. Barthez, président,

Mme Fabien, présidente assesseure,

Mme Lasserre, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.

La rapporteure,

N. Lasserre

Le président,

A. Barthez Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

2

N°22TL20876, 22TL20877


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22TL20877
Date de la décision : 21/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02 Étrangers. - Expulsion.


Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Nathalie LASSERRE
Rapporteur public ?: Mme CHERRIER
Avocat(s) : BARBOT - LAFITTE;BARBOT - LAFITTE;BARBOT - LAFITTE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-07-21;22tl20877 ?
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