Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de certificat de résidence, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2004910 du 3 août 2021, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer la demande de titre de séjour de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 3 septembre 2021 sous le n° 21BX03582 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, et ensuite sous le n° 21TL23582 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire en réplique enregistré le 13 janvier 2022, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que les violences conjugales à l'encontre de Mme D... et l'abandon de domicile pour ce motif étaient établis par les pièces du dossier ;
- l'arrêté litigieux ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'absence d'attaches familiales de Mme D... dans son pays d'origine ainsi que son intégration en France ne sont pas établies ;
- cet arrêté n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi et la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours ne sont pas dépourvues de base légale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2021, Mme D..., représentée par Me Broca, demande à la cour :
- de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
- par la voie de l'appel incident, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui octroyer un certificat de résidence algérien ;
- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet de la Haute-Garonne ne sont pas fondés ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " ;
- il porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de renvoi et celle portant délai de départ volontaire à trente jours sont dépourvues de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
II. Par une requête enregistrée le 3 septembre 2021 sous le n° 21BX03584 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, et ensuite sous le n° 21TL23584 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2004910 du 3 août 2021 du tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient que les moyens qu'il soulève sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueilles par ce jugement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2021, Mme D..., représentée par Me Broca, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les conditions en vue de l'obtention du sursis à exécution du jugement attaqué ne sont pas remplies.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 26 octobre 2021 de maintien de plein droit.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... D..., ressortissante algérienne née le 1er octobre 1989, est entrée en France le 12 juillet 2018 en possession d'un visa long séjour valable du 17 juin 2018 au 15 septembre 2018 obtenu au titre du regroupement familial, afin de rejoindre son mari, ressortissant algérien bénéficiant d'un titre de résident d'une durée de dix ans. Elle a ensuite sollicité son admission au séjour le 20 novembre 2018 en raison des violences conjugales dont elle aurait été victime et, par un arrêté du 24 octobre 2019, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 3 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté. Mme D... demande, par la voie de l'appel incident, qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un certificat de résidence algérien.
Sur les conclusions de la requête n° 21TL23582 :
2. L'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés et leur durée de validité, de sorte que les dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoient la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger à raison des violences familiales ou conjugales qu'il a subies, ne sont pas applicables aux ressortissants algériens. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressé.
3. Il est constant que Mme D... a rejoint son mari en France le 12 juillet 2018. Au soutien de son allégation selon laquelle elle aurait subi des violences conjugales le 19 juillet 2018, elle produit le compte-rendu de son passage aux urgences ce même jour, établissant l'existence de diverses blessures notamment au niveau du bras droit et du cou et résumant les explications de Mme D... sur la cause de ses lésions, le procès-verbal d'audition établi lors de son dépôt de plainte le 21 juillet 2018 qui reprend les mêmes explications ainsi que le compte-rendu de l'examen par le médecin désigné du service de médecine légale établi le 23 juillet 2018 qui estime que les blessures correspondent à une journée d'incapacité totale de travail. Toutefois, il est constant que la plainte déposée par Mme D... a été classée, sans aucune suite. Aucun témoignage, tel celui de la personne qui a aidé Mme D... et a appelé l'ambulance le 19 juillet 2018, n'est produit. L'ordonnance de non-conciliation du 15 janvier 2019 du tribunal de grande instance de Toulouse ne fait pas état de ces faits. Ainsi, alors même que les blessures sont compatibles avec les explications données par Mme D..., les pièces du dossier ne permettent pas de regarder pour établis les faits de violence conjugale allégués. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a estimé que, dès lors que les violences conjugales étaient établies, l'arrêté du 24 octobre 2019 était entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressée.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif de Toulouse et devant elle.
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Le préfet de la Haute-Garonne a visé la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ainsi que les dispositions alors applicables des articles L. 511-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il a également indiqué le motif de la demande de titre de séjour, rappelé la situation personnelle de Mme D... et a précisé que, dès lors que celle-ci ne produisait pas de jugement de divorce, ne bénéficiait pas d'une ordonnance de protection et que son dépôt de plainte avait été classé sans suite, il n'y avait pas lieu de procéder à la régularisation à titre exceptionnel du séjour de l'intéressée. Ainsi, l'arrêté contesté du préfet de la Haute-Garonne comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il est donc suffisamment motivé.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs famille : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5° au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus (...) ". L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Ainsi qu'il a été indiqué, la vie commune est rompue, sans qu'il soit établi que cette rupture soit imputable aux violences dont le mari de Mme D... se serait rendu coupable. En outre, la durée du séjour habituel de l'intéressée en France à la date de l'arrêté contesté n'excède pas un an et quatre mois. Si Mme D..., qui a donné naissance à un enfant le 11 décembre 2019, établit qu'elle était enceinte à la date de l'arrêté contesté, elle ne fait état d'aucune vie commune avec le père de l'enfant pour lequel elle ne précise pas la nationalité ni ne fait état de la régularité de son séjour en France. Enfin, l'intégration professionnelle en France de Mme D..., qui est titulaire d'un diplôme de coiffeuse obtenu en Algérie, ne ressort pas des pièces du dossier. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté contesté porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précédemment citées du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent donc être écartés.
8. En troisième lieu, pour les motifs précédemment mentionnés aux points 3 et 7, c'est sans erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation personnelle de Mme D... que le préfet de la Haute-Garonne a décidé de ne pas faire usage de son pouvoir de régularisation à titre exceptionnel.
9. En dernier lieu, ainsi les moyens soulevés par Mme D... à l'encontre des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français doivent être écartés. Elle n'est pas donc fondée à soutenir que les décisions fixant le délai pour exécuter volontairement la mesure d'éloignement et fixant le pays de renvoi seraient illégales par voie de conséquence de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.
10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé son arrêté du 24 octobre 2019 par lequel il a rejeté la demande de certificat de résidence présentée par Mme D..., l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Il résulte également ce qui précède que les conclusions présentées par Mme D... par la voie de l'appel incident tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne, ou au préfet compétent au regard du lieu de résidence actuel de l'intéressée, de lui délivrer un certificat de résidence doivent être rejetées.
Sur les conclusions de la requête n° 21TL23584 :
11. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 2004910 du 3 août 2021du tribunal administratif de Toulouse. Il n'y a, par suite, plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21TL23584 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, une somme à verser au conseil de Mme D... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2004910 du 3 août 2021 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2019 est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de Mme D... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête enregistrée sous le n° 21TL23584.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme D... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme A... D... et à Me Julie Broca.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2022, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- Mme Fabien, présidente assesseure,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.
Le président-rapporteur,
A. C...L'assesseure la plus ancienne,
M. B...
Le greffier,
F. KinachLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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N°21TL23852,21TL23584