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12/05/2022 | FRANCE | N°20TL03798

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 1ère chambre, 12 mai 2022, 20TL03798


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 octobre 2020 et le 7 septembre 2021, sous le n°20MA03798 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille puis sous le n°20TL03798 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la société Ferme éolienne de Moux, représentée par Me Duval, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Aude a refusé la demande d'autorisation unique présentée par la société Ferme éolienne de Moux en vue d'explo

iter, sur le territoire de la commune de Moux, un parc éolien composé de cinq aérogénéra...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 octobre 2020 et le 7 septembre 2021, sous le n°20MA03798 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille puis sous le n°20TL03798 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la société Ferme éolienne de Moux, représentée par Me Duval, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Aude a refusé la demande d'autorisation unique présentée par la société Ferme éolienne de Moux en vue d'exploiter, sur le territoire de la commune de Moux, un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs ;

2°) de lui accorder l'autorisation sollicitée en enjoignant au préfet de l'Aude de fixer, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de l'arrêt, les conditions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ou, à défaut, d'enjoindre au préfet de l'Aude de lui délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai de 30 jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'enquête publique est irrégulière dès lors que le commissaire enquêteur a manqué à son devoir d'impartialité ;

- l'arrêté attaqué méconnaît l'autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 juin 2019 ;

- l'arrêté attaqué est entaché de plusieurs erreurs de droit relatives à l'exigence de la demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées ; aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au pétitionnaire de solliciter une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées ; le préfet de l'Aude ne saurait justifier son refus au motif que l'avis du ministre, qu'il lui incombait de demander, n'a pas été recueilli ; le préfet a commis un erreur de droit en estimant que la demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées est la seule procédure réglementaire permettant une compensation ; le préfet a commis une erreur de droit, un vice de procédure et a entaché sa décision d'un vice d'incompétence en refusant la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées alors qu'aucune demande en ce sens n'a été formée ; la procédure d'instruction, à défaut de comprendre une demande de complément relative à une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, méconnaît les articles 10-I et 11 du décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit au regard des impacts du projet sur l'avifaune et les chiroptères dès lors qu'il se fonde sur un courrier du ministère de la transition écologique et solidaire et une liste de hiérarchisation régionale des espèces protégées en Occitanie validée par le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel du 17 septembre 2019 qui ne lui sont pas opposables ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur d'appréciation relative aux impacts du projet sur l'avifaune et les chiroptères ; la demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées n'est donc pas justifiée ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur d'appréciation sur l'impact du projet sur l'agriculture ; le préfet s'est estimé lié par l'avis de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;

- le préfet a commis une erreur de droit en estimant que le projet est susceptible de porter atteinte à la réputation des vignobles alentours ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur d'appréciation sur l'impact du projet sur le paysage et le patrimoine.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 7 juillet 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Ferme éolienne de Moux ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 15 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 15 novembre 2021.

Par ordonnance du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la société Ferme éolienne de Moux.

Un mémoire présenté pour la société Ferme éolienne de Moux a été enregistré le 4 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- l'arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lasserre, première conseillère,

- les conclusions de Mme Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Duval représentant la société Ferme éolienne de Moux.

Une note en délibéré présentée par la société Ferme éolienne de Moux a été enregistrée le 19 avril 2022.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ferme éolienne de Moux a déposé, le 26 décembre 2016, une demande d'autorisation unique pour exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs et d'un poste de livraison d'une hauteur maximale de 125 mètres en bout de pâles sur le territoire de la commune de Moux. Par arrêté en date du 13 décembre 2017, le préfet de l'Aude a refusé de lui délivrer cette autorisation unique. Sur recours de la société Ferme éolienne de Moux, le tribunal administratif de Montpellier a, par jugement en date du 18 juin 2019, annulé cet arrêté au motif tiré de ce que le projet n'était pas de nature à avoir un impact significatif sur les enjeux paysagers et patrimoniaux locaux et au motif tiré du défaut de motivation de l'arrêté contesté en tant qu'il se fonde sur le caractère incomplet du dossier. Par voie de conséquence, le tribunal administratif de Montpellier a enjoint au préfet de l'Aude de réexaminer la demande d'autorisation unique présentée par la requérante dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement. Par arrêté en date du 27 juillet 2020, le préfet de l'Aude a de nouveau refusé à la société Ferme éolienne de Moux la délivrance d'une autorisation unique d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Moux. Par la présente requête, la société demande à la cour d'annuler cet arrêté.

Sur le fond :

En ce qui concerne le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement : " I. - A titre expérimental (...) sont soumis aux dispositions du présent titre les projets d'installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent (...) soumises à l'autorisation prévue à l'article L. 512-1 du code de l'environnement (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette ordonnance : " Les projets mentionnés à l'article 1er sont autorisés par un arrêté préfectoral unique, dénommé " autorisation unique " dans le présent titre. / Cette autorisation unique vaut autorisation au titre de l'article L. 512-1 du code de l'environnement (...) permis de construire au titre de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, autorisation de défrichement (...). / L'autorisation unique tient lieu des permis, autorisation (...) mentionnés à l'alinéa précédent pour l'application des autres législations lorsqu'ils sont requis à ce titre (...) ".

3. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées (...) au titre de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 (...) sont considérées comme des autorisations environnementales (...) avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du (...) code (de l'environnement) que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables (...) / 2° Les demandes d'autorisation au titre (...) de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 (...) régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; / (...) ".

4. L'ordonnance du 26 janvier 2017 n'a ni pour objet ni pour effet de modifier rétroactivement les dispositions régissant la procédure de délivrance d'une autorisation unique prévue par l'ordonnance du 20 mars 2014. Ainsi, la procédure d'instruction de la demande d'autorisation unique que la société Ferme éolienne de Moux a déposée le 26 décembre 2016 est régie par l'ordonnance du 20 mars 2014 et son décret d'application du 2 mai 2014.

5. Il appartient au juge du plein contentieux de l'autorisation unique, comme de l'autorisation environnementale, d'apprécier le respect des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté en date du 27 juillet 2020 :

S'agissant de l'enquête publique :

6. Aux termes de l'article L. 512-2 du code de l'environnement, alors en vigueur : " L'autorisation prévue à l'article L. 512-1 est accordée par le préfet, après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du présent code relative aux incidences éventuelles du projet sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et après avis des conseils municipaux intéressés (...) ". Aux termes de l'article R. 123-19 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et examine les observations recueillies. / Le rapport comporte le rappel de l'objet du projet, plan ou programme, la liste de l'ensemble des pièces figurant dans le dossier d'enquête, une synthèse des observations du public, une analyse des propositions et contre-propositions produites durant l'enquête et, le cas échéant, les observations du responsable du projet, plan ou programme en réponse aux observations du public. / Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête consigne, dans un document séparé, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables, favorables sous réserves ou défavorables au projet (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au commissaire enquêteur, après avoir, dans son rapport, relaté le déroulement de l'enquête et examiné les observations recueillies, de donner, dans ses conclusions, son avis personnel et motivé sur la demande d'autorisation. Au regard du devoir d'impartialité qui s'impose au commissaire enquêteur, ses conclusions ne sauraient être dictées par un intérêt personnel, ni par un parti pris initial.

8. La société Ferme éolienne de Moux fait grief au commissaire enquêteur d'avoir un parti pris en défaveur des projets éoliens. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le commissaire enquêteur aurait mené l'enquête de telle façon que le public n'aurait pas eu une connaissance complète du projet, en particulier du jugement du tribunal administratif de Montpelier du 18 juin 2019 annulant le refus initial. Dans son rapport, le commissaire n'a pas omis d'analyser les observations favorables émises par le public sur le projet et a souligné la pertinence du résumé non technique en cohérence avec l'importance du projet. Enfin, si dans ses conclusions, le commissaire enquêteur indique que le projet n'est pas une alternative crédible à la politique énergétique, il n'a pas entendu en cela critiquer la politique gouvernementale mais seulement relever l'inadéquation du projet avec la politique gouvernementale sans que cela révèle un parti pris initial. Ainsi, au regard de l'ensemble de ces considérations, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'enquête publique serait irrégulière en raison de la partialité dont aurait fait preuve le commissaire enquêteur.

S'agissant de l'atteinte aux paysages et au patrimoine :

9. L'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif d'un jugement d'annulation devenu définitif ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, l'autorisation unique sollicitée soit à nouveau refusée par l'autorité administrative, pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le tribunal administratif.

10. Pour annuler pour excès de pouvoir le refus initial d'autorisation unique en date du 13 décembre 2017, le tribunal administratif de Montpellier, par son jugement du 18 juin 2019 devenu définitif, s'est fondé sur les motifs tirés, d'une part, de ce que le projet n'était pas de nature à avoir un impact significatif sur les enjeux paysagers et patrimoniaux locaux et, d'autre part, du défaut de motivation de l'arrêté sur l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Pour refuser à nouveau, par arrêté en date du 27 juillet 2020, l'autorisation unique sollicitée, le préfet de l'Aude s'est fondé sur deux motifs tirés de l'absence de dépôt d'une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégés et de l'atteinte significative portée par le projet aux paysages et au patrimoine, eu égard aux éléments nouveaux contenus dans l'enquête publique et ressortant de l'avis consultatif de la commission départementale nature, paysage et sites, lesquels ont révélé la perception négative du projet par les usagers. En s'affranchissant ainsi, pour rejeter la demande d'autorisation unique, de l'autorité de la chose jugée s'attachant au jugement définitif du tribunal administratif de Montpellier du 18 juin 2019 sans relever aucun changement qui aurait affecté la réalité de la situation de fait, tenant notamment à la consistance ou à l'implantation du projet, mais en se bornant à prendre en compte d'autres documents que ceux qui avaient été soumis au tribunal administratif dans l'instance portant sur le refus initial d'autorisation unique, le préfet de l'Aude a méconnu l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif de Montpellier.

S'agissant de l'atteinte à l'agriculture :

11. L'article L. 511-1 du code de l'environnement dispose : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / (...) ".

12. Il résulte de l'instruction que, pour refuser par son arrêté du 27 juillet 2020 une autorisation unique en vue d'exploiter un parc éolien à la société Ferme éolienne de Moux sur le territoire de la commune de Moux, le préfet de l'Aude a considéré que le projet était susceptible de porter atteinte au prestige et la notoriété de nombreux vignerons produisant des vins d'appellation d'origine à fortes valeurs ajoutées sur les secteurs compris dans l'aire géographique des AOC " Corbières " et " Minervois " qui sont étroitement associées à l'authenticité des terroirs, à la qualité de leur site et à la richesse de leur patrimoine historique. Il n'apporte toutefois aucun élément de nature à établir que le projet en litige porterait atteinte aux propriétés viticoles situées à proximité du projet. Par suite, le préfet a commis une erreur d'appréciation quant à l'atteinte à l'agriculture au sens des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

S'agissant des atteintes à l'avifaune et aux chiroptères :

13. Pour statuer sur une demande d'autorisation unique, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer que le projet ne méconnaît pas l'exigence de protection des intérêts patrimoniaux, paysagers et naturels visés par les dispositions précitées. Pour rechercher si une atteinte à ces intérêts est de nature à fonder un refus d'autorisation ou à fonder les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage. Toutefois, il ressort de l'arrêté attaqué en date du 27 juillet 2020, et contrairement aux écritures de la ministre en défense, que le préfet de l'Aude n'a pas fondé sa décision sur l'atteinte à l'avifaune et aux chiroptères mais a seulement opposé à la société Ferme éolienne de Moux l'absence de dépôt d'une demande de dérogation à l'interdiction de destruction du faucon crécerellette, du milan royal, de l'aigle royal, du vautour fauve, du gypaète barbu, du vautour moine et du percnoptère d'Egypte pour l'avifaune et de certains chiroptères comme la grande noctule, la noctule de leisler, la minioptère de schreibers, la pipistrelle de nathusius, la molosse de cestoni, la pipistrelle de kuhl et la vespère de savi. Les moyens tirés des erreurs de droit et d'appréciation sur l'impact du projet sur l'avifaune et les chiroptères sont, par suite, sans incidence sur la légalité de la décision en litige.

S'agissant de l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées :

14. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...) 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1° (...) et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante (...) : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; b) Pour prévenir des dommages importants (...) c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur (...) ".

15. Aux termes de l'article R. 512-26 du code de l'environnement, alors en vigueur et applicable à la procédure d'instruction de la demande d'autorisation, auquel renvoie l'article 1er du décret du 2 mai 2014 susvisé : " Le projet d'arrêté statuant sur la demande est porté par le préfet à la connaissance du demandeur, auquel un délai de quinze jours est accordé pour présenter éventuellement ses observations par écrit au préfet, directement ou par mandataire ". Aux termes de l'article 11 du décret du 2 mai 2014 susvisé : " Lorsque le dossier de demande n'est pas complet ou régulier, ou ne comporte pas les éléments suffisants pour poursuivre son instruction, le représentant de l'Etat dans le département demande des compléments et correctifs au demandeur dans un délai qu'il fixe ". Il résulte de ces dispositions que lorsque le dossier de demande n'est pas complet, le représentant de l'Etat dans le département demande des compléments au demandeur dans un délai qu'il fixe. En outre, le projet d'arrêté doit être transmis au pétitionnaire pour lui permettre de présenter, le cas échéant, ses observations. Ainsi, si le préfet ne peut rejeter une demande d'autorisation dès la phase d'examen que si le pétitionnaire n'a pas complété celle-ci dans le délai qui lui a été imparti, la circonstance qu'il n'ait pas invité le pétitionnaire à compléter sa demande au stade de l'examen préalable ne fait pas obstacle à ce qu'il la rejette après instruction, à condition d'avoir mis à même ce dernier de présenter ses observations sur les motifs qu'il entend retenir.

16. En premier lieu, par son jugement du 18 juin 2019 devenu définitif, le tribunal administratif de Montpellier s'est notamment fondé sur le défaut de motivation dans l'arrêté initial de l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Pour refuser à nouveau, par arrêté en date du 27 juillet 2020, l'autorisation unique sollicitée par la société Ferme éolienne de Moux, le préfet de l'Aude s'est fondé sur un autre motif tiré de l'absence de dépôt d'une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Par suite, il n'a pas méconnu l'autorité de la chose jugée en se fondant sur ce dernier motif pour refuser l'autorisation unique sollicitée.

17. En deuxième lieu, s'il est constant que, par courrier en date du 6 avril 2017 au stade de l'examen préalable de la demande d'autorisation unique, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement n'a demandé à la société Ferme éolienne de Moux un complément que pour l'aigle royal, il résulte de l'instruction que le préfet de l'Aude lui a transmis, par un courrier du 26 juin 2020, un projet d'arrêté sur lequel il lui a demandé de présenter ses observations et qui relevait l'absence de demande de dérogation prévue à l'article L. 411-1 du code de l'environnement pour le faucon crécerellette, le milan royal, l'aigle royal, le vautour fauve, la pie-grièche à tête rousse, le circaète Jean-le-Blanc, le busard cendré, le busard saint martin, le grand-duc d'Europe, l'aigle botté et le milan noir ainsi que pour la grande noctule, la noctule de leisler, la minioptère de schreibers, la pipistrelle de nathusius, la molosse de cestoni et la pipistrelle de kuhl. En outre, le rapport du commissaire-enquêteur du 10 février 2020 met en avant l'impact environnemental du projet, notamment sur la biodiversité et l'avis de la commission départementale de la nature, des sites et des paysages du 25 juin 2020 rappelle l'absence de demande de dérogation pour le faucon crécerellette, les milans royaux, les grands rapaces et les noctules. Enfin, par deux courriers du 12 juillet 2017 et du 3 juillet 2020, la société pétitionnaire a indiqué au préfet de l'Aude qu'elle ne déposerait pas de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, estimant ne pas entrer dans le champ d'application de l'article L. 411-1 du code de l'environnement. Par suite, en rejetant la demande d'autorisation de la requérante au motif que cette dernière ne comportait pas la demande de dérogation prévue par ces dispositions, le préfet de l'Aude, qui n'a pas privé la société pétitionnaire d'une garantie, n'a entaché sa décision de refus d'autorisation unique ni d'un vice de procédure ni d'une erreur de droit.

18. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, par son arrêté en date du 27 juillet 2020 portant refus d'autorisation unique en vue de l'exploitation d'un parc éolien par la société Ferme éolienne de Moux, le préfet n'a pas refusé la dérogation prévue à l'article L. 411-1 du code de l'environnement. Ainsi, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'avis de la ministre aurait dû être recueilli sur cette dérogation ni que le préfet n'aurait pas été compétent pour en connaitre ni qu'il aurait commis une erreur de droit en se prononçant sur cette dérogation, en l'absence de demande formée en ce sens.

19. En quatrième lieu, s'agissant de l'avifaune, l'étude d'impact a qualifié de très faibles à faibles les niveaux d'impacts bruts du projet, à l'exception de la pie-grièche à tête rousse, lequel est qualifié de modéré en phases de chantier et de démantèlement. Toutefois, s'agissant de l'aigle royal, l'étude d'impact souligne un impact potentiel existant notamment sur les juvéniles en apprentissage de chasse avec leurs parents mais aussi sur tous les oiseaux en déplacements " forcés " par mauvaises conditions météorologiques. S'agissant du milan royal, l'étude d'impact révèle que l'implantation de 4 des 5 éoliennes se situe sur la voie de migration post-nuptiale de cet oiseau qui est très sensible à l'éolienne et n'exclut pas ainsi tout risque de collision. Enfin, s'agissant du faucon crécerellette, l'étude d'impact mentionne un dortoir post-nuptial à moins de 2,5 km du site d'implantation des éoliennes qui n'exclut pas, eu égard à la sensibilité particulière de cette espèce à l'éolien, les risques de collision. En outre, les mesures d'évitement prévues par la pétitionnaire consistant à préserver les zones à enjeux écologiques et à prendre en compte les périodes sensibles pour la faune dans le calendrier des travaux n'apparaissent pas de nature à éviter entièrement le risque de collision et de perturbation intentionnelle de ces espèces. Par ailleurs, si des mesures de limitation de l'attractivité des espaces sous-éoliens pour la faune volante, de mise en place d'un système de détection et d'effarouchement de l'avifaune et d'installation de balises de protection avifaune sur le mât de supervision sont prévues, elles constituent des mesures de réduction et non d'évitement des impacts, de sorte qu'elles n'ont pas à être prises en compte aux fins d'examiner si le projet nécessitait une dérogation au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Au demeurant, la perte de territoire de chasse pour les espèces utilisant le site de Moux en recherche alimentaire comme le circaète Jean-le-Blanc, le faucon crécerellette, l'aigle botté et le Grand-duc d'Europe est constante, la requérante ayant prévue une surface de compensation de 26 ha sur toute la durée d'exploitation. Dans ces conditions, dès lors que le projet litigieux est de nature à entraîner la destruction de spécimens d'aigle royal, de milan royal et de faucon crécerellette, en particulier par collisions accidentelles et l'altération de l'habitat du circaète Jean-le-Blanc, du faucon crécerellette, de l'aigle botté et du Grand-duc d'Europe, il relève du régime de dérogation pour les espèces susmentionnées. Il est constant que le pétitionnaire n'a pas sollicité une telle dérogation. Par suite, le préfet de l'Aude n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la société Ferme éolienne de Moux aurait dû déposer une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées pour ces espèces.

20. En cinquième lieu, s'agissant des chiroptères, l'étude d'impact a identifié 11 espèces de chiroptères dans l'aire d'étude et souligne que le risque de mortalité lié à des collisions et des barotraumatismes est qualifié de faible pour la minioptère de schreibers, modéré pour trois espèces, la sérotine commune, la grande noctule et la noctule commune, assez fort pour la pipistrelle de nathusius et la pipistrelle pygmée et fort pour la molosse de cestoni, la pipistrelle commune, la pipistrelle de kuhl, la noctule de leisler et la vespère de savi. La mesure d'évitement prévue par la pétitionnaire consistant à prendre en compte les périodes sensibles pour la faune dans le calendrier des travaux n'apparaît pas de nature à éviter entièrement le risque de collision et de perturbation intentionnelle de ces espèces. Par ailleurs, si des mesures tendant à limiter l'attractivité des espaces sous-éoliens pour la faune volante et consistant en un système de régulation des éoliennes en faveur des chiroptères seront prévues, ces dernières constituent des mesures de réduction et non d'évitement des impacts, de sorte qu'elles n'ont pas à être prises en compte aux fins d'examiner si le projet nécessitait une dérogation au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. A supposer même que le projet ne soit pas susceptible de nuire au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces de chiroptères concernées dans leur aire de répartition naturelle, une telle appréciation est seulement de nature à permettre la délivrance de la dérogation prévue par les dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, sous réserve que les autres conditions fixées par ce texte soient remplies, sans exempter le pétitionnaire de l'obligation de solliciter et obtenir une telle dérogation. Dans ces conditions, dès lors que le projet litigieux est de nature à entraîner la destruction de chiroptères, en particulier par collisions accidentelles, il relève du régime de dérogation pour les espèces dont le risque est qualifié de modéré à fort après mise en œuvre des mesures d'évitement. Il est constant que le pétitionnaire n'a pas sollicité une telle dérogation. Par suite, le préfet de l'Aude n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la société Ferme éolienne de Moux aurait dû déposer une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées pour 10 espèces de chiroptères.

21. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Aude aurait pris la même décision de refus s'il ne s'était fondé que sur le seul motif tiré de l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Dans ces conditions, l'illégalité des motifs tirés de ce que le projet porterait atteinte aux paysages et au patrimoine ainsi qu'à l'agriculture est sans incidence. Par suite, la requête doit être rejetée, en ce compris, ses conclusions en injonction.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser à la société Ferme éolienne de Moux au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Ferme éolienne de Moux est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme éolienne de Moux et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2022, à laquelle siégeaient :

M. Barthez, président,

Mme Fabien, présidente assesseure,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mai 2022.

La rapporteure,

N. Lasserre

Le président,

A. Barthez

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°20TL03798


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20TL03798
Date de la décision : 12/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-03 Urbanisme et aménagement du territoire. - Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Nathalie LASSERRE
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : SELARL KALLIOPÉ

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-05-12;20tl03798 ?
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