La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/08/2025 | FRANCE | N°24PA03770

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 05 août 2025, 24PA03770


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 mars 2022 par laquelle le ministre de la justice a mis en œuvre un régime exorbitant de fouilles intégrales à son encontre pour une durée de trois mois.



Par un jugement n° 2207436 du 30 avril 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.





Procédure devant la Cour :



Par une requête enregistr

ée le 20 août 2024, M. B... A..., représenté par Me David, demande à la Cour :



1°) d'annuler le jugement n° 2207436 du 30 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 mars 2022 par laquelle le ministre de la justice a mis en œuvre un régime exorbitant de fouilles intégrales à son encontre pour une durée de trois mois.

Par un jugement n° 2207436 du 30 avril 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 août 2024, M. B... A..., représenté par Me David, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2207436 du 30 avril 2024 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 17 mars 2022 par laquelle le ministre de la justice a mis en œuvre un régime exorbitant de fouilles intégrales à son encontre pour une durée de trois mois ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 3 600 euros, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'incompétence de son auteur dès lors que la délégation de signature consentie à ce dernier n'a pas fait l'objet d'une publication suffisante ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle méconnait l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009 ;

- elle méconnait également les articles 3 et 8 de la convention européenne des droits de l'Homme ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 juin 2025, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens n'est fondé.

Par une décision du 11 juin 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. A....

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

- l'ordonnance n° 2022-478 du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Diémert,

- et les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 17 mars 2022, le ministre de la justice a soumis M. B... A..., incarcéré au quartier de prévention de la radicalisation du centre pénitentiaire de Paris la Santé, à un régime exorbitant de fouilles intégrales systématiques à l'issue de chaque parloir famille ou après chaque rencontre en unité de vie familiale, pour une durée de trois mois. M. A... ayant saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation de cette décision, cette juridiction a rejeté sa demande par un jugement du 30 avril 2024 dont l'intéressé relève appel devant la Cour.

Sur la légalité externe de la décision litigieuse :

2. En premier lieu, le requérant soutient que la décision litigieuse est entachée d'incompétence de son auteur dès lors que la délégation de signature consentie à ce dernier n'a pas fait l'objet d'une publication suffisante.

3. Aux termes de l'article R. 57-7-5 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Pour l'exercice de ses compétences en matière disciplinaire, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint, à un directeur des services pénitentiaires ou à un membre du corps de commandement du personnel de surveillance placé sous son autorité. (...) ". Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le chef d'établissement du centre pénitentiaire de Paris la Santé a, par une décision n° 7 du 9 novembre 2021 publiée au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2021-627 de la préfecture de Paris du 15 novembre 2021, donné à M. C... D..., son adjoint, signataire de la décision litigieuse, délégation à l'effet de signer les décisions de procéder à la fouille des personnes détenues. Eu égard à l'objet d'une délégation de signature qui, quoique constituant un acte réglementaire, n'a pas la même portée à l'égard des tiers qu'un acte modifiant le droit destiné à leur être appliqué, cette publication, qui permet de donner date certaine à la décision de délégation prise par le chef d'établissement, a constitué une mesure de publicité suffisante pour rendre les dispositions de la délégation de signature opposables aux tiers, notamment à l'égard des détenus du centre pénitentiaire de Paris la Santé. Au surplus, le garde des sceaux, ministre de la justice a soutenu devant le tribunal administratif, sans être alors contredit ni l'être davantage en appel, que cet arrêté de délégation a fait l'objet d'un affichage dans l'établissement, accessible par tous les détenus.

4. Le moyen doit donc être écarté.

5. En second lieu, le requérant soutient que la décision litigieuse est insuffisamment motivée.

6. Aux termes de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, applicable au litige : " Hors les cas où les personnes détenues accèdent à l'établissement sans être restées sous la surveillance constante de l'administration pénitentiaire ou des forces de police ou de gendarmerie, les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l'imposent. Dans ce cas, le chef d'établissement doit prendre une décision pour une durée maximale de trois mois renouvelables après un nouvel examen de la situation de la personne détenue. / Lorsqu'il existe des raisons sérieuses de soupçonner l'introduction au sein de l'établissement pénitentiaire d'objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef d'établissement peut également ordonner des fouilles de personnes détenues dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de leur personnalité. Ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Elles sont spécialement motivées et font l'objet d'un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l'administration pénitentiaire. "

7. En l'espèce, et comme l'ont relevé les premiers juges, la décision litigieuse cite les dispositions de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et mentionne les faits pour lesquels M. A... est prévenu, la sensibilité de son quartier d'affectation, la dangerosité des personnes qui y sont détenues et la nécessité d'assurer l'étanchéité de ce secteur. Elle comporte ainsi les éléments de droit et de fait sur lesquels elle se fonde.

8. Le moyen doit donc être écarté.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire et de l'erreur manifeste d'appréciation :

9. En vertu du premier alinéa de l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009, cité au point 6, les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement, leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues, elles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Aux termes de l'article R. 57-7-79 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Les mesures de fouilles des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en œuvre sur décision du chef d'établissement pour prévenir les risques mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l'établissement (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 57-7-80 du même code, alors en vigueur : " Les personnes détenues sont fouillées chaque fois qu'il existe des éléments permettant de suspecter un risque d'évasion, l'entrée, la sortie ou la circulation en détention d'objets ou substances prohibés ou dangereux pour la sécurité des personnes ou le bon ordre de l'établissement. ".

10. Il résulte de ces dispositions que si les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l'application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l'intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu'il a pu avoir avec des tiers. Les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique. Il appartient à l'administration pénitentiaire de veiller, d'une part, à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées et, d'autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.

11. Il ressort des termes de la décision litigieuse que la mise en œuvre d'un régime exorbitant de fouilles intégrales systématiques à l'encontre de M. A... est notamment justifiée par les motifs de sa détention, comme prévenu pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, au regard de la sensibilité du quartier de prise en charge des personnes radicalisées du centre pénitentiaire de la Santé à Paris, dans lequel il est affecté, par la dangerosité des personnes qui y sont détenues, majoritairement prévenues ou condamnées pour des faits de terrorisme, ainsi que par la nécessité d'assurer l'étanchéité de ce secteur et de s'assurer notamment de ce qu'aucun objet non autorisé ou non contrôlé n'y soit introduit, un téléphone portable ayant été saisi le 10 février 2022 dans la cour de promenade régulièrement fréquentée par l'intéressé.

12. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il ressort des pièces du dossier que M. A..., détenu pour une autre cause à la maison d'arrêt de Sarreguemines depuis le 12 novembre 2020, a été mis en examen pour l'infraction d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteinte aux personnes et placé en détention provisoire pour ces faits le 15 janvier 2021. Il a été transféré le 16 janvier 2021 à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Eu égard aux motifs de sa détention, il a été dirigé vers le quartier d'évaluation de la radicalisation le 28 juin 2021. Il ressort du rapport d'évaluation pluridisciplinaire du quartier d'évaluation de la radicalisation que l'attitude de M. A... a évolué défavorablement au fur et à mesure du temps passé en ce quartier, qu'il a affiché régulièrement son mécontentement d'y être placé, jugeant le cadre trop strict, qu'il a refusé toutes les activités proposées, et n'a pas développé d'interactions, de sorte que l'évaluation s'en est trouvée compliquée, l'intervention du corps de commandement ayant d'ailleurs été nécessaire pour la poursuite de son évaluation. De manière générale, si le discours du requérant n'a pas laissé paraitre de légitimation de l'utilisation de la violence, il ressort de ce même compte rendu d'évaluation qu'un risque de passage à l'acte n'est pas à exclure " tant l'obligation de se conformer à des règles astreint M. A... dans ses actes du quotidien ". Si le requérant fait valoir qu'il n'a jamais posé de problème de comportement depuis son incarcération en 2020, il ressort cependant des pièces produites en défense qu'il a fait l'objet de deux compte rendus d'incidents pour des violences verbales envers le personnel et pour refus de se soumettre à une mesure de sécurité ou refus d'obtempérer aux injonctions du personnel, ainsi que d'un compte rendu d'incident le 11 août 2021 pour refus de se déshabiller pour la fouille intégrale, faits ayant conduit à son placement en quartier disciplinaire. Par ailleurs, il résulte des écritures en défense que la décision attaquée, qui permet des fouilles intégrales à l'issue de chaque contact du requérant avec une personne extérieure à l'établissement, a pour objet d'éviter l'introduction en cellule d'objets et substances qui ne sont détectables ni par portique ni par palpation, soit en raison de la matière soit en raison de leur insertion dans une cavité et dont la transmission peut échapper à la surveillance du personnel pénitentiaire, qui n'est pas constante sur la durée du parloir, et encore moins lors de rencontres en unité de vie familiale.

13. Le recours à un régime de fouille intégrale apparaît ainsi, dans les circonstances de l'espèce, nécessaire et proportionné, dès lors qu'aucune autre mesure moins intrusive n'aurait permis d'atteindre le même but dans des conditions équivalentes. Dès lors, la décision litigieuse n'est pas non plus entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

14. Les moyens doivent donc être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales :

15. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article 8 de la même convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

16. Dès lors que, comme il a été dit aux points 9 à 13 le recours à un régime de fouille intégrale apparaît, dans les circonstances de l'espèce, nécessaire et proportionné, et alors qu' il ne résulte pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles les fouilles intégrales sont pratiquées à la prison de la Santé, au sein de locaux dédiés du quartier de prise en charge de la radicalisation, dans le respect de l'intimité des détenus, seraient par elles-mêmes attentatoires à la dignité humaine, il n'a pas porté atteinte à la dignité de la personne telle que garantie par les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, il ne résulte pas davantage des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles ces fouilles intégrales sont pratiquées porteraient atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée tel que garanti par les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

17. Les moyens doivent donc être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 mars 2022 par laquelle le ministre de la justice a mis en œuvre un régime exorbitant de fouilles intégrales à son encontre pour une durée de trois mois. L'ensemble de ses conclusions d'appel doivent donc être rejetées, en ce comprises celles fondées sur l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative dès lors que le requérant, partie perdante à l'instance, ne peut en invoquer le bénéfice.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,

- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 août 2025.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

I. LUBEN

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA03770


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24PA03770
Date de la décision : 05/08/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-08-05;24pa03770 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award