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05/08/2025 | FRANCE | N°24PA01620

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 05 août 2025, 24PA01620


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 25 avril 2022 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris par laquelle il a rejeté son recours administratif préalable obligatoire dirigé contre la décision du 7 mars 2022 de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Paris la Santé lui ayant infligé une sanction de quatorze jours de cellule disciplinaire.



Par un jugement nos 2210242-221

0243 du 2 février 2024, le tribunal administratif de Paris annulé ces décisions.



Procé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 25 avril 2022 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris par laquelle il a rejeté son recours administratif préalable obligatoire dirigé contre la décision du 7 mars 2022 de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Paris la Santé lui ayant infligé une sanction de quatorze jours de cellule disciplinaire.

Par un jugement nos 2210242-2210243 du 2 février 2024, le tribunal administratif de Paris annulé ces décisions.

Procédure devant la Cour :

Par un recours enregistré le 8 avril 2024 et un mémoire enregistré le 23 mai 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 2210242-2210243 du 2 février 2024 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que le jugement attaqué est entaché d'une triple erreur d'appréciation en ce que, d'une part, il y est estimé que l'administration n'a pas pris les mesures pour apprécier le risque suicidaire présenté par l'intéressé et, le cas échéant, y remédier, d'autre part, en ce que la décision y est regardée comme fondée sur des faits inexacts, s'agissant des faits du 2 mars 2022, et enfin, en ce que la sanction de mise en cellule disciplinaire pour une durée de quatorze jours y est regardée comme présentant un caractère disproportionné.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 septembre 2024, M. A... B..., représenté par Me Chapelle, conclut au rejet du recours et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et versée à son conseil en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que les moyens du recours ne sont pas fondés.

Par une décision du 23 mai 2025, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- l'ordonnance n° 2022-478 du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire ;

- la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Diémert,

- les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public,

- et les observations de Me Fragonas substituant Me Chapelle, avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., écroué le 19 décembre 2021 au centre pénitentiaire de Paris la Santé, a fait l'objet de compte-rendus d'incident pour s'être jeté, le 22 février 2022, dans le filet de protection de la rue haute de l'établissement et pour avoir, le 2 mars 2022, bousculé un surveillant pénitentiaire et bloqué la fermeture de sa porte de cellule. Par deux décisions du 7 mars 2022, la commission de discipline a estimé qu'il avait ainsi commis des fautes au regard, respectivement, du 14° de l'article R. 57-7-1 et du 1° de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale, et au regard du 1° de l'article R. 57-7-1 et du 1° de l'article R. 57-7-2 du même code. Elle lui a infligé une sanction de mise en cellule disciplinaire d'une durée de quatorze jours, commune aux deux procédures. L'intéressé a formé le 21 mars 2022 des recours administratifs préalables obligatoires, sur le fondement de l'article R. 57-7-32 du code de procédure pénale, devant le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, qui les a rejetés par deux décisions du 25 avril 2022 dont M. B... a saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d'en prononcer l'annulation. Cette juridiction a fait droit à sa demande par un jugement du 2 février 2024 dont le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel devant la Cour.

2. En premier lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation en ce qu'il y est considéré que l'administration n'a pas pris les mesures pour apprécier le risque suicidaire présenté par l'intéressé et, le cas échéant, y remédier.

3. Il ressort des pièces du dossier que l'autorité administrative a estimé que M. B... a commis des fautes au regard du 14° de l'article R. 57-7-1 et du 1° de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale alors en vigueur, le 22 février 2022, pour s'être jeté dans le vide par-dessus la rambarde d'une coursive en étage, ce qui l'a fait chuter dans le filet de protection de la rue haute.

4. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, en dépit, d'une part, de la circonstance que M. B... suivait à l'époque des faits un traitement, prescrit par un médecin psychiatre, consistant en la prise de deux médicaments destinés à apaiser ses angoisses et à l'aider à dormir et revenait, au moment des faits, de l'unité sanitaire, où il avait consulté un psychiatre et, d'autre part, de ses propos réaffirmés au cours de son audition du 7 mars 2022 par la commission de discipline, durant laquelle il a indiqué qu'il s'était jeté dans le vide car il " n'avai[t] pas les idées claires ", qu'il " voulai[t] [s]e suicider " et conserver l'intention de le faire et de " [s]e casser les dents au sol ", la délibération de cette commission n'a pas tenu compte de l'intention qui était celle de l'intéressé lorsqu'il s'est jeté dans le vide, et la présidente de la commission a tout de même décidé, cinq minutes après la notification de la délibération à l'intéressé, de le placer aussitôt en cellule de protection d'urgence, avant l'exécution de la sanction disciplinaire prononcée à son encontre, en raison du " risque auto-agressif " qu'il présentait, qualifié dans la décision de placement de " grave et immédiat ". Ainsi, et alors que le garde des sceaux, ministre de la justice n'apporte en appel aucun élément de nature à permettre à la Cour de remettre en cause, sur ce point, l'appréciation portée sur ces circonstances par les premiers juges, et notamment en l'absence de tout élément nouveau communiqué sur l'évaluation par ses services du risque suicidaire de l'intéressé durant cette période, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'autorité administrative aurait alors pris des mesures pour apprécier le risque suicidaire présenté par l'intéressé et, le cas échéant, y remédier. Le moyen doit donc être écarté.

5. En deuxième lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation en ce la décision y est regardée comme fondée sur des faits inexacts s'agissant des faits du 2 mars 2022.

6. Il ressort des pièces du dossier que l'autorité administrative a estimé que M. B... a commis des fautes au regard du 1° de l'article R. 57-7-1 et du 1° de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale alors en vigueur, le 2 mars 2022, en ayant bousculé un surveillant pour tenter de sortir de sa cellule et en ayant fait obstacle à la fermeture par celui-ci de la porte de la cellule.

7. Les premiers juges, après avoir relevé qu'il ressort d'abord du rapport d'enquête établi à la suite des faits que M. B... avait reconnu lui-même avoir bloqué la porte de la cellule avec son pied alors que le surveillant essayait de la refermer et qu'il doit ce faisant être regardé comme ayant refusé d'obtempérer immédiatement aux injonctions du personnel de l'établissement, en méconnaissance du 1° de l'article R. 57-7-2, ce qui caractérise une faute du deuxième degré, et après avoir considéré, d'une part, que l'intéressé a en revanche contesté la matérialité de ces faits tant dans sa déclaration reproduite dans le rapport d'enquête qu'au cours de son audition par la commission de discipline, d'autre part, que les membres de la commission de discipline ont adopté leur délibération après avoir visionné, en présence de l'intéressé et de son conseil, les bandes de vidéosurveillance ayant enregistré l'échange entre le détenu et le surveillant, qu'en outre, il ressort que le conseil de M. B... a déclaré, au cours de la séance de la commission de discipline, que les bandes ne permettaient pas de voir un " geste clair " de sa part en direction du surveillant pénitentiaire et qu'enfin le ministre, à qui une copie de ces enregistrements a été demandée par le biais d'une mesure d'instruction, ne les a pas portés à la connaissance du tribunal et n'a fait état d'aucune circonstance qui l'aurait placé dans l'impossibilité de le faire, ont regardé la décision attaquée du 22 février 2022 comme entachée d'une erreur de fait en tant qu'elle a regardé les faits en cause comme étant matériellement établis.

8. Devant la Cour, le garde des sceaux, ministre de la justice, à qui il incombe d'apporter la preuve des faits reprochés au détenu faisant l'objet d'une procédure disciplinaire, se borne à réitérer l'impossibilité de produire les bandes de vidéosurveillance, alors pourtant qu'il produit dans la même instance une bande de vidéosurveillance afférente aux faits survenus le 22 février 2022. Il n'apporte ainsi aucun élément nouveau de nature à permettre de remettre en cause l'appréciation portée sur la matérialité des faits par les premiers juges, dont il y a lieu d'adopter les motifs retenus à bon droit. Le moyen doit donc être écarté.

9. En troisième et dernier lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation en ce que la sanction de mise en cellule disciplinaire pour une durée de quatorze jours y est regardée comme présentant un caractère disproportionné.

10. D'une part, en vertu de l'article R. 57-7-33 du code de procédure pénale, l'échelle des sanctions applicables aux personnes détenues comprend huit niveaux, correspondant à ses alinéas 1° à 8°, allant de l'avertissement pour les fautes les plus légères à la mise en cellule disciplinaire pour les plus lourdes. En vertu de l'article R. 57-7-49 du même code, les sanctions prononcées doivent être " proportionnées à la gravité des faits et adaptées à la personnalité de leur auteur ". Aux termes de l'article R. 57-7-41 de ce code : " Lorsque la commission de discipline est amenée à se prononcer le même jour sur plusieurs fautes commises par une personne détenue (...), les durées des sanctions prononcées se cumulent. Toutefois, lorsque les sanctions sont de même nature, leur durée cumulée ne peut excéder la limite du maximum prévu pour la faute la plus grave (...) ".

11. D'autre part, aux termes de l'article R. 57-7-43 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " La mise en cellule disciplinaire (...) consiste dans le placement de la personne détenue dans une cellule aménagée à cet effet et qu'elle doit occuper seule ". Aux termes de l'article R. 57-7-44 du même code : " La sanction de cellule disciplinaire emporte pendant toute sa durée la suspension de la faculté d'effectuer en cantine tout achat autre que l'achat de produits d'hygiène, du nécessaire de correspondance (...) de tabac ainsi que la suspension de l'accès aux activités, sous réserve des dispositions de l'article R. 57-7-45 ". Enfin, aux termes de l'article R. 57-7-47 dudit code : " (...) la durée de la mise en cellule disciplinaire ne peut excéder vingt jours pour une faute disciplinaire du premier degré, quatorze jours pour une faute disciplinaire du deuxième degré et sept jours pour une faute disciplinaire du troisième degré. / Cette durée peut être portée à trente jours lorsque : / 1° Les faits commis constituent une des fautes prévues aux 1°, 2° et 3° de l'article R. 57-7-1 (...) ".

12. Il ressort des pièces du dossier que la sanction de quatorze jours de mise en cellule disciplinaire a été prononcée à l'encontre de M. B... de manière commune aux deux procédures disciplinaires ouvertes contre lui.

13. Ainsi que l'ont d'ailleurs relevé les premiers juges, et comme il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 8, d'une part, que l'appréciation de la faute commise le 22 février 2022 est entachée d'erreur de fait et, d'autre part, que le fait d'avoir le 2 mars 2022 bousculé un surveillant pénitentiaire n'était pas matériellement établi, ces faits ne permettaient pas que soit prononcée une quelconque sanction à l'encontre de M. B....

14. Si le fait pour M. B..., d'avoir, le 2 mars 2022, bloqué quelques instants la fermeture de la porte de sa cellule en méconnaissance d'une instruction reçue d'un membre du personnel pénitentiaire demeure établi, la sanction de mise en cellule disciplinaire prononcée à son encontre, qui constitue la plus lourde de l'échelle des sanctions, et de surcroît pour une durée de quatorze jours, particulièrement longue au regard de la durée maximale encourue, présente au regard de ce seul fait un caractère disproportionné. M. B... est donc fondé à soutenir que l'autorité administrative a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en lui infligeant une sanction sans rapport avec la gravité des faits qu'il avait commis. Le moyen doit donc être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a prononcé l'annulation de la décision du 25 avril 2022 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris rejetant le recours administratif préalable obligatoire de M. B... dirigé contre la décision du 7 mars 2022 de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Paris la Santé l'ayant condamné à une sanction de quatorze jours de cellule disciplinaire. Son recours doit donc être rejeté.

Sur les frais de l'instance :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge le versement au conseil de M. C... la somme de 1 000 euros qu'il réclame sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 2 : L'État (ministère de la justice) versera à Me Chapelle, avocat de M. A... B... une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,

- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 août 2025.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

I. LUBEN

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA01620


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01620
Date de la décision : 05/08/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : CHAPELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-08-05;24pa01620 ?
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