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18/07/2025 | FRANCE | N°24PA00296

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 18 juillet 2025, 24PA00296


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 25 juillet 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé sa radiation des cadres pour abandon de poste et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 157 449,02 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.



Par un jugement n° 2002102 du 30 juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.





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rocédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2024, et régularisée le 23 février...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 25 juillet 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé sa radiation des cadres pour abandon de poste et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 157 449,02 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 2002102 du 30 juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2024, et régularisée le 23 février suivant par Me Denakpo et des mémoires enregistrés les 14 avril, 24 juin et 18 juillet 2024, présentés par M. D... et n'ayant pas été communiqués, ce dernier demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté contesté ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de procéder à sa réintégration dans le cadre d'un détachement dans une autre administration, et de procéder à la reconstitution de sa carrière, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 197 358,68 euros et de 35 000 euros, assorties des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices matériels et moraux qu'il estime avoir subis ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement contesté est irrégulier en ce qu'il n'a bénéficié d'aucune aide devant le tribunal administratif, en raison des insuffisances des avocats ;

- le jugement est également irrégulier en ce que les membres de la formation de jugement ont manqué de neutralité à son égard ;

- l'arrêté contesté est entaché d'incompétence ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'un vice de procédure ; alors qu'il était en arrêt maladie, aucune contre-visite n'a été organisée ; le délai de deux jours fixé par la mise en demeure pour justifier son absence était trop court ; cette mise en demeure a délibérément été envoyée à son ancienne adresse ; il n'a jamais été mis en demeure de reprendre son poste de manière régulière ;

- il est entaché d'une erreur de fait compte tenu de la dernière adresse connue de l'administration ;

- il est entaché d'une erreur de droit ; il ne peut y avoir abandon de poste du fait du harcèlement moral dont il était victime ;

- il est entaché d'un détournement de pouvoir et de procédure ;

- l'illégalité de cette décision est constitutive d'une faute dont il est fondé à demander réparation ;

- le préjudice matériel, lié à la perte de salaires, s'élève à 197 358,68 euros et le préjudice moral à 35 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2025, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête de M. D....

Il fait valoir que :

- la requête d'appel est irrecevable en raison de sa tardiveté ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellig ;

- et les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., surveillant brigadier pénitentiaire, était affecté au sein de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris depuis le 12 janvier 1998. Par arrêté du 25 juillet 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé sa radiation des cadres pour abandon de poste. M. D... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 157 449,02 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... a bénéficié effectivement en première instance de l'assistance d'un avocat, désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats, qui a notamment produit un mémoire et des pièces les 7 et 8 février 2023. La circonstance tirée de ce que M. D..., qui était présent et a présenté des observations lors de l'audience du 20 juin 2023, n'y était pas représenté par son avocat ne permet pas d'établir que ses droits à bénéficier d'une aide juridique et, plus généralement, les droits de la défense auraient été méconnus.

3. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'un des membres du tribunal de Melun qui siégeait à l'audience au cours de laquelle a été examinée la demande présentée par M. D... aurait, lors de cette audience ou préalablement, manifesté une animosité quelconque à l'encontre du requérant. Ainsi, le moyen tiré de ce que la composition de la formation de jugement était irrégulière en raison de son manque d'impartialité ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté du 25 juillet 2018 :

4. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par M. C... A..., en sa qualité de chef du bureau de la gestion des personnels de la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales, et qui bénéficiait en cette qualité d'une délégation de signature consentie par arrêté du directeur de l'administration pénitentiaire du 6 juillet 2018 régulièrement publié au Journal officiel de la République française du 11 juillet suivant. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait.

5. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué vise les textes dont il est fait application et mentionne de manière suffisamment précise les faits qui en constituent le fondement, et notamment la mise en demeure du 18 juin 2018 et l'absence de justification avancée par M. D... pour expliquer son absence depuis le 23 avril 2018. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision manque donc en fait et doit être écarté.

6. En troisième lieu, une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé, l'informant du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Lorsque l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention de reprendre son service avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester une telle intention, l'administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.

7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les mises en demeure de rejoindre son poste adressées à M. D... les 2 mai et 18 juin 2018 ont été envoyées à la dernière adresse connue de l'administration et sont revenues avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Si M. D... soutient que ces mises en demeure ne lui ont pas été envoyées à l'adresse à laquelle il résidait effectivement, il n'établit pas, en se bornant à soutenir que l'administration ne pouvait l'ignorer, l'avoir informée de cet éventuel changement d'adresse. Par ailleurs, la mesure de radiation dont fait l'objet M. D... n'est pas consécutive à un refus de sa part de se soumettre à une contre-visite. M. D... n'est donc pas fondé à soutenir que les mises en demeure qui lui ont été adressées auraient dû comporter une mention relative à une telle contre-visite. En tout état de cause, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir que M. D... aurait bénéficié d'un arrêt de travail adressé à l'administration pouvant justifier l'organisation d'une contre-visite préalablement à la mesure de radiation dont il a fait l'objet. Enfin, M. D... ne fait valoir aucune circonstance permettant de considérer que le délai de quarante-huit heures qui lui était imparti pour reprendre son poste par les mises en demeure du 2 mai et 18 juin 2018 suite à une absence injustifiée depuis le 23 avril 2018 n'aurait pas été suffisant. Par suite, le moyen tiré de ce que la mesure de radiation en litige n'aurait pas été précédée d'une mise en demeure régulière doit être écarté.

8. En quatrième lieu, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, les faits répétés en cause doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

9. En l'espèce, M. D... allègue avoir fait l'objet d'insultes, de menaces, de moqueries, d'ordres dégradants, de comportements déplacés et humiliants, notamment en raison de ses origines, de la part de plusieurs membres de son administration et lors de ses différentes affectations au sein du quartier de semi-liberté de Versailles, de la direction de l'administration pénitentiaire et de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris et qu'il aurait été empêché d'obtenir une promotion ou une mutation et qu'il a fait l'objet de quatre changements de poste en un an. Toutefois, l'intéressé ne produit à l'appui de ses déclarations aucun justificatif circonstancié et probant de nature à établir la réalité des atteintes et agissements dont il se prévaut. Par ailleurs, à supposer établis les changements de poste sur une brève période dont M. D... aurait fait l'objet, les pièces du dossier ne permettent pas de faire présumer que ces mesures auraient été inspirées par la volonté de sanctionner l'agent ou qu'elles auraient excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par suite, M. D... n'apporte aucun élément de fait susceptible de faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement à son encontre de nature à justifier son abandon de poste. Pour les mêmes motifs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision de radiation contestée serait entachée d'un détournement de pouvoir ou de procédure.

10. Il s'ensuit que M. D... n'est pas fondé à soutenir que la mesure de radiation qu'il conteste serait entachée d'illégalité. Il n'est dès lors pas davantage fondé à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat sur ce même fondement.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de

non-recevoir soulevée en défense ni la recevabilité des mémoires produits, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barthez, président de chambre,

- Mme Milon, présidente assesseure,

- Mme Lellig, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juillet 2025.

La rapporteure,

W. LELLIG

Le président,

A. BARTHEZ

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 24PA00296


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00296
Date de la décision : 18/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Wendy LELLIG
Rapporteur public ?: Mme DE PHILY
Avocat(s) : DENAKPO

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-18;24pa00296 ?
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