Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société en nom collectif Heliospolis Saint Cassien a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 752 897 euros dont elle s'estime titulaire au titre de la période du 1er juillet au 30 septembre 2020.
Par un jugement n° 2128483/2-1 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un remboursement de 82 684 euros intervenu en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 novembre 2023 et 11 mai 2024, la société Heliospolis Saint Cassien, représentée par Me Bitar et Me Granier, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement du 3 octobre 2023 ;
2°) de prononcer le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande tendant au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 595 729 euros, présentée le 15 octobre 2020, est recevable en ce qu'elle n'est pas tardive ;
- les factures à l'origine du crédit de taxe sur la valeur ajoutée comportent l'ensemble des mentions requises ;
- elle est en droit de solliciter le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux factures payées au titre de la convention de délégation parfaite de paiement conclue avec la société Cycleos pour un montant de 250 688 euros, l'absence de clause relative au transfert de la taxe sur la valeur ajoutée déductible au sein de cette délégation de paiement ne pouvant lui être légalement opposée ;
- elle est en droit de solliciter le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux factures établies en son nom propre pour un montant de 419 525 euros ;
- le refus de faire droit à sa demande de remboursement méconnaît le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, tel que défini par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande de remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige est irrecevable à concurrence d'une somme de 595 729 euros en ce qu'elle est tardive ;
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bitar, avocat de la société Heliospolis Saint Cassien.
Une note en délibéré, présentée pour la société Heliospolis Saint Cassien, a été enregistrée le 3 juillet 2025 et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. La société Heliospolis Saint Cassien exploite depuis le 5 décembre 2017 une centrale électrique photovoltaïque installée sur les toits de trois hangars du Grand Port Maritime de Marseille (Bouches-du-Rhône), dont la production d'énergie solaire est revendue à la société Electricité de France (EDF). Elle a demandé, le 24 octobre 2018, le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 595 729 euros dont elle s'estime titulaire au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2017. A la faveur d'une vérification de sa comptabilité, l'administration fiscale a estimé, dans une proposition de rectification du 30 juillet 2019, que le crédit en cause n'apparaissait pas dans les écritures comptables de la société Heliospolis Saint Cassien au titre de l'exercice clos en 2017 et a rejeté, pour ce motif, la demande de remboursement de ce crédit en procédant à son " annulation ". La société Heliospolis Saint Cassien a présenté, le 15 octobre 2020, une nouvelle demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée, au titre de la période du 1er juillet au 30 septembre 2020, pour un montant total de 752 897 euros incluant la somme de 595 729 euros. Cette demande a été implicitement rejetée par l'administration fiscale le 15 avril 2021. La société Heliospolis Saint Cassien a alors saisi le tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 3 octobre 2023, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un remboursement de 82 684 euros intervenu en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige. La société Heliospolis Saint Cassien fait appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande.
Sur la recevabilité des conclusions tendant au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 595 729 euros :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire / (...) ". Aux termes de l'article L. 199 de ce livre : " En matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal administratif (...) ". Aux termes de l'article R. 198-10 du même livre : " (...) / La direction générale des finances publiques ou la direction générale des douanes et droits indirects, selon le cas, statue sur les réclamations dans le délai de six mois suivant la date de leur présentation (...) ". Aux termes de l'article R. 199-1 du même livre : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation, que cette notification soit faite avant ou après l'expiration du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 / Toutefois, le contribuable qui n'a pas reçu la décision de l'administration dans un délai de six mois mentionné au premier alinéa peut saisir le tribunal dès l'expiration de ce délai ". Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
3. D'autre part, aux termes du IV de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat ". Selon les dispositions de l'article 242-0 A de l'annexe II à ce code, prises pour l'application de l'article 271 : " Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée doit faire l'objet d'une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté au terme de chaque année civile ". Aux termes de l'article 242-0 C de la même annexe, prises pour l'application de l'article 271 : " I. - 1. Les demandes de remboursement doivent être déposées au cours du mois de janvier et porter sur un montant au moins égal à 150 [euros] / (...) / II. - Par dérogation aux dispositions du I, les assujettis soumis de plein droit ou sur option au régime normal d'imposition peuvent demander un remboursement lorsque la déclaration mentionnée au 2 de l'article 287 du code général des impôts fait apparaître un crédit de taxe déductible. La demande de remboursement doit porter sur un montant au moins égal à 760 [euros] / (...) ".
4. Les demandes de remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée présentées sur le fondement du IV de l'article 271 du code général des impôts constituent, au sens des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, des réclamations contentieuses qui sont soumises à des conditions et délais particuliers fixés par les articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au code général des impôts. La décision que prend le service sur une réclamation de cette nature, lorsqu'elle ne donne pas entièrement satisfaction au redevable et même si elle est précédée d'opérations de contrôle, n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de rectification. Il résulte des dispositions de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales que seule la notification au contribuable d'une décision expresse de rejet de sa réclamation assortie de la mention des voies et délais de recours a pour effet de faire courir le délai de deux mois qui lui est imparti pour saisir le tribunal administratif du litige qui l'oppose à l'administration fiscale, l'absence d'une telle mention lui permettant de saisir le tribunal dans un délai ne pouvant, sauf circonstance exceptionnelle, excéder un an à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de la décision. En revanche si, en cas de silence gardé par l'administration sur la réclamation, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif à l'issue d'un délai de six mois, aucun délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre, tant qu'une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée.
5. Il résulte des termes de la proposition de rectification du 30 juillet 2019 que la demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 595 729 euros au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2017 a été rejetée. Si, pour justifier qu'aucune décision en ce sens ne serait intervenue le 30 juillet 2019, la société Heliospolis Saint Cassien se prévaut de la circonstance qu'elle s'est désistée de sa demande de remboursement par un courrier du 30 avril 2019 aux termes duquel elle a informé l'administration fiscale de " l'annulation de [sa] demande de remboursement [au motif qu'elle a décelé] des erreurs relatives à la déclaration de TVA au titre de l'exercice 2017 ", une telle circonstance est, en l'espèce, sans incidence dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'à la date de ce courrier, qui, contrairement aux allégations de la société requérante, n'indique pas que son désistement aurait résulté d'une recommandation de la vérificatrice formulée lors du premier rendez-vous du 17 avril 2019, une décision implicite de rejet de sa demande était née le 24 avril 2019, soit avant l'intervention de son désistement, et que la décision expresse de rejet de la même demande, contenue dans la proposition de rectification du 30 juillet 2019, s'est ainsi substituée à la décision implicite de rejet du 24 avril 2019. Par ailleurs, si la société Heliospolis Saint Cassien soutient que la proposition de rectification ne peut être regardée comme contenant une décision de rejet de sa demande de remboursement dès lors qu'un dialogue portant sur sa demande s'est poursuivi avec l'administration fiscale par l'exercice d'un recours hiérarchique et par la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et qu'admettre le contraire reviendrait à méconnaître les principes énoncés par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, de telles circonstances sont toutefois également sans incidence dans la mesure où, compte tenu du fait que la décision par laquelle l'administration rejette tout ou partie d'une demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de rectification, les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction de sa demande de remboursement, y compris celles qui affecteraient les opérations de vérification effectuées, sont sans incidence sur le bien-fondé de la décision expresse de rejet contenue dans la proposition de rectification du 30 juillet 2019. Il est constant que la proposition de rectification, qui ne mentionne pas les voies et délais de recours, a été reçue par la société requérante le 5 août 2019. La société Heliospolis Saint Cassien ne faisant état d'aucune circonstance exceptionnelle, elle disposait d'un délai d'un an pour saisir le tribunal administratif de cette décision expresse de rejet. En l'absence d'une telle contestation dans ce délai, la décision du 30 juillet 2019, qui a été prise sur un motif de fond, revêt un caractère définitif qui prive la société de la possibilité de se prévaloir d'un droit au report du crédit de taxe en litige après le 5 août 2020. Si la société requérante soutient que, dès lors qu'elle a fait l'objet d'une procédure de rectification en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sa nouvelle demande de remboursement formée le 15 octobre 2020 n'était pas tardive au motif que celle-ci a été déposée à l'intérieur du délai spécial de réclamation prévu à l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, qui expirait, en l'espèce, le 31 décembre 2022, elle ne peut toutefois utilement s'en prévaloir dès lors que la décision expresse de rejet du 30 juillet 2019 ne procède, comme il vient d'être dit, d'aucune procédure de rectification ou de reprise et que la société n'établit, ni même n'allègue, qu'elle aurait perdu sa qualité de redevable de la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, comme le fait valoir à bon droit le ministre, la demande de la société Heliospolis Saint Cassien, présentée le 15 octobre 2020, en ce qu'elle tend au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 595 729 euros est tardive et, par suite, irrecevable.
Sur le bien-fondé de la demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 74 484 euros :
6. Aux termes de l'article L. 177 du livre des procédures fiscales : " En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée déductible dans les conditions fixées par l'article 271 du code général des impôts, les redevables doivent justifier du montant de la taxe déductible et du crédit de taxe dont ils demandent à bénéficier, par la présentation de documents même établis antérieurement à l'ouverture de la période soumise au droit de reprise de l'administration / (...) ". En conséquence, la société Heliospolis Saint Cassien supporte la charge de la preuve du bien-fondé de sa demande de remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée revendiqué par elle.
7. La société Heliospolis Saint Cassien soutient que le montant du crédit de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige, soit une somme de 74 484 euros, correspond à des factures qu'elle dit avoir payées en son nom propre depuis octobre 2018.
8. En premier lieu, si la société requérante produit, en appel comme en première instance, de nombreuses factures établies à son nom entre 2015 et 2017, ainsi que, pour la première fois en appel, des extraits du grand-livre des comptes concernant ses exercices clos en 2016 et 2017, ces pièces ne permettent toutefois pas de justifier le montant du crédit de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige, la société n'ayant pas identifié celles des factures qui auraient été payées par elle à partir du mois d'octobre 2018, ni, au surplus, d'établir la réalité du paiement de ces factures faute pour la société de produire, notamment, des extraits du grand-livre comptable concernant son exercice clos en 2018. Ainsi, la société Heliospolis Saint Cassien n'est pas fondée à soutenir qu'elle justifie de l'origine et du paiement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige et, par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a rejeté la demande de crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 74 484 euros.
9. En second lieu, le moyen tiré d'une méconnaissance du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, tel qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, doit être écarté dès lors que la société requérante ne justifie pas du montant du crédit de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Heliospolis Saint Cassien n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Heliospolis Saint Cassien demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Heliospolis Saint Cassien est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société en nom collectif Heliospolis Saint Cassien et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
Le rapporteur,
M. Desvigne-Repusseau
La présidente,
V. Chevalier-Aubert
La greffière,
C. Buot
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04929