Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E... épouse H..., Mme M... A..., Mme N... F..., épouse A..., Mme G... F..., épouse B..., M. K..., Mme L... et Mme D... J..., épouse I..., représentés par Me Millet, ont demandé au tribunal de la Polynésie française d'annuler l'avenant n° 18-547-9/VP/DCA.ISLV du 5 mai 2022 au permis de construire n° 18-547- 2/MLA/AU.ISLV du 9 juillet 2019 accordé à la Sarl Bora Yes pour la modification du projet architectural de la villa " Quintessence ".
Par un jugement avant-dire droit n° 2200284 du 13 décembre 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a sursis à statuer, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sur la légalité de l'avenant n° 18-547-9/VP/DCA.ISLV du 5 mai 2022 au permis de construire n° 18-547- 2/MLA/AU.ISLV du 9 juillet 2019 accordé à la Sarl Bora Yes pour la modification du projet architectural de la villa " Quintessence " en litige jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de sa notification, afin de permettre à la Sarl Bora Yes de notifier au tribunal une mesure de régularisation des vices tirés de l'incomplétude du dossier de permis de construire s'agissant des plans transmis, de l'insuffisance de l'étude d'impact portée à la connaissance du public dans le cadre de l'enquête publique et de l'absence de l'annexe à l'avis définitif sur l'évaluation d'impact sur l'environnement devant récapituler les avis du public reçus lors de la consultation du public.
Par un arrêté en date du 7 mars 2023, le vice-président de la Polynésie française a délivré à la Sarl Bora Yes l'avenant modificatif au permis de construire qui a été transmis au tribunal le 10 mars 2023.
Par un jugement n° 2200284 du 25 avril 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a estimé que l'avenant au permis de construire en date du 7 mars 2023 avait régularisé les vices qui affectaient le permis initial délivré à la Sarl Bora Yes et qu'ainsi la requête de Mme E... et autres devait être rejetée.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 11 mars 2023 sous le n° 23PA01033, Mme C... E... épouse H..., Mme M... A..., Mme N... F..., épouse A..., Mme G... F..., épouse B..., M. K..., Mme L... et Mme D... J..., épouse I..., représentés par Me Millet, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement avant-dire droit n° 2200284 du 13 décembre 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) d'annuler l'avenant n° 18-547-9/VP/DCA.ISLV du 5 mai 2022 au permis de construire n° 18-547- 2/MLA/AU.ISLV du 9 juillet 2019 accordé par le ministre du logement et de l'aménagement du gouvernement de la Polynésie française à la Sarl Bora Yes pour la modification du projet architectural de la villa " Quintessence " ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française et de la Sarl Bora Yes, respectivement, une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les plans transmis avec la demande de permis modificatif ne font état que d'une seule lagune et sont donc incomplets, de sorte que, les avis rendus durant l'instruction de la demande d'avenant étant fondés sur des plans inexacts, l'autorité administrative ne peut être regardée comme ayant été mise à même de se prononcer en toute connaissance de cause sur la conformité du projet aux règles d'urbanisme et de construction applicables ; ce vice ne pouvait faire l'objet d'une régularisation ;
- le dossier de demande ne comporte pas de plans faisant apparaître l'état initial du terrain en méconnaissance de l'article A. 114-10 du code de l'aménagement de la Polynésie française, dès lors qu'au moment où les plans ont été établis, en août 2021, le terrain avait déjà été creusé pour y aménager deux lagunes, les arbres avaient déjà été abattus, et la prise d'eau océanique avait déjà été installée, de sorte que l'avis final rendu par la direction de la construction et de l'aménagement l'a été au vu de plans inexacts ; cette absence de plans présentant les travaux irrégulièrement réalisés constitue un vice ne pouvant faire l'objet d'une régularisation ;
- l'étude d'impact est insuffisante en méconnaissance de l'article LP. 1320-2 du code de l'environnement de la Polynésie française, eu égard à l'absence d'analyse de l'état initial du site, l'environnement ayant été définitivement altéré, notamment s'agissant de la lentille d'eau douce souterraine, ce qui constitue un vice ne pouvant faire l'objet d'une régularisation ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2023, la Polynésie française représentée par Me Marchand conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les travaux non autorisés, qui ont été réalisés, ont pu faire l'objet d'une régularisation à la suite d'une instruction d'une nouvelle demande d'avenant enregistré le 10 novembre 2022, avec un plan de recollement, comportant une nouvelle étude d'impact référencée EIE n° 2022/15 du 16 septembre 2022 et une notice paysagère faisant apparaître l'état initial du terrain ;
- la nouvelle étude d'impact référencée EIE n° 2022/15 du 16 septembre 2022 comporte une synthèse de l'état initial incluant les travaux initialement prévus en décembre 2021 en intégrant les impacts et les mesures compensatoires envisagées et une notice paysagère faisant apparaître l'état initial du terrain ;
- les études fournies exposent l'état initial du site et prennent en compte l'ensemble des pollutions impactant la lentille d'eau, et notamment celles liées à l'occupation humaine et aux exploitations agricoles extérieures au projet contesté, avec prise de mesures compensatoires, elles mettent également en lumière l'existence de multiples exploitations de la lentille d'eau sans autorisation administrative et l'ensemble des pollutions affectant la lentille d'eau douce ;
- cette nouvelle étude d'impact et l'information du public à compter du 19 septembre 2022 sur la consistance du projet et les mesures envisagées ont permis la régularisation du dossier.
Par un mémoire enregistré le 19 décembre 2023, la Sarl Bora Yes, représentée par Me Quinquis, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme E... épouse H... et autres une somme de 500 000 francs Pacifique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les requérants, qui n'ont pas la qualité de voisins immédiats du projet, ne démontrent pas l'existence d'un trouble apporté à la jouissance de leurs biens et ainsi d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ;
- seul le permis du 5 mai 2022 est contesté, alors qu'il a été modifié par le permis modificatif du 7 mars 2023 et qu'en l'absence d'appel du jugement du 25 avril 2023, ce dernier est devenu définitif, rendant ainsi inopérants les moyens dirigés contre le permis avant régularisation ainsi que le jugement avant-dire-droit du 13 décembre 2022 ;
- la régularisation prévue par les dispositions de l'article L. 600-5-1 est possible dès lors que la modification apportée au dossier de permis de construire initial ne constitue pas un bouleversement de la nature du projet ;
- les conclusions présentées pour la première fois en appel à l'encontre du permis modificatif du 7 mars 2023 sont irrecevables ;
- à titre subsidiaire, les moyens maintenus devant la Cour, relatifs au caractère incomplet des plans figurant au dossier d'instruction et à l'insuffisance de l'étude d'impact ne sont pas fondés, s'agissant de vices qui ont pu faire l'objet d'une régularisation.
II. Par une requête enregistrée le 23 juin 2023 sous le n° 23PA02769, Mme C... E... épouse H..., Mme M... A..., Mme N... F..., épouse A..., Mme G... F..., épouse B..., M. K..., Mme L... et Mme D... J..., épouse I..., représentés par Me Millet, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200284 du 25 avril 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) d'annuler l'avenant n° 18-547-9/VP/DCA.ISLV du 5 mai 2022 au permis de construire n° 18-547- 2/MLA/AU.ISLV du 9 juillet 2019 tel que modifié par l'avenant du 7 mars 2023 accordé par le ministre du logement et de l'aménagement du gouvernement de la Polynésie française à la Sarl Bora Yes pour la modification du projet architectural de la villa " Quintessence " ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française et de la Sarl Bora Yes, respectivement, une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le caractère incomplet des plans ne constituait pas un vice susceptible de régularisation, alors au demeurant que les plans de masse transmis pour l'obtention du permis modificatif ne faisaient état que d'une seule lagune intérieure, la seconde étant creusée depuis juillet 2021 au moins, et l'avis final sur l'étude d'impact délivré par la direction de la construction et de l'aménagement le 1er avril 2021 était rendu sur la base des plans qui ne comportent qu'une seule lagune intérieure ;
- le dossier de demande ne comporte pas de plans faisant apparaître l'état initial du terrain en méconnaissance de l'article A. 114-10 du code de l'aménagement, dès lors qu'au moment où les plans ont été établis, en août 2021, le terrain avait déjà été creusé pour y aménager deux lagunes, les arbres avaient déjà été abattus, et la prise d'eau océanique avait déjà été installée, de sorte que l'avis final rendu par la direction de la construction et de l'aménagement a été pris au vu de plans inexacts ; l'absence de plans présentant des travaux irrégulièrement réalisés constitue un vice ne pouvant faire l'objet d'une régularisation ;
- les travaux ont été réalisés avant tout état initial du site, et l'environnement définitivement altéré, notamment s'agissant de la lentille d'eau douce souterraine, il n'est plus possible de réaliser toute analyse de l'état initial des " eaux " au sens du 4° de l'article LP. 1320-2 du code de l'environnement ;
- l'étude d'impact est insuffisante dès lors qu'elle ne porte pas sur l'incidence des terrassements sur la ressource en eau douce, alors que les modifications induites sont irréversibles, comme que le relève l'avis émis par la direction de l'environnement le 25 septembre 2019, et qu'elle ne prévoit pas de programme de surveillance de l'évolution de la lentille d'eau douce, notamment sur son éventuelle reconstitution ;
- le permis de construire modifié par l'avenant du 7 mars 2023 méconnait les dispositions de la Charte de l'environnement de 2004, en particulier ses articles 3, 5 et 6, dès lors que le creusement de la lagune secondaire, réalisé sur un secteur présentant une nappe sous-jacente peut emporter des effets sur la salinité de l'eau souterraine ; les risques environnementaux sont disproportionnés par rapport aux intérêts privés en cause, eu égard aux risques irréversibles pour l'environnement et au bilan bénéfices/risques défavorable à la Polynésie française ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2023, la Polynésie française représentée par Me Marchand conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les travaux non autorisés, qui ont été réalisés, ont pu faire l'objet d'une régularisation à la suite d'une instruction d'une nouvelle demande d'avenant enregistré le 10 novembre 2022, accompagnée d'un plan de recollement et comportant une nouvelle étude d'impact référencée EIE n° 2022/15 du 16 septembre 2022, ainsi qu'une notice paysagère faisant apparaître l'état initial du terrain ;
- la nouvelle étude d'impact du 16 septembre 2022 comporte une synthèse de l'état initial incluant les travaux initialement prévus en décembre 2021, en intégrant les impacts et les mesures compensatoires envisagées, ainsi qu'une notice paysagère faisant apparaître l'état initial du terrain ;
- les études fournies exposent l'état initial du site et prennent en compte l'ensemble des pollutions impactant la lentille d'eau, et notamment celles liées à l'occupation humaine et aux exploitations agricoles extérieures au projet contesté, avec prise de mesures compensatoires, elles mettent également en lumière l'existence de multiples exploitations de la lentille d'eau sans autorisation administrative et l'ensemble des pollutions affectant la lentille d'eau douce ;
- cette nouvelle étude d'impact et l'information du public à compter du 19 septembre 2022 sur la consistance du projet et les mesures envisagées ont permis la régularisation du dossier ;
- les études fournies répertorient l'ensemble des pollutions affectant la lentille d'eau douce, dont la majorité ne sont pas imputables au bénéficiaire du permis de construire ;
- la nouvelle étude d'impact sur l'environnement a permis de régulariser le permis de construire, sans qu'il ne soit nécessaire de s'interroger sur la nature des intérêts poursuivis par le pétitionnaire.
La requête a été communiquée à la Sarl Bora Yes qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule et la Charte de l'environnement de 2004 ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
- la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ;
- le code de l'environnement de la Polynésie française ;
- le code de l'aménagement de la Polynésie française ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné Mme Claudine Briançon, présidente honoraire, pour exercer les fonctions de rapporteure au sein de la 1ère chambre en application de l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Claudine Briançon, rapporteure,
- et les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avenant n° 18-547-9/VP/DCA.ISLV du 5 mai 2022, le ministre du logement et de l'aménagement du gouvernement de la Polynésie française a accordé à la Sarl Bora Yes une modification au permis de construire n° 18-547- 2/MLA/AU.ISLV délivré le 9 juillet 2019 relatif au projet architectural de la villa " Quintessence ". Mme C... E... et autres ont demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'avenant n°18-547-9/VP/DCA.ISLV du 5 mai 2022 au permis de construire du 9 juillet 2019. Par un jugement avant-dire droit du 13 décembre 2022, ce tribunal, après avoir écarté les autres moyens tendant à l'annulation de cet avenant, a, sur le fondement des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur la demande présentée par Mme C... E... et autres, jusqu'à l'expiration du délai de trois mois, dans l'attente de la notification par la Polynésie française et la Sarl Bora Yes d'un permis de construire modificatif régularisant les vices relevés dans les motifs du jugement. Par un arrêté en date du 7 mars 2023, le vice-président de la Polynésie française a délivré l'avenant au permis de construire sollicité par la Sarl Bora Yes. Par un jugement du 25 avril 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande tendant à l'annulation du permis de construire du 5 mai 2022, modifié par le permis du 7 mars 2023. Mme C... E... et autres, relèvent appel du jugement avant dire droit du 13 décembre 2022, ainsi que du jugement du 25 avril 2023.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n° 23PA01033 et n° 23PA02769 sont respectivement dirigées contre le jugement avant-dire-droit et le jugement mettant fin à l'instance, statuant sur la légalité d'un permis de construire, et de son permis modificatif après régularisation, afférents au même projet, et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur la fin de non-recevoir opposée tirée du défaut d'intérêt à agir des requérants :
3. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme: " Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
4. Pour justifier de leur intérêt pour agir, les requérants, qui sont propriétaires de parcelles faisant partie de la terre Tevaipohe-Tauraaotaha, sur le motu dénommé indifféremment " Terurumi " ou " Tauraaotaha ", à Bora Bora, exposent que l'une des particularités du lieu tient à ce que son sous-sol a abrité une lentille d'eau douce de plusieurs millions de mètres cubes, laquelle était puisée par les habitants du motu depuis des générations au moyen de puits individuels creusés par chaque famille sur ses propres terres et que, à défaut d'adduction en eau potable, ils utilisent cette eau quotidiennement pour un usage domestique, et qu'elle est devenue salée à la suite des travaux de creusement de la lagune intérieure la rendant impropre à cette utilisation. Ils produisent plusieurs constats d'huissiers et de nombreuses attestations des habitants. Ils présentent ainsi des éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette situation est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien.
5. Si, en défense, la Sarl Bora Yes fait valoir que les eaux souterraines sous le motu Terurumi, qualifiées de saumâtres, peuvent certes être utilisées pour certains usages domestiques mais ne peuvent être identifiées comme de l'eau douce, que les puits réalisés par les habitants du motu excédent le droit d'usage du domaine public et que, dans l'hypothèse d'une pollution des eaux souterraines, celle-ci se diffuserait dans un rayon de moins de 100 mètres, inférieure à la distance avec les parcelles des requérants, ces seuls éléments ne suffisent pas à établir que le projet litigieux n'affecterait pas directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des biens appartenant aux requérants. La fin de non-recevoir doit donc être écartée.
Sur la fin de non-recevoir tirée du caractère définitif du jugement avant dire droit du 13 décembre 2022 :
6. Si la Sarl Bora Yes oppose à l'encontre de la requête dirigée contre le jugement avant-dire droit du 13 décembre 2022, une fin de non-recevoir tirée de ce que le jugement mettant fin à l'instance du 25 avril 2023 est devenu définitif, il est néanmoins constant que ce jugement est contesté par une requête enregistrée au greffe sous le n° 23PA02769, qui lui a été communiquée le 4 juillet 2023. Cette seconde fin de non-recevoir doit donc être écartée.
Sur l'étendue du litige :
7. D'une part, aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable à l'instance devant le tribunal administratif : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire (...) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ". D'autre part, aux termes de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d'une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré (...) et que ce permis modificatif (...) ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance ".
8. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme que les requérants partie à l'instance ayant donné lieu à un jugement avant dire droit sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ne peuvent contester la légalité de la mesure de régularisation, sur laquelle le tribunal les a invités à présenter des observations, que dans le cadre de la même instance. La circonstance qu'ils aient formé appel contre le jugement avant dire droit est sans incidence à cet égard. Par suite, les moyens tirés de ce que les vices relevés sur le caractère incomplet du dossier et de l'insuffisance de l'étude d'impact ne pouvaient faire l'objet d'une mesure de régularisation ne peuvent qu'être écartés.
9. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme que lorsque le juge administratif fait usage des pouvoirs qu'il tient de cet article, il doit en principe se prononcer sur l'ensemble des moyens qu'il estime non fondés dans sa décision avant dire droit. Lorsqu'un tribunal administratif, après avoir écarté comme non fondés des moyens de la requête, a cependant retenu l'existence d'un vice entachant la légalité du permis de construire, de démolir ou d'aménager dont l'annulation lui était demandée et a alors décidé de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour inviter l'administration à régulariser ce vice, l'auteur du recours formé contre ce jugement avant dire droit peut contester le jugement en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme et également en tant qu'il a fait application de ces dispositions de l'article L. 600-5-1. Toutefois, à compter de la délivrance du permis modificatif en vue de régulariser le vice relevé, dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant dire droit, les conclusions dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sont privées d'objet.
10. Il ressort des moyens développés par les requérants qu'ils n'ont entendu contester le jugement avant dire droit du 13 décembre 2022 qu'en tant qu'il a sursis à statuer sur les conclusions dirigées contre l'avenant du 5 mai 2022 au permis de construire du 9 juillet 2019, quant aux moyens tirés de l'incomplétude du dossier de permis de construire s'agissant des plans transmis, de l'insuffisance de l'étude d'impact portée à la connaissance du public dans le cadre de l'enquête publique et de l'absence de l'annexe à l'avis définitif sur l'évaluation d'impact sur l'environnement devant récapituler les avis du public reçus lors de la consultation du public. La conformité de ce permis de construire aux règles d'urbanisme doit désormais être analysée tel que celui-ci résulte des modifications apportées par l'avenant du 7 mars 2023. Par suite, les conclusions dirigées contre le jugement n° 2200284 du 13 décembre 2022 en tant qu'il met en œuvre l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme sont désormais privées d'objet, et seules les conclusions dirigées contre le permis régularisé par l'avenant du 7 mars 2023 sont recevables.
Sur la légalité du permis de construire modifié :
11. Aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement de 2004 : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ".
12. Les requérants invoquent, pour la première fois en appel, la méconnaissance de la Charte de l'environnement, notamment de son article 5, dès lors que, selon eux, le creusement de la lagune secondaire, réalisé sur un secteur présentant une nappe sous jacente peut avoir un effet sur la salinité de l'eau souterraine présentant des risques irréversibles pour l'environnement.
13. Les dispositions précitées de l'article 5 de la Charte de l'environnement, à laquelle le préambule de la Constitution fait référence en vertu de l'article 1er de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, sont relatives au principe de précaution. Elles n'appellent pas de dispositions législatives et réglementaires précisant les modalités de mise en œuvre de ce principe. Elles s'imposent donc aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs. Le juge contrôle l'erreur manifeste d'appréciation de l'autorité administrative sur le respect du principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement.
14. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, si l'étude d'impact du 16 septembre 2022 prend en compte l'évacuation des eaux des souilles de constitution de la lagune de manière à interdire tout rejet de matières en suspension directement vers le lagon, il est constant que la lentille d'eau douce située dans le sous-sol motu a été durablement affectée par le creusement de la seconde lagune réalisé sans autorisation, les experts ayant relevé que la ressource en eau a été polluée et que l'augmentation des niveaux de conductivité observés à proximité immédiate de cette lagune peut en partie être expliquée par la réalisation de la lagune secondaire, ainsi que le reconnaît d'ailleurs la société Bora Yes. Ainsi, et alors que l'augmentation de salinité de la nappe, qui doit être regardée comme portant une atteinte grave et irréversible à l'environnement, apparait manifestement liée à la réalisation des travaux de creusement de la seconde lagune, la procédure d'évaluation des risques liés au projet en cause n'est intervenue après la survenue du dommage résultant du creusement de la lagune, en méconnaissance du principe de précaution, dont la teneur a été rappelée au point précédent, qui impose une évaluation des risques dans des conditions permettant l'adoption utile de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. Par suite, en l'absence de procédure d'évaluation des risques sur l'environnement mise en œuvre préalablement au dépôt du dossier de demande de permis de construire, les requérants sont fondés à soutenir que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article 5 de la Charte de l'environnement de 2004.
15. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme (...), la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation (...), en l'état du dossier. " Pour l'application de ces dispositions, aucun des autres moyens soulevés à l'encontre de la décision litigieuse n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation du permis de construire contesté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 25 avril 2023, le tribunal de la Polynésie française a rejeté la demande d'annulation de l'avenant n° 18-547-9/VP/DCA.ISLV du 5 mai 2022 au permis de construire n°18-547- 2/MLA/AU.ISLV du 9 juillet 2019 accordé par le ministre du logement et de l'aménagement du gouvernement de la Polynésie française à la Sarl Bora Yes, tel que modifié par l'avenant du 7 mars 2023. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation, tant de ce jugement que de cet avenant modifié.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des requérants, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la Sarl Bora Yes demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, la Polynésie française et la Sarl Bora Yes verseront chacune une somme globale de 1 500 euros aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23PA01033 dirigées contre le jugement n° 2200284 du 13 décembre 2022 en tant qu'il met en œuvre l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
Article 2 : Le jugement n° 2200284 du 25 avril 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.
Article 3 : L'avenant n° 18-547-9/VP/DCA.ISLV du 5 mai 2022 au permis de construire n° 18-547-2/MLA/AU.ISLV du 9 juillet 2019, tel que modifié par l'avenant du 7 mars 2023 accordé par le ministre du logement et de l'aménagement du gouvernement de la Polynésie française à la Sarl Bora Yes pour la modification du projet architectural de la villa " Quintessence " est annulé.
Article 4 : La Polynésie française et la Sarl Bora Yes verseront chacune une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à Mme C... E... épouse H..., à Mme M... A..., à Mme N... F..., épouse A..., à Mme G... F..., épouse B..., à M. K..., à Mme L..., à Mme D... J..., épouse I....
Article 5 : Les conclusions de la Sarl Bora Yes présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... épouse H..., première dénommée, pour l'ensemble des requérants, à la Polynésie française, à la société Sarl Bora Yes et, en application de l'article R. 751-8-1 du code de justice administrative, au président de l'assemblée de la Polynésie française.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française et, en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative, au procureur de la République près le tribunal de première instance de Papeete.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Stéphane Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère,
- Mme Claudine Briançon, présidente honoraire désignée en application de l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.
La rapporteure,
C. BRIANÇON
Le président,
S. DIÉMERT
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 23PA01033, 23PA02769