Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une requête du 28 décembre 2020, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'État à lui verser les sommes correspondant à la perte de dix trimestres supplémentaires de ses droits à pensions, à sa perte de chance de promotion à la première classe et à la somme de 2 000 euros correspondant aux troubles subis dans ses conditions d'existence et son préjudice moral, avec intérêts de droit capitalisés à compter de la date d'enregistrement de la requête.
Par un jugement n° 2010747 du 12 mars 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Moreau, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 mars 2024 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont méconnu leur office de juges de plein contentieux en ne se prononçant pas sur le lien de causalité entre l'illégalité fautive tirée de l'erreur de droit initialement constatée par le tribunal administratif de Melun dans son jugement n° 1407764 du 11 juillet 2016, et les préjudices de M. B... ;
- ils ont méconnu l'autorité de la chose jugée attachée au même jugement ;
- ils ont commis une erreur d'appréciation en considérant que la décision du 23 juillet 2014 portant refus de sa demande de prolongation de son activité pouvait être légalement fondée sur un motif tiré de l'intérêt du service.
La requête a été communiquée à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui n'a produit aucune observation en dépit de la mise en demeure de produire un mémoire en défense dans un délai d'un mois qui lui a été adressée le 23 décembre 2024, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public ;
- l'ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public,
- et les observations de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., personnel de direction de l'éducation nationale, a sollicité une prolongation d'activité de dix trimestres sur le fondement des dispositions de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public. Sa demande a été rejetée par une décision du 23 juillet 2014 du ministre de l'éducation nationale. Par un jugement n° 1407764 du 11 juillet 2016, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision pour erreur de droit, au motif que le ministre avait lié sa décision à l'avis du comité médical départemental, ce dernier s'étant prononcé sur le seul placement en congés ordinaire de M. B... au titre de la période précédant sa radiation des cadres. Par un courrier du 17 novembre 2020, l'intéressé a sollicité la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité du refus de sa prolongation d'activité par cette décision du 23 juillet 2014. Cette demande indemnitaire a été rejetée. Par un jugement du 12 mars 2024, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices subis.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La décision par laquelle l'autorité administrative rejette, illégalement, une demande de prolongation d'activité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique, pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain. Dans le cas où, sans méconnaître l'autorité absolue de la chose jugée s'attachant à la décision juridictionnelle annulant cette décision, l'autorité administrative pouvait légalement rejeter pour un autre motif cette demande de prolongation d'activité, l'illégalité précédemment constatée par le juge ne présente pas de lien de causalité direct avec les préjudices résultant de ce refus.
3. Saisi d'une demande indemnitaire fondée sur l'illégalité fautive de cette décision, le juge de plein contentieux ne peut que statuer sur l'existence d'un lien direct de causalité entre l'illégalité commise et les préjudices invoqués, sans procéder à une substitution des motifs de la décision ou à un nouvel examen de la légalité de cette dernière.
4. Par un jugement n° 1407764 du 11 juillet 2016, devenu définitif, le tribunal administratif de Melun a annulé pour erreur de droit la décision du 23 juillet 2014 du ministre de l'éducation nationale portant refus de prolongation d'activité de M. B... au-delà de la limite d'âge, au motif que le ministre avait lié sa décision au seul avis du comité médical, lequel ne s'était pas prononcé sur l'aptitude ou l'inaptitude d'ensemble de l'intéressé à poursuivre son activité mais uniquement sur son placement en congés ordinaires. L'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache au dispositif de ce jugement et au motif qui en constitue le soutien nécessaire ne fait pas obstacle à ce que, comme il a été dit au point précédent, cette illégalité, ainsi sanctionnée, soit néanmoins regardée comme ne présentant pas de lien direct de causalité avec les préjudices dont se prévaut le requérant, s'il apparaît que l'autorité administrative aurait pu légalement refuser, pour un autre motif, sa prolongation d'activité au-delà de la limite d'âge.
5. En relevant, d'une part, qu'ils se trouvaient en présence d'un motif qui, soulevé par l'administration en défense, est susceptible de régulariser l'acte dont la légalité est contestée et en considérant, d'autre part, que la décision du 23 juillet 2014 n'était entachée d'aucune illégalité, les premiers juges ont méconnu leur office de juges de plein contentieux dès lors qu'ils ne se sont pas bornés à statuer sur l'existence d'un lien de causalité entre l'illégalité commise et les préjudices invoqués, mais qu'ils ont également procédé au réexamen de la légalité de cette décision. M. B... est dès lors fondé à soutenir, pour ce motif et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens tendant aux mêmes fins, que le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé.
6. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Melun.
Sur la responsabilité de l'État :
7. Aux termes de l'article 1er-1 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984, issu de l'article 69 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, alors en vigueur : " Sous réserve des droits au recul des limites d'âge reconnus au titre des dispositions de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, les fonctionnaires dont la durée des services liquidables est inférieure à celle définie à l'article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite peuvent, lorsqu'ils atteignent les limites d'âge applicables aux corps auxquels ils appartiennent, sur leur demande, sous réserve de l'intérêt du service et de leur aptitude physique, être maintenus en activité. / La prolongation d'activité prévue à l'alinéa précédent ne peut avoir pour effet de maintenir le fonctionnaire concerné en activité au-delà de la durée des services liquidables prévue à l'article L. 13 du même code ni au-delà d'une durée de dix trimestres. / Cette prolongation d'activité est prise en compte au titre de la constitution et de la liquidation du droit à pension ".
8. Il résulte de ces dispositions que le maintien en activité du fonctionnaire au-delà de la limite d'âge du corps auquel il appartient, sur le fondement des dispositions alors en vigueur, ne constitue pas un droit mais une simple faculté laissée à l'appréciation de l'autorité administrative, qui détermine sa position en fonction de l'intérêt du service, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qui exerce sur ce point un contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation.
9. Il résulte de l'instruction que le ministre de l'éducation nationale s'est fondé sur le motif que, compte tenu du manque de disponibilité de M. B..., il n'était pas dans l'intérêt du service de faire droit à sa demande de prolongation d'activité au-delà de la limite d'âge. Or, l'intéressé, qui avait déjà bénéficié d'une première prolongation d'activité par arrêté ministériel du 27 juin 2012, jusqu'au 6 août 2014, a été placé en congé de maladie au titre de toute cette période de prolongation, et a cumulé 1 150 jours de congé maladie entre le 31 mai 2011 et le 5 août 2014. Ainsi, et indépendamment de l'appréciation susceptible d'être portée sur l'aptitude physique de l'intéressé, qui n'a pas été débattue en l'espèce, le ministre aurait pu légalement, compte tenu de son manque de disponibilité de nature à affecter le bon fonctionnement du service, rejeter sa demande de prolongation d'activité au-delà de la limite d'âge. Par suite, les préjudices invoqués par M. B... et tirés de la privation d'une chance sérieuse d'obtenir son maintien en activité pendant dix trimestres, de la privation de la rémunération qu'il aurait perçue pendant sa période de prolongation d'activité, et des troubles dans les conditions d'existence, ne présentent pas un lien de causalité direct avec la décision du 23 juillet 2014. Dès lors, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'État est engagée à raison de l'illégalité fautive de cette décision. Par suite, ses conclusions doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2010747 du 12 mars 2024 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Melun et le surplus de ses conclusions devant la Cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Stéphane Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère,
- Mme Hélène Brémeau-Manesme, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025.
La rapporteure,
H. BREMEAU-MANESMELe président,
S. DIEMERT
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 24PA02173