La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/07/2025 | FRANCE | N°23PA04734

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 03 juillet 2025, 23PA04734


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 juin 2023 par lequel le préfet de police lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a désigné la Chine comme pays de renvoi.



Par un jugement n° 2317172 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :

>
Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2023, Mme B..., représentée par Me Maire, demande à la Cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 juin 2023 par lequel le préfet de police lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a désigné la Chine comme pays de renvoi.

Par un jugement n° 2317172 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2023, Mme B..., représentée par Me Maire, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2317172 du 18 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 juin 2023 par lequel le préfet de police lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai de quinze jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande, et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :

- elle est entachée d'un défaut de motivation et d'examen sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 421-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale par voie d'exception d'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour sur laquelle elle se fonde ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... ;

- les observations de Me Juillard, substituant Me Maire, pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., née le 6 août 1988 et de nationalité chinoise, est entrée en France le 25 février 2008, sous couvert d'un visa long séjour " étudiant " valable du 31 janvier au 30 avril 2008. Le 21 janvier 2009, elle a été mise en possession d'une carte de séjour temporaire, valable du

28 octobre 2008 au 27 octobre 2009, régulièrement renouvelée jusqu'au 2 novembre 2016. Elle a ensuite bénéficié d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " profession libérale ", valable du 21 février 2017 au 20 février 2021. Mme B... a quitté le territoire français en 2020 et y est retournée le 19 juin 2022 sous couvert d'un visa long séjour, valant titre de séjour, en qualité de passeport talent portant la mention " profession artistique et culturelle ", valable du 18 mai 2022 au 18 mai 2023. Le 19 juin 2022, Mme B... a sollicité auprès du préfet de police le renouvellement de ce titre de séjour. Par un arrêté du 14 juin 2023, le préfet de police a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné la Chine comme pays de destination de cette mesure d'éloignement. Mme B... relève appel du jugement du 18 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, Mme B... reprend en appel, avec la même argumentation qu'en première instance, les moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision de refus de titre de séjour et du défaut d'examen particulier de sa situation. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 3 du jugement attaqué.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 421-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce la profession d'artiste-interprète, définie à l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, ou qui est auteur d'une œuvre littéraire ou artistique mentionnée à l'article L. 112-2 du même code se voit délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " passeport talent " d'une durée maximale de quatre ans, sous réserve de justifier du seuil de rémunération fixé par décret en Conseil d'État. / Lorsque cet étranger exerce une activité salariée, la délivrance du titre est conditionnée par la durée des contrats d'engagement conclus avec une entreprise ou un établissement dont l'activité principale comporte la création ou l'exploitation d'une œuvre de l'esprit. La durée minimale exigée pour la délivrance du titre est fixée par voie réglementaire. / Cette carte permet l'exercice de l'activité professionnelle ayant justifié la délivrance. ". Le point 2.2. du paragraphe 13 de l'annexe 10 à ce code précise que lorsque le demandeur exerce une activité non salariée, il doit produire à l'appui de sa demande de titre de séjour les " justificatifs de ressources, issues principalement (au moins 51 %) de l'activité, pour la période de séjour envisagée, pour un montant au moins équivalent à 70 % du SMIC brut pour un emploi à temps plein par mois de séjour en France. (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent qu'un étranger demandeur d'une carte de séjour pluriannuelle " passeport talent " doit établir par tous moyens qu'il est en mesure de satisfaire à la condition de ressources suffisantes, non pas au cours de la période passée équivalente à la durée du titre demandé, mais sur toute la période de validité de l'autorisation dont il sollicite la délivrance. À cette fin, les revenus artistiques des années précédentes peuvent être utilement pris en compte à la condition qu'ils permettent de contribuer à déterminer le niveau de ressources futures retirées de l'activité artistique.

5. S'agissant de la condition relative à l'exercice d'une activité d'artiste-interprète et l'existence d'un projet artistique en France, Mme B... expose qu'elle a collaboré, au cours de l'année 2022, avec plusieurs magazines et marques de luxe. Elle verse au dossier différentes factures datées des 14 et 19 avril, 3 mai, 11 juillet, 5 septembre, 11, 13, 15 et 17 octobre 2022, ainsi que des 14 et 20 avril et 4 mai 2023, ainsi qu'un portfolio de prestations réalisées dans la photographie et le stylisme. Toutefois, l'intéressée ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité de l'exercice de son activité, ou d'un projet artistique en France pour la période de validité du titre de séjour demandée, soit un minimum de quatre ans. Si Mme B... verse au dossier d'appel un contrat de travail à durée indéterminée pour la réalisation de services de production et de stylisation permettant d'établir la réalité de l'exercice de son activité artistique et d'un projet artistique en France pour la période considérée, la signature de ce contrat, le 1er septembre 2023, est postérieure à l'arrêté en litige édicté le 14 juin 2023, et est donc sans incidence sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour qui ne peut s'apprécier qu'à la date de sa signature. Dès lors, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de l'activité artistique exigée par ces dispositions.

6. S'agissant de la condition liée aux revenus, si Mme B... produit plusieurs factures pour l'année 2022 d'un montant total supérieur au 70 % du SMIC exigé par le paragraphe 13 de l'annexe 10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité, elle ne produit aucune pièce de nature à établir qu'elle justifie d'un niveau de ressource suffisant pour la période de validité du titre de séjour demandé. Par ailleurs, la requérante ne peut utilement se prévaloir du contrat de travail versé au dossier d'appel, nonobstant la circonstance qu'il prévoit un salaire mensuel de 5 000 euros, supérieur au minimum de revenu fixé par l'annexe 10 précité, dès lors que, comme il a déjà été relevé au point précédent, sa signature est postérieure à la date de la décision en litige. Dans ces circonstances, il lui appartiendra, si elle s'y croit fondée, de déposer auprès de l'administration préfectorale une nouvelle demande de titre de séjour accompagnée des éléments nouveaux qui, survenus postérieurement à la date de la décision attaquée ne pouvaient être pris en compte dans le cadre de la présente instance.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni commis une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

8. En premier lieu, les moyens dirigés contre la décision portant refus de titre de séjour ayant été écartés, l'exception d'illégalité de cette décision invoquée par Mme B... à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision d'obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écartée par voie de conséquence.

9. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

10. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B... est arrivée en France en 2008 sous couvert d'un titre de séjour " étudiant " et a obtenu un diplôme de niveau bac +5 au sein de l'Institut français de la mode à Paris en 2012. Elle a ensuite obtenu en 2013 un changement de statut par la délivrance d'un titre de séjour " profession libérale " pour l'exercice de son activité professionnelle de " styliste productrice ", qu'elle a poursuivie jusqu'à l'édiction de la décision en litige. Après avoir été retenue en 2020 dans son pays d'origine en raison de la pandémie de Covid-19, Mme B... est revenue en France en 2022 sous couvert visa long séjour en qualité de passeport " talent " valant titre de séjour et portant la mention " profession artistique et culturelle ". A cet égard, il ressort du portfolio de Mme B... et des différentes factures versées au dossier que cette dernière percevait des revenus issus de cette activité professionnelle et qu'elle a travaillé avec de nombreuses marques françaises de renommée internationale telles que " Dior ", " Saint-Laurent ", " Louis Vuitton " ou " Roger Vivier ", pour des publications dans des magazines tels que " Elle ", " Cosmopolitan Fendi ", ou " Figaro ". Par ailleurs, il ressort des différentes attestations sur l'honneur versées au dossier d'appel que l'intéressée a noué en France des liens professionnels particulièrement intenses au cours de ses diverses collaborations artistiques. Enfin, il est constant que Mme B... perçoit un revenu locatif mensuel de 777 euros depuis l'acquisition, par procuration, d'un bien immobilier situé dans le IIème arrondissement de Paris, réalisé le 5 février 2021, alors qu'elle se trouvait retenue en Chine. Dès lors, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à son insertion professionnelle, Mme B... est fondée à soutenir que la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantissent le respect de sa vie privée, et doit donc être annulée.

11. L'annulation de cette décision entraîne, par voie de conséquence, celle de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est ainsi fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de celles des décisions contenues dans l'arrêté préfectoral du 14 juin 2023 qui portent obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination. Le jugement attaqué, en ce qu'il a de contraire au présent arrêt et les décisions par lesquelles le préfet de police a fait à

Mme B... obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination contenues dans l'arrêté du 14 juin 2023 doivent par conséquent être annulés.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

13. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant l'obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".

14. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 10, le présent arrêt implique seulement que le préfet de police ou, le cas échéant, tout autre préfet territorialement compétent, procède au réexamen de la situation de Mme B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à ce réexamen et de délivrer immédiatement, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une autorisation provisoire de séjour à Mme B... l'autorisant à travailler.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Il y a lieu, dans les circonstances, de mettre à la charge de l'Etat le versement à

Mme B... de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2317172 du 18 octobre 2023 est annulé, en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination.

Article 2 : L'arrêté du 14 juin 2023 du préfet de police est annulé en tant qu'il a obligé Mme A... B... à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de

Mme A... B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'État (ministère de l'intérieur) versera une somme de 1 000 euros à Mme A... B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au préfet de police et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Stéphane Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,

- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère,

- Mme Hélène Brémeau-Manesmes, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juillet 2025.

L'assesseure la plus ancienne

I. JASMIN-SVERDLIN Le président-rapporteur,

S. C...Le rapporteur,

S. C...Le président,

I. Luben

La greffière,

C. POVSE

La greffière,

Y. HerberLa République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA04734


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04734
Date de la décision : 03/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DIEMERT
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : MAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-03;23pa04734 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award