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03/07/2025 | FRANCE | N°23PA02005

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 03 juillet 2025, 23PA02005


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 24 mai 2022 par laquelle le président du gouvernement de la Polynésie française a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de deux ans à compter du 26 mai 2022, sans rémunération.

Par un jugement n° 2200316 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande

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Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 24 mai 2022 par laquelle le président du gouvernement de la Polynésie française a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de deux ans à compter du 26 mai 2022, sans rémunération.

Par un jugement n° 2200316 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 mai 2023 et 21 mai 2024, M. D..., représenté par Me Mestre demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200316 du 24 janvier 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'annuler la décision du 24 mai 2022 du président du gouvernement de la Polynésie française ;

3°) d'enjoindre au président du gouvernement de la Polynésie française de prononcer sa réintégration et de l'affecter dans ses fonctions de chirurgien vasculaire et thoracique au sein du centre hospitalier de la Polynésie française dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 000 francs CFP par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 3 352 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête d'appel est recevable dès lors qu'elle a été enregistrée le 9 mai 2023 à 22h23, heure de la Polynésie française ;

- l'avis de la commission administrative paritaire siégeant en la formation disciplinaire a été rendu en méconnaissance du principe d'impartialité dès lors qu'a siégé au cours de la séance de cette commission Mme F..., directrice des affaires juridiques de l'autorité d'emploi et que celle-ci nourrissait à son égard une animosité personnelle ;

- la décision litigieuse a été prise au vu d'un rapport d'expertise établi par le Dr C... qui ne justifie d'aucune compétence en matière de chirurgie vasculaire le conduisant ainsi à établir des conclusions erronées et qui sont contredites par la contre-expertise amiable établie par le Dr E... et les avis techniques qu'il a recueillis ;

- la décision repose sur des faits dont la matérialité n'est pas établie ;

- comme l'a jugé la cour de céans dans son arrêt du 30 novembre 2021, les faits relatifs à un manquement au devoir d'information de M. M. portant sur la technique chirurgicale choisie, et la réalisation tardive de l'amputation transtibiale de ce patient ne constituent pas des fautes disciplinaires ;

- la décision attaquée est entachée d'un détournement de pouvoir ;

- subsidiairement, la sanction litigieuse est disproportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 août 2023, la Polynésie française, représentée par la Selarl Group avocats conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête d'appel présentée par M. D... est tardive et donc irrecevable ;

- les moyens du requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 10 août 2023, le centre hospitalier de la Polynésie française représenté par la Selarl Jurispol, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. D... la somme de 300 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête d'appel présentée par M. D... est tardive et donc irrecevable ;

- les moyens du requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française et la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;

- le code de la santé publique ;

- la délibération n° 95-215 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 14 décembre 1995 portant statut général de la fonction publique du territoire de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Zeudmi Sahraoui,

- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., praticien hospitalier exerçant au centre hospitalier de la Polynésie française en qualité de chirurgien vasculaire et thoracique, a fait l'objet, le 24 mai 2022, d'une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée deux ans prononcée par le président du gouvernement de la Polynésie française. M. D... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 86 de la délibération de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 14 décembre 1995 portant statut général de la fonction publique de la Polynésie française : " Le pouvoir disciplinaire appartient au Président du gouvernement après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline. (...) ". Aux termes de l'article 85 de cette même délibération : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en 4 groupes : (...) / 3e groupe : / - la rétrogradation ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois à deux ans. / 4e groupe : / - la révocation. (...) ".

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'au cours de la réunion du 23 mai 2019 de la commission administrative paritaire compétente à l'égard des praticiens hospitaliers et siégeant en conseil de discipline, a siégé Mme F..., directrice des affaires juridiques du centre hospitalier de la Polynésie française, en qualité de représentante du directeur de cet établissement. Contrairement à ce que soutient le requérant, les circonstances que Mme F... ait, compte tenu de la nature de ses missions, instruit les procédures disciplinaires engagées à son encontre, qu'elle avait indiqué dans un mémoire présenté devant la chambre disciplinaire de première instance de la Polynésie française de l'ordre des médecins que M. D... avait proféré des menaces à son encontre et qu'elle ait pris la parole au cours de l'audience devant cette chambre ne sont pas de nature à établir que Mme F... nourrissait à son égard une animosité personnelle. Il ne ressort notamment pas du compte-rendu de la réunion du conseil de discipline que Mme F... ait manifesté une telle animosité, celle-ci étant très peu intervenue. Enfin ni le contenu des questions posées par Mme F... au Dr G... qui a rendu un avis le 7 septembre 2019, ni les courriels adressés par celle-ci aux Drs Bongarzone et Robert, qui se bornaient à solliciter des précisions quant au déroulé des faits survenus lors de la prise en charge d'un patient, ne sont non plus de nature à établir que Mme F... entretenait à l'égard de M. D... une quelconque animosité. Dès lors, M. D... n'est pas fondé à soutenir que l'avis du 23 mai 2019 aurait été rendu en méconnaissance du principe d'impartialité.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a pratiqué le 20 octobre 2015 un pontage aorto-bifémoral sur un patient et qu'à la suite d'une dégradation de l'état du patient qui a présenté une ischémie aigüe du membre inférieur gauche, ce patient a dû être réopéré le même jour. Ce patient a finalement dû subir une amputation transmétatarsienne le 15 novembre 2015 puis, à la suite de complications, une amputation transtibiale le 12 mai 2016.

5. Pour prononcer à l'égard de M. D... la sanction contestée, le président du gouvernement de la Polynésie française a retenu que M. D... a manqué à son devoir d'information en faisant signer à ce patient, la veille de l'intervention prévue le 20 octobre 2015 un consentement chirurgical " en blanc " n'exposant ni la technique chirurgicale choisie ni les complications possibles, et en omettant d'engager une discussion avec le patient sur le fait de limiter l'intervention à un pontage ilio fémoral du seul côté droit, et a ainsi méconnu les exigences de la note de service du 20 mars 2015 qui imposait de renseigner la fiche de programmation et la fiche de consentement éclairé à remettre au patient. Cette décision lui reproche également d'avoir commis des négligences fautives dans la prise en charge de ce patient en ayant omis de contrôler la vascularisation de son pied en fin d'intervention alors qu'il avait constaté qu'il était froid et, en lieu et place, de s'être absenté pour déjeuner durant plus de deux heures puis en s'étant abstenu de prendre en charge ce patient immédiatement après son retour de déjeuner, préférant opérer un autre patient dont l'intervention n'avait aucun caractère d'urgence.

6. D'une part, en application des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, applicables à la Polynésie française en vertu de l'article L. 1541-3 du même code, il appartenait à M. D... de délivrer à son patient une information quant à la nature de l'intervention chirurgicale envisagée et quant aux risques que comportait cette intervention. Si le requérant soutient avoir reçu ce patient à plusieurs reprises en consultation et l'avoir informé de la nature de l'intervention chirurgicale et des risques qu'elle comportait et lui avoir remis, à l'issue de la consultation du 21 septembre 2015, une fiche de consentement mutuel éclairé dûment renseignée, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise du Dr C... en date du 14 février 2018, dont aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause la pertinence, que figure au dossier du patient une fiche ne comportant que la date du 19 octobre 2015. Ni les comptes-rendus de consultation établis par le praticien lui-même ni les avis techniques versés au dossier par M. D... ne sont de nature à établir que celui-ci avait délivré à son patient une information sur la technique chirurgicale choisie et les risques qu'elle comporte. Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, la circonstance que l'infirmière chargée de la programmation opératoire doit systématiquement vérifier qu'une fiche de consentement éclairé a été signée par le patient n'est pas de nature à établir que, à supposer que ce patient ait reçu une telle information, celle-ci a été délivrée par M. D... lui-même. Dès lors, il est établi que M. D... a manqué à son devoir d'information envers un patient. Contrairement à ce que soutient le requérant, ces faits, qui traduisent une méconnaissance de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, constituent une faute disciplinaire.

7. D'autre part, si M. D... soutient que contrairement à ce que retient la décision de sanction litigieuse, il a contrôlé la vascularisation du pied du patient à la fin de l'intervention du 20 octobre 2015 en palpant les pouls fémoraux, il ne produit toutefois aucune pièce de nature à établir qu'un tel contrôle a bien été réalisé à l'issue de cette intervention alors que, d'une part, le compte-rendu d'hospitalisation du patient ne comporte aucune mention quant à la réalisation d'un tel contrôle et que, d'autre part, M. D... avait indiqué au Dr C... au cours d'un entretien réalisé dans le cadre de l'expertise judiciaire, " on ne vérifie jamais les pouls distaux " et avait ainsi reconnu ne pas avoir contrôlé la vascularisation du pied gauche du patient. En omettant de faire ce contrôle à la fin du pontage qu'il venait de réaliser, M. D... a manqué à ses obligations et a ainsi commis une faute, alors même que l'état du patient lui paraissait normal.

8. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir réalisé le pontage aorto-bifémoral du 20 octobre 2015 sur M. M., intervention qui aura duré environ 6h50, M. D... s'est absenté pour déjeuner et, à son retour aux alentours de 18h00, a rendu visite à M. M. en salle de réveil puis a réalisé l'intervention programmée à 18h00 sur un autre patient, M. A... M. D... a ensuite repris en charge M. M. qui présentait une ischémie aigüe du membre inférieur gauche. La Polynésie française reproche à M. D... de ne pas avoir pris en charge M. M. immédiatement à son retour de déjeuner et d'avoir choisi d'opérer M. A... alors que l'état de celui-ci ne présentait pas un caractère d'urgence. Si M. D... soutient que l'intervention réalisée sur M. A..., qui consistait en une amputation de la cuisse, était urgente dès lors que celui-ci présentait une gangrène, les allégations du requérant ne sont corroborées par aucune pièce versée au dossier alors que cette opération avait été programmée. Par ailleurs M. D... avait constaté, lors de son passage en salle de réveil, que le pied de M. M. était froid avec des marbrures jusqu'au genou et que la cheville était raide et asymétrique. Malgré ces signes alarmants, M. D... a décidé d'opérer un autre patient, retardant ainsi la prise en charge de M. M. qui présentait alors une ischémie aigüe du membre inférieur présentant un caractère d'urgence absolue. Dans ces conditions, la Polynésie française a pu, sans entacher sa décision ni d'erreur de fait ni d'erreur d'appréciation, considérer que M. D... avait commis une faute en s'abstenant de réopérer immédiatement M. M.

9. Enfin, si M. D... soutient que la réalisation tardive de l'amputation transtibiale de M. M. n'est pas constitutive d'une faute il ne ressort pas des mentions de la décision du 24 mai 2022 que le président du gouvernement de Polynésie française ait entendu fonder la sanction sur ces faits.

10. En troisième lieu, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la décision attaquée, prise pour sanctionner des faits établis et constitutifs d'une faute, serait entachée d'un détournement de pouvoir.

11. Enfin, pour soutenir que la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans prononcée à son encontre serait disproportionnée, le requérant ne peut utilement se prévaloir de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française qui a suspendu l'exécution de la décision de révocation dont il avait fait l'objet le 7 juin 2019 à raison des mêmes faits. Compte tenu de la nature et de la gravité des faits reprochés, dont il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise du Dr C..., qu'ils ont participé à l'évolution défavorable de l'état du patient qui a finalement dû subir, le 12 mai 2016, une amputation transtibiale, M. D..., qui au demeurant avait déjà fait l'objet, par une décision du 25 mai 2020, d'une exclusion temporaire de fonctions pour des faits tenant notamment à des fautes commises dans la prise en charge de deux patients en bas âge auxquels il a refusé de donner des soins, n'est pas fondé à soutenir que la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans prononcée à son égard serait disproportionnée.

12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de

non-recevoir soulevée en défense, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. D... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. D... la somme sollicitée par le centre hospitalier de la Polynésie française au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au président du gouvernement de la Polynésie française.

Copie sera adressée au directeur du centre hospitalier de la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Hamon, présidente,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025

La rapporteure,

N. Zeudmi SahraouiLa présidente,

P. Hamon

La greffière,

L. ChanaLa République mande et ordonne au ministre de l'outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02005


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02005
Date de la décision : 03/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HAMON
Rapporteur ?: Mme Nadia ZEUDMI-SAHRAOUI
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : SELARL PIRIOU QUINQUIS BAMBRIDGE-BABIN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-03;23pa02005 ?
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