Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Altrad Plettac Mefran a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 5 janvier 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé de l'autoriser à licencier M. B... A..., ainsi que la décision du 13 mars 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 2103926 du 7 mai 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juillet 2024, 19 mars et 2 juin 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Altrad Plettac Mefran, représentée par Me Samama-Samuel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) d'enjoindre à la ministre en charge du travail de procéder au réexamen de sa demande d'autorisation de licencier M. A... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en considérant que son recours hiérarchique était irrecevable, la ministre a commis une erreur de droit dès lors que ce recours a été formé dans le délai du recours contentieux et que, en tout état de cause, les indications portées sur la décision expresse du 5 janvier 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a communiqué les motifs de sa décision de rejet ont été de nature à l'induire en erreur sur les conditions dans lesquelles un recours hiérarchique pouvait être formé et être de nature à proroger le délai de recours contentieux ;
- c'est à tort que l'inspectrice du travail a estimé qu'elle n'avait pu légalement recourir à une agence habilitée de détectives privés pour contrôler l'activité de son salarié ;
- en manquant à ses obligations contractuelles relatives au contrôle de ses notes de frais, M. A... a commis des fautes d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
- il est suffisamment établi que l'intéressé a demandé le remboursement de frais indus ;
- le manquement aux obligations contractuelles relatives à la prospection commerciale, qui est suffisamment établi, est fautif et de nature à justifier le licenciement ;
- la procédure interne à l'entreprise a été régulière ;
- cette décision aurait dû être précédée d'une procédure contradictoire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 juillet 2024 et 15 avril 2025, M. A..., représenté par Me Rea, conclut au rejet de la requête mais à l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré le recours hiérarchique de la société recevable, et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société Altrad Plettac Mefran au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par ordonnance du 28 avril 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 30 mai 2025.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce qu'à la date à laquelle le tribunal administratif de Melun a statué, le litige avait perdu son objet, dès lors que, par une décision du 13 janvier 2023, devenue définitive en l'absence de contestation, l'inspectrice du travail a autorisé la société Altrad Plettac Mefran à licencier M. A... pour inaptitude, et qu'en conséquence, une éventuelle annulation de la décision en litige portant refus d'autorisation de licenciement pour motifs disciplinaire serait en tout état de cause appelée à demeurer dénuée de toute portée utile.
La société Altrad Plettac Mefran a présenté des observations en réponse à cette information le 5 juin 2025. Elle soutient que le fait pour la cour de ne pas statuer sur sa requête reviendra à inscrire la décision litigieuse dans l'ordre juridique de manière définitive et, de fait, à conforter la position du salarié devant le conseil des Prud'hommes. La requête conserve donc son objet.
M. A... a présenté des observations en réponse à cette information le 6 juin 2025. Il soutient que la requête a perdu son objet, dès lors qu'il a été fait droit à la demande de la société d'être autorisé à le licencier pour inaptitude, que le contentieux prud'homal en cours porte sur ce licenciement et que l'affaire a été plaidée le 4 novembre 2024, la décision étant attendue le 30 juin 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Samama, pour la société Altrad Plettac Mefran.
Considérant ce qui suit :
1. La société Altrad Plettac Mefran relève appel du jugement du 7 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 janvier 2021 de l'inspectrice du travail refusant de l'autoriser à licencier M. A..., salarié protégé, pour motif disciplinaire, et de la décision du 13 mars 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion rejetant son recours hiérarchique au motif qu'il était tardif.
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de deux mois. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Le silence gardé pendant plus de deux mois vaut décision de rejet ". Aux termes de l'article R. 2422-1 du même code : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. / Le silence gardé pendant plus de deux mois vaut décision de rejet ". Aux termes de l'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai ". Et aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. "
3. Il ressort des pièces du dossier que la société Altrad Plettac Mefran a présenté le 15 octobre 2020 une demande d'autorisation de licencier M. A..., salarié protégé, pour motif disciplinaire. Du silence gardé par l'inspectrice du travail compétente pendant plus de deux mois sur cette demande est née, en application de l'article R. 2421-11 du code du travail, une décision implicite de rejet dont la société requérante a sollicité la communication des motifs. Suite à cette demande, le 5 janvier 2021, l'inspectrice du travail n'a pas simplement communiqué les motifs de sa décision implicite mais, eu égard aux termes de celle-ci, a pris une décision expresse par laquelle elle a refusé d'accorder l'autorisation de licenciement sollicitée par la société. Celle-ci a formé, le 26 février 2021, soit dans le délai de recours de deux mois contre cette décision expresse de l'inspectrice du travail, un recours hiérarchique qui n'était, dès lors, pas tardif, contrairement à ce que la ministre en charge du travail a considéré à tort et à ce que M. A... soutient à l'appui de ses conclusions d'appel incident, qui ne peuvent donc, en tout état de cause, qu'être rejetées.
4. En second lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
5. Il ressort des pièces du dossier que la société Altrad Plettac Mefran a sollicité l'autorisation de licencier M. A..., en faisant valoir que celui-ci avait déclaré des rendez-vous professionnels auxquels il ne s'était en réalité pas rendu, les 23, 25, 26 et 30 juin ainsi que les 1er et 2 juillet 2020, et pour lesquels il avait indûment demandé le versement d'indemnités kilométriques. Elle a produit à l'appui de sa demande un tableau établi à partir de constatations reprises dans le rapport établi le 4 juillet 2020 par un détective privé qu'elle a chargé de suivre M. A... du 22 juin au 3 juillet 2020, ainsi que les résultats d'une enquête de satisfaction réalisée auprès de neuf entreprises démarchées par l'intéressé.
6. D'une part, aux termes de l'article L. 1222-4 du code du travail : " Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ". Selon l'article L. 2312-38 du même code : " Le comité est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés ".
7. D'autre part, il résulte des articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. En présence d'une preuve illicite, le juge doit d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.
8. En l'espèce, la société Altrad Plettac Mefran produit la copie d'une note de service établie le 20 septembre 2012 informant ses salariés que pour contrôler leur activité, elle pourra installer des GPS dans les voitures appartenant à l'entreprise et faire appel, si nécessaire, à des détectives privés. Elle soutient que cette note a été soumise au comité d'entreprise le 17 décembre 2012 et affichée dans les locaux de Sucy-en-Brie, puis sur un panneau d'information dans les nouveaux locaux de Roissy-en-Brie, et produit deux attestations de salariés en ce sens. Toutefois, ces éléments sont en tout état de cause insuffisants pour établir que M. A..., dont il ressort des pièces du dossier que le contrat de travail a été transféré à la société en juin 2015 et qu'en sa qualité de VRP en poste dans les départements de l'Hérault, de la Haute-Corse et des Bouches-du-Rhône, il ne se rendait dans les locaux de Roissy-en-Brie que lors des réunions du conseil social et économique auxquelles il participait, en a eu connaissance. En outre il ressort du rapport du 4 juillet 2020 que les filatures du salarié à partir de son domicile ont commencé certains jours à 7 heures et ont pris fin à 21 heures 30, devant le domicile de l'intéressé. Les constatations du détective privé mandaté par la société requérante pour suivre M. A..., consignées dans le rapport du 4 juillet 2020, constituent, dès lors, un moyen de preuve illicite.
9. D'autre part, à supposer même que la circonstance, qui ressort des pièces du dossier, que M. A... déposait les pièces justificatives relatives à ses frais et déplacements professionnels avec retard et qu'il a refusé jusqu'en janvier 2020 d'y joindre les photos du compteur kilométrique du véhicule personnel qu'il utilisait pour ces déplacements, puisse être regardée comme ayant justifié la surveillance de l'intéressé, la société Altrad Plettac Mefran ne démontre pas que la filature qui a été mise en place était, dans les conditions dans lesquelles elle a été effectivement réalisée, indispensable pour vérifier la réalité de l'activité de M. A... et le nombre de kilomètres parcourus, et qu'aucun autre moyen ne permettait d'y parvenir, notamment en effectuant des vérifications auprès des entreprises démarchées par M. A....
10. Par ailleurs, l'employeur produit les résultats d'une enquête de satisfaction, établie par une société qu'elle a mandatée à cette fin, compare ensuite les résultats de cette enquête avec les rapports d'activité de M. A... et fait état de neuf anomalies, dont deux concernent des dates évoquées dans la demande de licenciement à savoir : le 23 juin 2020, à laquelle le salarié indique avoir visité l'entreprise Dejesus qui serait, selon l'employeur, en cessation d'activité et le 30 juin 2020, à laquelle le salarié indique avoir visité l'entreprise Ducros, qui n'est pas une cliente de la société selon celle-ci. Cependant, au cours de l'enquête contradictoire M. A... a produit un document établissant que l'entreprise Dejesus n'était pas en cessation d'activité à la date du 23 juin 2020. S'agissant de la journée du 30 juin 2020, le salarié soutient s'être rendu sur un chantier à Montpellier pour rencontrer l'entreprise Ducros Menuiserie et produit un document démontrant que cette entreprise est cliente de la société Altrad Plettac Mefran. Ainsi, il existe des incohérences entre les résultats de l'enquête de satisfaction présentés par l'employeur, qui sont les seuls éléments licites dont ce dernier peut se prévaloir, et les éléments apportés par le salarié, lesquels laissent subsister un doute qui, comme l'a retenu à bon droit l'inspectrice du travail, doit profiter au salarié.
11. Il résulte de ce qui précède que les griefs invoqués par la société Altrad Plettac Metran pour demander l'autorisation de licencier M. A... ne sont pas établis. Celle-ci n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa requête.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A... et de l'Etat, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que la société Altrad Plettac Mefran demande au titre des frais liés à l'instance.
13. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Altrad Plettac Mefran une somme de 2 000 euros à verser à M. A... sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Altrad Plettac Mefran est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de M. A... sont rejetées.
Article 3 : La société Altrad Plettac Mefran versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Altrad Plettac Mefran, à M. B... A... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 10 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2025.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA02961