Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société El Djazair a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017, ainsi que des rappels de contribution au développement de la formation professionnelle continue et taxe d'apprentissage qui lui ont été réclamés au titre des années 2015 à 2017.
Par un jugement n° 2223821/1-3 du 2 octobre 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 novembre 2024, la société El Djazair, représentée par Me Planchat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2223821/1-3 du 2 octobre 2024 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des rappels de contribution au développement de la formation professionnelle continue et taxe d'apprentissage auxquels elle a été assujettie ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure est entachée d'irrégularité dès lors que les propositions de rectifications ne sont pas suffisamment motivées faute d'indiquer le motif pour lequel la comptabilité a été écartée comme non probante ;
- les impositions ne sont pas fondées dès lors que la comptabilité ne peut être irrégulière et non probante puisqu'elle a respecté la méthode préconisée par l'Ordre des experts comptables pour les agences de voyages ;
- par souci de réalisme économique et afin de respecter principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, énoncé à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le taux de charge qui doit être retenu pour chacune des années en litige est de 96,73%, et non pas les taux fixés par l'administration de 90,73 %, 72,53 % et 76,84 % au titre respectivement des années 2015, 2016 et 2017.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 janvier 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 avril 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 22 avril 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Breillon,
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,
- et les observations de Me Planchat, représentant la société El Djazair.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) El Djazair, qui exerce une activité d'agence de voyage, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017. Par deux propositions de rectification en date des 21 décembre 2018 et 14 mai 2019 et en application de la procédure contradictoire, le service lui a notifié des cotisations d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017 et des rappels de taxe d'apprentissage et contribution au développement de la formation professionnelle continue au titre des années 2015 à 2017. En réponse aux observations du contribuable, une partie de ces impositions a été abandonnée. Par la présente requête, la société El Djazair relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des impositions restant en litige.
Sur la régularité de la procédure :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 de ce livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon utile.
4. En l'espèce, les propositions de rectification des 21 décembre 2018 et 14 mai 2019 adressées à la société El Djazair mentionnent les exercices contrôlés, les impositions concernées, ainsi que les motifs de fait et de droit sur lesquels sont fondés les redressements et les montants des rectifications envisagées. Elles indiquent également les raisons pour lesquelles le vérificateur a considéré que la comptabilité qui avait été présentée au cours des opérations de contrôle n'était pas probante et devait être écartée. Dès lors que la société commercialise des prestations globales et a la qualité d'intermédiaire opaque, l'administration a précisé qu'elle aurait dû comptabiliser les dépenses (billets d'avion, hôtellerie, ...) dans des comptes de charges et les sommes reçues des clients dans un compte de produits. Il est également relevé que si une marge a été déclarée en 2015, aucune marge n'a été déclarée au titre des exercices des années 2016 et 2017 pour l'organisation des pèlerinages. Enfin, les propositions de rectifications mentionnent la méthode de reconstitution mise en œuvre pour évaluer les chiffres d'affaires et résultats imposables. Par ailleurs, le bien-fondé du raisonnement tenu par le service à l'appui de la proposition de rectification est sans incidence sur sa motivation. Ainsi, contrairement à ce qu'elle soutient, la société a pu utilement discuter, notamment, les motifs de rejet de la comptabilité. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales doit donc être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
5. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 ou le comité prévu à l'article L. 64 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) ".
6. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, le service a constaté au cours des opérations de contrôle que les flux de produits et de charges relatifs à l'activité des forfaits (pèlerinages HADJ et OMRA) n'avaient pas été intégrés dans la comptabilité de la société El Djazair. La comptabilité qui comporte ainsi de graves irrégularités a donc été écartée pour ce motif. D'autre part, par avis en date du 4 mars 2021, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du département de Paris s'est prononcée en faveur du maintien des rehaussements proposés. Par suite, la charge de la preuve incombe à la société requérante.
En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :
7. Aux termes de l'article 54 du code général des impôts : " Les contribuables mentionnés à l'article 53 A sont tenus de représenter à toute réquisition de l'administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans leur déclaration. / (...). ". Aux termes de l'article L. 123-12 du code de commerce : " Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement. / Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise. / Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable. ". Aux termes de l'article L. 123-14 du même code : " Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise. / (...) ".
8. Il résulte de l'instruction que la société El Djazair n'a pas inscrit en comptabilité les produits et les charges relatifs à l'activité de vente de forfaits de voyage relatifs aux pèlerinages religieux. Pour l'année 2015, elle a uniquement comptabilisé une marge relative à cette activité. En outre, alors même que le montant facturé des voyages concernant l'organisation de pèlerinages s'élevait à 1 339 613,48 euros en 2015, la société n'a pas inscrit en charge le prix des billets d'avion qui est une composante du forfait global vendu. Pour les années 2016 et 2017, elle n'a comptabilisé aucune marge réalisée bien que le montant facturé des forfaits de pèlerinages était respectivement de 1 611 772,09 euros et 1 049 514,69 euros. Par ailleurs, elle a utilisé à tort des comptes de tiers pour comptabiliser les opérations réalisées. La comptabilité de la société ne respectait donc pas les prescriptions des dispositions précitées et ne pouvait donc être regardée comme probante compte tenu des graves irrégularités relevées par le service. En tout état de cause, la société ne saurait utilement se prévaloir de la méthode préconisée par l'Ordre des experts comptables pour les agences de voyages pour écarter l'application des prescriptions précitées de l'article 54 du code général des impôts et des articles L. 123-12 et L. 123-14 du code de commerce, alors qu'il résulte de l'instruction qu'elle agissait comme un intermédiaire opaque et non comme un simple commissionnaire. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que sa comptabilité est régulière et probante.
En ce qui concerne la reconstitution des recettes et le taux de charge retenu :
9. Pour reconstituer le chiffre d'affaires des trois années vérifiées, le service s'est fondé sur les données transmises par la société El Djazair lors des opérations de contrôle, telles que les justificatifs de charges et de recettes. Le taux de charges retenu pour les exercices des années 2015, 2016 et 2017 a été respectivement fixé à 90,73 %, 72,53 % et 76,84 %. Si l'appelante soutient que, par réalisme économique, le taux de charges qui doit être retenu pour chacune des années en litige est de 96,73 %, elle ne produit aucun élément à l'appui de son allégation alors même que la charge de la preuve lui incombe.
10. Par ailleurs, la société, qui a été imposée conformément à la loi, ne peut utilement se prévaloir de ce que le taux de charges retenu par le service méconnaitrait le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques figurant à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors qu'elle ne présente, par mémoire distinct, aucune demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. Par suite, en application des dispositions de l'article R. 771-3 du code de justice administrative, le moyen est irrecevable.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société El Djazair n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société El Djazair est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société El Djazair et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).
Délibéré après l'audience du 11 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- Mme Bories, présidente assesseure,
- Mme Breillon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2025.
La rapporteure,
A. BREILLONLa présidente,
S. VIDAL
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA04917 2