Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 31 décembre 2023 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et l'a informé qu'il a fait l'objet d'un signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour.
Par un jugement n° 2400049 du 10 janvier 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du 31 décembre 2023, a enjoint à la préfète du Val-de-Marne de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er mars 2024, la préfète du Val-de-Marne, représentée par Me Termeau, demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. B....
Elle soutient que la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montreuil était irrecevable en raison de sa tardiveté.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 mai 2024, M. B..., représenté par Me Peschanski, demande à la cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) de rejeter la requête de la préfète du Val-de-Marne ;
3°) si elle statuait à nouveau :
- d'annuler l'arrêté du 31 décembre 2023 ;
- d'enjoindre à la préfète du Val-de-Marne de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen soulevé par la préfète du Val-de-Marne n'est pas fondé, sa demande étant recevable dès lors qu'il a été dans l'impossibilité matérielle d'enregistrer son recours avant le 2 janvier 2024 à 14 h 00 ;
- les décisions ont été prises par une autorité incompétente ;
- elles sont insuffisamment motivées ;
- elles sont entachées d'un défaut d'examen complet et sérieux de sa situation ;
- elles méconnaissent son droit d'être entendu et le principe du contradictoire garantis par les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elles méconnaissent les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions des articles L. 425-1, R. 425-1 et R. 425-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- elle méconnaît les stipulations du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire méconnaît les dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans méconnaît les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.
Par une décision du 28 avril 2025, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé à M. B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dubois a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien né le 13 juillet 2005, a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 31 décembre 2023 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et l'a informé qu'il a fait l'objet d'un signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour. Par un jugement n° 2400049 du 10 janvier 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté, enjoint à la préfète du Val-de-Marne de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la présente requête, la préfète du Val-de-Marne fait appel du jugement du 10 janvier 2024 en tant qu'il lui est défavorable.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes des dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) soit par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. Par la décision susvisée du 28 avril 2025, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. B.... Il n'y a dès lors plus lieu de statuer sur sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, rendu applicable à l'étranger détenu par les dispositions de l'article L. 614-15 du même code, alors en vigueur : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure. (...) ". Aux termes de l'article R. 776-2 du code de justice administrative, alors en vigueur : " (...) II.- Conformément aux dispositions de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément. Cette notification fait courir ce même délai pour demander la suspension de l'exécution de la décision d'éloignement dans les conditions prévues à l'article L. 752-5 du même code ". Le II de l'article R. 776-5 du même code, alors en vigueur, dispose que : " Les délais de quarante-huit heures mentionnés aux articles R. 776-2 et R. 776-4 (...) ne sont susceptibles d'aucune prorogation (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article R. 744-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour permettre l'exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative, le ministre chargé de l'immigration conclut une convention avec une ou plusieurs personnes morales ayant pour mission d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. A cette fin, la personne morale assure, dans chaque centre dans lequel elle est chargée d'intervenir, des prestations d'information, par l'organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. / Ces prestations sont assurées par une seule personne morale par centre. / Les étrangers retenus en bénéficient sans formalité dans les conditions prévues par le règlement intérieur ". Aux termes de l'article R. 776-19 du code de justice administrative alors en vigueur : " Si, au moment de la notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1, l'étranger est retenu par l'autorité administrative, sa requête peut valablement être déposée, dans le délai de recours contentieux, auprès de ladite autorité administrative. / Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, mention du dépôt est faite sur un registre ouvert à cet effet. Un récépissé indiquant la date et l'heure du dépôt est délivré au requérant. / L'autorité qui a reçu la requête la transmet sans délai et par tous moyens au président du tribunal administratif ".
6. Il résulte de ces dispositions que l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision ainsi que de celles qui l'accompagnent le cas échéant. En fixant à quarante-huit heures le délai dans lequel un recours peut être introduit, le législateur a entendu que ce délai soit décompté d'heure à heure et ne puisse être prorogé. Cette absence de prorogation n'est pas contraire au droit au recours effectif prévu par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 31 décembre 2023 pris par le préfet du Val-de-Marne a été notifié à M. B... le jour-même à 13 heures 50, juste avant que l'intéressé ne soit placé au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot à 14 heures. La demande en annulation présentée par le requérant n'a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montreuil que le 2 janvier 2024 à 16 heures 56, soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux de quarante-huit heures fixé par les dispositions précitées de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si M. B... fait valoir qu'il n'a pas été mis à sa disposition lors de son placement en rétention de téléphone ou de télécopieur, il ne cite aucune disposition législative ou réglementaire mettant à la charge de l'administration une telle obligation, alors qu'il lui appartenait, s'il le souhaitait, de déposer son recours contentieux auprès de l'autorité administrative en vertu des dispositions précitées de l'article R. 776-19 du code de justice administrative. Par ailleurs, si le requérant soutient également que l'association La Cimade, chargée en application de l'article R. 744-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'informer et d'aider les étrangers à faire valoir leurs droits, n'était pas présente les 31 décembre 2023 et 1er janvier 2024, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que les responsables de cette association étaient présents toute la journée du 2 janvier 2024. A cet égard, M. B... ne peut utilement se prévaloir de ce qu'une surcharge de travail de cette association aurait empêché la tenue d'un entretien et serait à l'origine du non-respect du délai de recours contentieux prévu à l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et dont le législateur a entendu, ainsi qu'il est rappelé au point précédent, qu'il ne puisse être prorogé. Dans ces conditions, sans que soit méconnu le droit au recours effectif prévu par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le préfet du Val-de-Marne est fondé à soutenir que la requête de M. B... était irrecevable et que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-de-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 31 décembre 2023, lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire de M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2400049 du 10 janvier 2024 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 3 : Les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montreuil et devant la cour sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions d'appel présentées par M. B... sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président,
- Mme Milon, présidente assesseure,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2025.
Le rapporteur,
J. DUBOISLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA01036 2