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13/06/2025 | FRANCE | N°24PA00797

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 13 juin 2025, 24PA00797


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Eaton Industries LP a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 2 332 142 euros au titre de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018.



Par un jugement n° 1813254 du 8 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Eaton Industries LP.



Par un arrêt n° 21PA01181 du 23 mars 2022, la Cour ad

ministrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Eaton Industries LP contre ce jugement.


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eaton Industries LP a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 2 332 142 euros au titre de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018.

Par un jugement n° 1813254 du 8 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Eaton Industries LP.

Par un arrêt n° 21PA01181 du 23 mars 2022, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Eaton Industries LP contre ce jugement.

Par une décision n° 466004 du 13 février 2024, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour, où elle a été enregistrée sous le n° 24PA00797.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 8 mars 2021, 5 août 2021, 22 avril 2024, 2 juillet 2024, 22 novembre 2024 et 16 décembre 2024, la société Eaton Industries LP, représentée par Me Jeannin et Me Richard, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil en date du 8 janvier 2021 ;

2°) de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 2 412 828 euros au titre de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018 ;

3°) de condamner l'Etat aux dépens de l'instance ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a réalisé, au cours de la période litigieuse, des livraisons de biens à l'exportation à partir de France, territorialement taxables à la taxe sur la valeur ajoutée en France en application du a) du 1 de l'article 258 du code général des impôts et exonérées par les dispositions du 1° du I de l'article 262 de ce code ;

- ces opérations ouvraient droit à déduction en application du c) du V de l'article 271 du code général des impôts et ont justifié l'enregistrement à la taxe sur la valeur ajoutée en France, sur le fondement du 1° de l'article 286 ter de ce code ;

- les livraisons à l'exportation constituant des livraisons de biens réalisées en France, et non visées par la liste limitative d'opérations fixée par l'article 242-0 O de l'annexe II au code général des impôts, le remboursement des crédits de taxe est possible selon les conditions de droit commun prévues par le IV de l'article 271 du même code ;

- les livraisons de biens à l'exportation constituent des opérations situées dans le champ d'application territorial de la taxe, et non des opérations territorialement imposables en dehors de France ;

- elle entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations des paragraphes n° 70 et suivants des commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-TVA-DED-50-20-30-10 ;

- les documents qu'elle produit justifient de son droit à remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, sans que l'administration puisse réclamer la copie des factures dont la base d'imposition est égale ou supérieure à 1 000 euros sur le fondement du II de l'article 242-0 R de l'annexe II au code général des impôts, qui ne s'applique qu'aux demandes de remboursement présentées selon la procédure prévue par les articles 242-0 M et suivants de cette annexe ;

- elle entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe n° 150 des commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-TVA-DECLA-20-30-10-20 ;

- sa succursale sise en Suisse, par l'intermédiaire de laquelle elle a acheté en France et revendu des produits hydrauliques et qui n'est qu'un support administratif, ne constitue pas un assujetti distinct, en l'absence d'autonomie et de risque économique auquel elle serait exposée ;

- la circonstance que son numéro EORI figure sur les documents d'exportation est par elle-même sans incidence, ce numéro étant distinct du numéro de TVA intracommunautaire qui lui a été attribué en France ;

- la mention erronée, sur cinquante-six des factures produites, pour un montant total de taxe sur la valeur ajoutée de 27 853 euros, d'une exonération de taxe en application du I de l'article 262 ter du code général des impôts ne saurait remettre en cause le droit à déduction de cette taxe, alors qu'en mentionnant également la taxe sur ces factures, la SAS Eaton était tenue de la collecter et de la reverser au Trésor.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juin 2021, 19 avril 2024, 24 juin 2024 et 22 novembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la société Eaton Industries LP ne peut être regardée comme un assujetti unique avec sa succursale suisse à destination de laquelle les factures produites ont été émises ;

- les moyens soulevés par la société Eaton Industries LP ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 16 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 janvier 2025.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'en tant qu'elles excèdent le montant de 2 332 142 euros, demandé devant le tribunal, les conclusions de la société Eaton Industries LP tendant au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

Par un mémoire, enregistré le 6 mai 2025 en réponse à la communication du moyen susceptible d'être relevé d'office, la société Eaton Industries LP ramène à 2 332 142 euros le montant du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle demande le remboursement au titre de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008 définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l'Etat membre du remboursement, mais dans un autre Etat membre ;

- l'arrêt C-533/16 du 21 mars 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lemaire,

- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Eaton Industries LP, dont le siège est situé à Glasgow, au Royaume-Uni, a demandé au service des impôts des entreprises étrangères de la direction des impôts des non-résidents, dans les conditions prévues aux articles 242-0 A à 242-0 K de l'annexe II au code général des impôts, le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant total de 3 569 020 euros au titre de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018. L'administration lui ayant opposé un refus, la société Eaton Industries LP a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à ce que soit prononcé le remboursement d'une somme de 2 332 142 euros. Par un jugement du 8 janvier 2021, le tribunal a rejeté cette demande au motif que les réclamations préalables étaient irrecevables. Par un arrêt du 23 mars 2022, la Cour a rejeté l'appel formé par la société Eaton Industries LP contre ce jugement. Par une décision du 13 février 2024, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour. Dans le dernier état de ses conclusions, la société Eaton Industries LP demande à la Cour de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 2 332 142 euros au titre de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018.

Sur le cadre juridique applicable :

2. Aux termes de l'article 258 du code général des impôts : " I. - Le lieu de livraison de biens meubles corporels est réputé se situer en France lorsque le bien se trouve en France : / a) Au moment de l'expédition ou du transport par le vendeur, par l'acquéreur, ou pour leur compte, à destination de l'acquéreur ; / (...) ".

3. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. - 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) / II. - 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; / (...) / IV. - La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Ouvrent droit à déduction, dans les mêmes conditions que si elles étaient soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, en vertu des dispositions du c) du V du même article, les opérations exonérées en application, notamment, de l'article 262 du même code, au nombre desquelles figurent, aux termes du 1° du I de ce dernier article : " les livraisons de biens expédiés ou transportés par le vendeur ou pour son compte, en dehors de la Communauté européenne ainsi que les prestations de services directement liées à l'exportation (...) ". Aux termes du II de l'article 262 ter du même code : " Sont également exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée les acquisitions intracommunautaires de biens : / (...) 3° Pour lesquelles l'acquéreur non établi en France et qui n'y réalise pas des livraisons de biens ou des prestations de services bénéficierait du droit à remboursement total en application du V de l'article 271 de la taxe qui serait due au titre de l'acquisition ".

4. Aux termes de l'article 283 du code général des impôts : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...). / Toutefois, lorsqu'une livraison de biens (...) est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur qui agit en tant qu'assujetti et qui dispose d'un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France. (...) ".

5. Enfin, aux termes de l'article 242-0 M de l'annexe II au code général des impôts : " Aux fins de l'application des articles 242-0 N à 242-0 Z ter, on entend par : / 1° assujetti non établi en France, tout assujetti établi dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui n'a en France ni le siège de son activité économique, ni un établissement stable à partir duquel les opérations sont effectuées, ni, à défaut d'un tel siège ou d'un tel établissement, son domicile ou sa résidence habituelle. (...) ; / 2° requérant, l'assujetti non établi en France qui introduit en France une demande de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ; / (...) ". Aux termes de l'article 242-0 N de cette annexe : " Un assujetti non établi en France peut obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis en France par d'autres assujettis (...), dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes : / 1° les opérations dont le lieu d'imposition se situe hors de France mais qui ouvriraient droit à déduction si ce lieu d'imposition était situé en France ; / 2° les opérations mentionnées au 2° de l'article 242-0 O ". Aux termes de cet article 242-0 O : " Un assujetti non établi en France doit satisfaire aux conditions suivantes pour obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné à l'article 242-0 N : / 1° au cours de la période sur laquelle porte la demande de remboursement, l'assujetti doit avoir été établi hors de France au sens du 1° de l'article 242-0 M ; / 2° au cours de la période sur laquelle porte la demande de remboursement, l'assujetti ne doit avoir effectué aucune livraison de biens ni prestations de services en France à l'exception des opérations suivantes : / a. les prestations de services de transports et les opérations accessoires qui sont exonérées en application du I, des 7° à 11° bis et 14° du II de l'article 262 du code général des impôts, des articles 262 bis, 263, ainsi que du 2° du III de l'article 291 du même code ; / b. les opérations pour lesquelles la taxe est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur mentionnées au second alinéa du 1 et aux 2, 2 ter, 2 quinquies, 2 sexies de l'article 283 du code général des impôts ; / c. les livraisons et les prestations mentionnées aux 1°, 2°, 5°, 6° et 7° du I de l'article 277 A du code général des impôts ; / d. les prestations de services mentionnées à l'article 259 D du code général des impôts lorsqu'elles sont déclarées selon le régime particulier prévu aux articles 369 bis à 369 duodecies de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ". Et l'article 242-0 R de la même annexe prévoit que " l'assujetti non établi en France doit adresser au service des impôts une demande de remboursement souscrite par voie électronique au moyen du portail mis à sa disposition par l'Etat de l'Union européenne où il est établi ", en joignant " une copie de la facture ou du document d'importation lorsque la base d'imposition figurant sur la facture ou le document d'importation est égale ou supérieure à un montant de 1 000 euros ". Ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt Volkswagen AG C-533/16 du 21 mars 2018, la directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008, pour la transposition de laquelle ces dispositions ont été prises, n'a pour objet de déterminer ni les conditions d'exercice, ni l'étendue du droit au remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, mais les seules modalités du remboursement en faveur des assujettis non établis dans l'Etat membre du remboursement remplissant les conditions qu'elle prévoit.

Sur la régularité des réclamations préalables :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'au cours de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018 et par l'intermédiaire d'une succursale située à Morges en Suisse, la société Eaton Industries LP, assujetti établi dans un Etat de l'Union européenne autre que la France, a acquis auprès de la société par actions simplifiée (SAS) Eaton, située à Annemasse, des produits hydrauliques, que celle-ci fabriquait, puis faisait livrer à ses clients, auxquels ces produits avaient été revendus. La société requérante a ainsi fait livrer par la SAS Eaton des biens en France à des clients français, agissant en tant qu'assujettis et disposant d'un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France. Elle a, dès lors, réalisé des opérations pour lesquelles la taxe était acquittée par ces acquéreurs, mentionnées au second alinéa précité du 1 de l'article 283 du code général des impôts et, par suite, des opérations mentionnées au b du 2° de l'article 242-0 O de l'annexe II à ce code.

7. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des factures établies par la SAS Eaton et des documents d'exportation versés au dossier, qu'au cours de la même période, la société Eaton Industries LP a également acquis en France, par l'intermédiaire de sa succursale suisse, des produits hydrauliques qu'elle a fait livrer à des clients situés hors de l'Union européenne, lesquels ne disposaient pas d'un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France. En application des dispositions précitées du a) du I de l'article 258 du code général des impôts, le lieu de livraison de ces biens pour le compte de la société Eaton Industries LP était dès lors réputé se situer en France, ces livraisons étant exonérées de taxe par les dispositions du 1° du I de l'article 262 de ce code. Ainsi, et sans que le ministre puisse, dès lors, se prévaloir utilement des dispositions du 3° du II de l'article 262 ter du même code, la société requérante devait être regardée comme ayant réalisé en France d'autres opérations que celles visées par le 2° de l'article 242-0 O de l'annexe II au code général des impôts, de sorte que le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle disposait au titre de cette même période ne relevait pas des modalités prévues aux articles 242-0 M et suivants de cette annexe, mais de celles prévues aux articles 242-0 A à 242-0 K de la même annexe. Il s'ensuit que le tribunal administratif de Montreuil ne pouvait pas se fonder, pour rejeter la demande de la société Eaton Industries LP, sur le motif tiré de ce que les réclamations préalables qu'elle avait présentées à l'administration fiscale étaient irrecevables faute d'avoir été présentées selon les modalités prévues aux articles 242-0 M et suivants de l'annexe II au code général des impôts.

8. En second lieu, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient qu'en tout état de cause, les réclamations préalables présentées par la société Eaton Industries LP et tendant au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée en litige étaient irrecevables dès lors qu'elles n'avaient pas été présentées par l'assujetti bénéficiant du droit à déduction.

9. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que la SAS Eaton a facturé la taxe sur la valeur ajoutée en litige à la société Eaton Industries LP, à une adresse située à Morges en Suisse, correspondant à une succursale de cette société, inscrite comme telle au registre du commerce du canton de Vaud le 11 avril 2006. Si le ministre soutient que cette succursale constituait un assujetti distinct de la société requérante, il se prévaut de deux contrats de distribution respectivement conclus par cette succursale les 9 mars 2019 et 4 juin 2019 avec les SAS Hydrokit et ACE et d'un bon de commande à la succursale établi le 17 septembre 2019 par la SAS Pfeiffer Vacuum, documents tous postérieurs à la période en litige, et d'un ordre de vente de biens par la succursale à une société sud-africaine du 27 octobre 2017, étranger aux opérations à raison desquelles la taxe en litige a été supportée, ainsi que des conséquences qu'en tirent la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable adressées à la société Eaton Industries LP les 9 juillet 2020 et 7 janvier 2021. Il ne résulte pas de l'instruction qu'au cours de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018, la succursale suisse de la société Eaton Industries LP aurait effectivement exercé une activité économique indépendante, notamment en supportant le risque économique découlant de son activité.

10. D'autre part, s'il résulte de l'instruction, et notamment de la déclaration d'inscription souscrite le 25 novembre 2015 par la société Eaton Industries LP auprès de la direction des résidents à l'étranger et des services généraux, qu'ainsi que le fait valoir le ministre, le numéro GB875256101 mentionné sur les documents d'exportation versés au dossier correspond au numéro britannique de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire attribué à la société requérante et non, comme elle le soutient, au numéro unique d'identifiant communautaire qu'elle utilise pour accomplir les formalités douanières, cette circonstance n'est pas de nature à établir que les opérations d'achat de produits hydrauliques auprès de la SAS Eaton ont été réalisées par sa succursale en qualité d'assujetti distinct.

11. Enfin, il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient le ministre, le numéro français de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire FR06814948311 mentionné sur les factures établies par la SAS Eaton à raison des opérations d'achat de produits hydrauliques en litige correspond au numéro attribué à la société Eaton Industries LP le 5 janvier 2016, à sa demande, par le service des impôts des entreprises étrangères de la direction des résidents à l'étranger et des services généraux pour l'exercice de son activité en France.

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 11, et sans qu'y fassent obstacle les circonstances qu'afin d'obtenir le remboursement du crédit de taxe en litige, la société Eaton Industries LP ait demandé le 12 juillet 2018 la désignation en France d'un représentant fiscal à compter du 1er janvier 2016 et que, cette désignation n'ayant pris effet qu'au1er novembre 2018, le représentant désigné ait souscrit une déclaration faisant état d'une taxe à déduire comprenant ce crédit, que le ministre n'est pas fondé à soutenir que la succursale suisse de la société requérante constituait un assujetti distinct.

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 12 que la société Eaton Industries LP est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande au motif que ses réclamations préalables étaient irrecevables. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé.

14. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Eaton Industries LP devant le tribunal administratif de Montreuil.

Sur les conclusions à fin de remboursement :

15. Ainsi qu'il a été dit aux points 6 et 7, il résulte de l'instruction que le crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 2 332 142 euros dont la société Eaton Industries LP demande le remboursement, correspond à la taxe facturée par la SAS Eaton, située à Annemasse, à raison de la vente de produits hydrauliques que celle-ci avait fabriqués, puis fait livrer aux clients de la société requérante, auxquels ces produits avaient été revendus et qui étaient situés en France ou hors de l'Union européenne. Au soutien de ses conclusions à fin de remboursement, la société requérante verse au dossier le relevé des 26 435 factures établies par la SAS Eaton au cours de la période en cause, ainsi que toutes les factures dont le montant est supérieur à 1 000 euros, soit plus de 2 500 factures.

16. Pour contester le bien-fondé de la demande, le ministre, qui indique expressément ne plus contester le fait que la société réalise des opérations imposables à la TVA, se borne à se prévaloir de ce qu'une partie des factures versées au dossier par la société Eaton Industries LP font état d'une exonération de taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions de l'article 262 ter du code général des impôts, aux termes desquelles : " I. - Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie. / (...) ".

17. Toutefois, il résulte de l'instruction que les cinquante-six factures mentionnant l'exonération prévue par les dispositions citées au point précédent, en sus de la taxe au taux normal, ont été établies à raison de l'achat en France, à la SAS Eaton par la société Eaton Industries LP, de produits hydrauliques livrés en France à des clients français de la société requérante. Ainsi que le fait valoir cette société, ces factures ont ainsi été établies à raison d'opérations qui n'étaient pas exonérées de taxe sur la valeur ajoutée par les dispositions précitées de l'article 262 ter du code général des impôts, la taxe pouvant dès lors légalement figurer sur ces factures et la mention de cette exonération procédant d'une erreur. Le ministre, qui ne conteste pas la réalité des opérations de livraison à destination de clients français auxquelles se rapportent ces factures, qui sont au demeurant en nombre limité au regard de l'ensemble des factures produites et qui comportent l'ensemble des mentions permettant d'assurer le contrôle du droit à déduction de la taxe correspondante, n'est dès lors pas fondé à soutenir que cette taxe, qui a été facturée par la SAS Eaton à raison de ces opérations et dont le paiement par la société Eaton Industries LP n'est pas sérieusement contesté, a été irrégulièrement facturée.

18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 à 17, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle a soulevés, que la société Eaton Industries LP, dont les opérations d'achat de produits hydrauliques auprès de la SAS Eaton ouvraient droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée facturée, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 271 du code général des impôts, est fondée à demander le remboursement du crédit de taxe correspondant, d'un montant de 2 332 142 euros, au titre de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018.

Sur les frais liés au litige :

19. En l'absence de dépens, les conclusions de la société Eaton Industries LP tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens de l'instance doivent, en tout état de cause, être rejetées.

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Eaton Industries LP d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 8 janvier 2021 est annulé.

Article 2 : Il est accordé à la société Eaton Industries LP le remboursement d'un montant de 2 332 142 euros correspondant au crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible dont elle dispose au titre de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018.

Article 3 : L'Etat versera à la société Eaton Industries LP une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Eaton Industries LP est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eaton Industries LP et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction des impôts des non-résidents.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- M. Carrère, président de chambre,

- M. Lemaire, président assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 13 juin 2025.

Le rapporteur,

O. LEMAIRE

La présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00797


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00797
Date de la décision : 13/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: M. Olivier LEMAIRE
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : SELAFA TAJ

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-13;24pa00797 ?
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