Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 28 janvier 2022 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat l'a licenciée durant la période d'essai de son contrat, d'enjoindre au Conseil d'Etat de la réintégrer et de condamner l'Etat à lui verser le rappel de son traitement du 3 février 2022 jusqu'à la date d'effet de sa réintégration.
Par un jugement n° 2207313 du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 novembre 2023, Mme C..., représentée par Me Thomas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 28 janvier 2022 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat l'a licenciée durant la période d'essai de son contrat ;
3°) d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation et de la réintégrer sur son poste ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une rémunération mensuelle brute fixée en référence à l'indice majoré 460 et son indemnité de résidence du 3 février 2022 jusqu'à la date d'effet de sa réintégration ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'omission, faute de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision du 28 janvier 2022 a été signée par une autorité incompétente ;
- aucune délégation de signature n'est visée dans la décision contestée ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle n'a pas commis de faute ;
- la sanction est disproportionnée, eu égard notamment à son expérience ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le signataire de la décision contestée bénéficiait d'une délégation de signature ;
- l'absence de mention, dans les visas de la décision contestée, de la délégation de signature n'a aucune influence sur sa légalité ;
- la décision contestée est suffisamment motivée tant en droit qu'en fait ;
- la matérialité des faits reprochés est établie dès lors que Mme C... a falsifié son curriculum vitae ;
- la décision contestée n'est entachée d'aucune erreur d'appréciation dès lors que la falsification du curriculum vitae a entrainé une rupture de confiance, une remise en cause de la probité de Mme C... et des doutes sur sa compétence à occuper le poste ;
- le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction est inopérant dès lors que la décision contestée ne constitue pas une sanction disciplinaire ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et n'est, en tout état de cause, pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dubois ;
- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;
- les observations de Me Thomas, représentant Mme C..., et les observations de Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a été recrutée pour assurer les fonctions de gestionnaire budgétaire auprès du pôle budget relevant du service des affaires financières, de l'audit et de la prospective de la Cour nationale du droit d'asile par un contrat de droit public à durée déterminée signé le 18 novembre 2021, d'une durée d'un an à compter du 31 décembre 2021. L'article 3 du contrat prévoyait une période d'essai de deux mois, renouvelable une fois à l'initiative de l'employeur, permettant aux deux parties de résilier le contrat sans préavis ni indemnité. En application de cette clause, le vice-président du Conseil d'Etat a, par une décision du 28 janvier 2022, mis fin au contrat à compter du 3 février 2022. Mme C... relève appel du jugement du 28 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision et de rappel de traitement.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme C... a soutenu devant le tribunal administratif de Paris que la décision prononçant son licenciement était entachée d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les premiers juges, qui ont visé le moyen, n'étaient pas tenus d'y répondre expressément compte tenu de son caractère inopérant. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait entaché d'irrégularité en raison d'un défaut de réponse à un moyen doit être écarté.
Sur la légalité de la décision du 28 janvier 2022 :
3. En premier lieu, la décision contestée a été signée par Mme B... A..., cheffe du bureau des agents du Conseil d'Etat et de la Cour nationale du droit d'asile, compétente pour ce faire en vertu d'un arrêté du 5 janvier 2022, publié au journal officiel de la République française le 6 janvier 2022, par lequel le vice-président du Conseil d'Etat lui a délégué sa signature. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision doit être écarté.
4. En deuxième lieu, la circonstance que la décision attaquée ne vise pas l'arrêté de délégation de signature du vice-président du Conseil d'Etat du 5 janvier 2022 est sans incidence sur sa légalité.
5. En troisième lieu, aux termes de l'avant-dernier alinéa de l'article 9 du décret
n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat : " Le licenciement au cours d'une période d'essai doit être motivé ".
6. La décision contestée est accompagnée d'un courrier notifié à l'intéressée de manière simultanée le même jour et vise notamment le contrat à durée déterminée signé le 18 novembre 2021 et le décret du 17 janvier 1986 régissant les relations entre les parties. Ce courrier mentionne que le licenciement en cours de période d'essai est motivé par la rupture de confiance provoquée par la découverte de fausses informations relatives à son expérience professionnelle sur le curriculum vitae adressé par Mme C... lors de son recrutement. Il précise encore que, si son licenciement par les services du Premier ministre en novembre 2020 avait été connu, elle n'aurait pas été recrutée sur un poste budgétaire relevant du service des affaires financières, de l'audit et de la prospective de la Cour nationale du droit d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision serait insuffisamment motivée doit être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes du premier et du onzième alinéas de l'article 9 du décret du 17 janvier 1986 susvisé : " Le contrat ou l'engagement peut comporter une période d'essai qui permet à l'administration d'évaluer les compétences de l'agent dans son travail et à ce dernier d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent. (...) Le licenciement en cours ou au terme de la période d'essai ne peut intervenir qu'à l'issue d'un entretien préalable. La décision de licenciement est notifiée à l'intéressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par lettre remise en main propre contre signature (...) ".
8. Ainsi qu'il a été dit au point 6, pour licencier Mme C... au cours de sa période d'essai, le vice-président du Conseil d'Etat s'est fondé sur la circonstance que certaines informations de son curriculum vitae produit pour son recrutement étaient fausses, que si son licenciement par le Premier ministre en novembre 2020 avait été connu, elle n'aurait pas été recrutée sur un poste budgétaire. Il ressort du curriculum vitae que Mme C... a produit en vue de son recrutement pour justifier de son expérience professionnelle, qu'il mentionne un emploi budgétaire, comme celui auquel elle a postulé, dans les services du Premier ministre sur la période " 2019-2021 ", suggérant ainsi une durée d'emploi continue au cours de cette période. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme C... a d'abord été employée par contrats successifs par les services administratifs et financiers du Premier ministre du 1er août 2019 au 30 avril 2020, puis après une interruption dont elle n'a pas fait état, elle a été de nouveau recrutée par contrat du 26 août 2020 pour une période d'un an du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2021, mais a été licenciée à compter du 1er décembre 2020 au titre de sa période d'essai. Il résulte ainsi de cette chronologie que Mme C... n'a pas travaillé auprès des services du Premier ministre en 2021 malgré la mention " 2019-2021 ", qui correspond en réalité à deux périodes du 1er août 2019 au 30 avril 2020 et du 1er octobre au 30 novembre 2020, soit un total de onze mois en deux parties sur trois ans. A cet égard, Mme C... ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'elle n'a pas été interrogée au moment de son recrutement sur la chronologie de son curriculum vitae. De tels faits, relatifs à la probité et à la loyauté de l'intéressée alors que celle-ci avait été recrutée sur un poste budgétaire la conduisant à connaitre de données financières, étaient de nature à justifier le licenciement de Mme C... en cours de période d'essai. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d'une erreur d'appréciation quant à la gravité des faits qui lui sont reprochés doit être écarté.
9. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre de la décision en litige et ne peut, dès lors, qu'être écarté. En tout état de cause, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la décision du 28 janvier 2022 porterait une atteinte disproportionnée au droit de Mme C... au respect de la vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 28 janvier 2022 et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser des rappels de traitement. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au secrétaire général du Conseil d'Etat.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président,
- Mme Milon, présidente assesseure,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2025.
Le rapporteur,
J. DUBOISLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA04894 2