Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2016 et 2017.
Par un jugement n° 2113188/7 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 février 2024 et 16 avril 2024, M. B..., représenté par Me Gozlan, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;
- les sommes taxées ont déjà été imposées en tant que salaires versés par la société Diaphore ;
- les sommes versées par les sociétés Vision It Group et Ividata n'ont finalement pas été payées à une société étrangère mais reversées à la société Diaphore ;
- le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 155 A du code général des impôts s'appliquait sous réserve d'éventuelles doubles impositions ;
- il n'était pas un prestataire indépendant mais avait un lien de subordination avec la société Vision It Group ;
- l'article 155 A du code général des impôts ne lui est pas applicable en vertu de l'article 7.1 de la convention fiscale franco-lettone en l'absence d'établissement stable en France de la société Eurowebwest IT, sans qu'on puisse lui opposer la circonstance que cette société n'exerce pas à titre prépondérant une activité industrielle et commerciale ;
- à titre subsidiaire, les revenus rehaussés n'auraient pas dû être imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux mais dans celle des traitements et salaires eu égard au lien de subordination entre lui et la société ayant bénéficié de ses services ;
- la décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 décembre 2023 aff. 26604/16, Waldner c/ France a déclaré la majoration de 1,25, appliquée en vertu de l'article 158, 1° al 7 du code général des impôts contraire à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique informe la Cour du dégrèvement de la majoration d'assiette de 25 % appliquée en vertu de l'article 158, 1° al 7 du code général des impôts et conclut au non-lieu à statuer à cet égard et au rejet du surplus de la requête.
Il soutient que :
- les moyens présentés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Lettonie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 14 avril 1997 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'une vérification de comptabilité de la société SA Vision It Group, de l'exercice d'un droit de communication auprès de la société Ividata Value et d'une mesure d'assistance administrative internationale auprès des autorités lettones, M. B... a fait l'objet d'un contrôle sur pièces au terme duquel une proposition de rectification, en date du 16 décembre 2019, lui a été notifiée. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge, en droits et en pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu pour les années 2016 et 2017 ainsi mises à sa charge.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 29 mars 2024, postérieure à l'introduction de la requête, l'administratrice en charge de la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Ile-de-France et de Paris a prononcé le dégrèvement, au titre des années 2016 et 2017, des droits et pénalités procédant de la majoration d'assiette de 25 % appliquée en vertu de l'article 158, 1° al 7 du code général des impôts. Par suite, les conclusions de la requête afférentes à cette majoration sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Pour être régulière au regard des dispositions précitées, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile.
4. Il résulte de l'examen de la proposition de rectification du 31 août 2016 que celle-ci comporte les motifs de droit et de fait sur lesquels le service s'est fondé pour justifier les redressements notifiés et explicite de manière détaillée les modalités selon lesquelles la société Eurowebwest IT, domiciliée en Lettonie, a facturé des prestations informatiques, matériellement réalisées par M. B..., à deux entreprises domiciliées en France, SA Vision It Group et Ividata Value, et expose les raisons pour lesquelles les conditions d'application de l'article 155 A du code général des impôts doivent être regardées comme réunies. Contrairement à ce qui est soutenu, l'administration n'était nullement tenue, à ce stade de la procédure, d'expliciter les motifs lui permettant d'écarter l'argument selon lequel les sommes présumées perçues à ce titre par M. B... auraient fait double emploi avec les sommes déclarées par ailleurs par l'intéressé dans la catégorie des traitements et salaires. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification ne peut par suite qu'être rejeté.
Sur les impositions restant en litige :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
5. Aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification (...) le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré (...) ". M. B... n'a pas répondu à la proposition de rectification n° 2120-SD du 16 décembre 2019. Dès lors, il lui incombe d'apporter la preuve de l'exagération des impositions supplémentaires en litige.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
6. Aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A. / II. Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France. ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte. Dans sa décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 155 A précité ne créait pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, sous la réserve suivante : "'dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l'étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, la disposition contestée ne saurait conduire à ce que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt'".
7. L'administration fiscale apporte la preuve que des sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières en vertu des dispositions précitées par la production d'éléments attestant de ce que ces personnes ont réalisé les prestations de services en cause ou de ce qu'elles contrôlent la personne qui perçoit la rémunération de ces services. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable d'apporter des éléments permettant d'établir que la facturation de ces prestations par la société établie hors de France aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui lui aurait été propre et de regarder le service ainsi rendu comme l'ayant été pour son compte.
8. Il résulte de l'instruction que la société Eurowebwest IT, domiciliée en Lettonie, a réalisé des prestations informatiques pour deux entreprises domiciliées en France, SA Vision It Group et Ividata Value, pour lesquelles elle a été rémunérée par des virements bancaires. Ces prestations, réalisées par M. B..., constituaient l'unique activité de la société Eurowebwest IT dont M. B..., qui en détient l'intégralité du capital, est le représentant légal et l'unique salarié. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, qui ne sont pas valablement contestés par le requérant, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que M. B... a été rémunéré pour des services rendus par une société établie hors de France et sur laquelle il exerce un contrôle direct. Les dispositions précitées permettent en conséquence d'imposer dans les mains du requérant les rémunérations perçues pour la réalisation de ces prestations.
9. M. B... soutient en premier lieu que l'imposition des rémunérations perçues pour les prestations réalisées auprès des sociétés SA Vision It Group et Ividata Value constitue une double imposition avec les salaires qu'il a perçus de la société Diaphore, les prestations facturées par la société Eurowebwest IT à la société Vision It Group et Ividata ayant été matériellement réalisées par lui-même dans le cadre d'une mise à disposition par la société Diaphore dont il était salarié, mise à disposition facturée à la société Eurowebwest IT. S'il établit qu'il a déclaré à raison de son activité salariée, au titre de l'année 2016, 11 216 euros, et, au titre de l'année 2017, 21 462 euros, et produit des bulletins de salaires émis par la société Diaphore faisant état de salaires cumulés imposables de 7 466,62 euros au titre de 2016 et 21 462 euros en 2017, la Cour n'est pas en mesure d'effectuer de rapprochement avec les sommes en litige, soit 131 854 euros au titre de 2016 et 90 295 euros au titre de 2017, et notamment d'établir que les sommes perçues de la société Diaphore l'ont été en rémunération du travail fourni dans le cadre des prestations réalisées par la société Eurowebwest IT. Les factures produites, qui ont été émises de septembre 2016 à octobre 2017 par la société Diaphore à l'adresse de la société Eurowebwest IT ne permettent pas non plus d'établir, en l'absence de désignation des destinataires finaux des prestations informatiques réalisées, la double imposition dont M. B... se prévaut.
10. Si M. B... soutient en deuxième lieu, que les sommes versées par les sociétés Vision It Group et Ividata n'ont finalement pas été payées à une société étrangère, la société Eurowebwest IT ayant reversé l'essentiel des sommes perçues à la société Diaphore qui lui a facturé la mise à disposition de l'intéressé, et que par suite les dispositions de l'article 155 A ne sont pas applicables à l'espèce, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la correspondance entre les sommes perçues par la société Eurowebwest IT et les sommes qu'elle aurait reversées à la société Diaphore n'est pas établie.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ".
12. Les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts ne dispensent pas l'administration, pour soumettre cette rémunération à l'impôt sur le revenu entre les mains de la personne ayant rendu les services, de faire application des règles de taxation relatives à la catégorie de revenus dont elle relève. La détermination de cette catégorie ne saurait dépendre que de l'analyse des relations existant entre la personne domiciliée ou établie en France qui a rendu pour l'essentiel les services facturés et le bénéficiaire de ces services.
13. M. B... soutient qu'à les supposer fondées, les impositions relevaient de la catégorie des traitements et salaires et non de celle des bénéfices non commerciaux, dès lors qu'il était à l'égard de la société Vision It Group en situation de subordination. Il résulte toutefois de ce qui a été dit précédemment que l'administration a établi la réalisation par M. B... de son activité en dehors de tout lien de subordination avec la société Vision It Group, eu égard à la situation apparente créée par le requérant au moyen de la facturation de ses prestations, à la société Vision It Group, par la société Eurowebwest IT. Si M. B... a signé le 12 novembre 2015, en tant que " représentant commercial " de la société Eurowebwest IT, un contrat de prestations de services avec la société Vision IT Group dans le domaine de la consultance, de la maintenance et du développement de produits informatiques, la seule circonstance que la nature de ces prestations aient été détaillées et que la société Vision IT Group restait le seul interlocuteur du client final ne saurait suffire à établir que le requérant se trouvait, pour l'exécution de ces prestations, dans une situation de subordination vis-à-vis de cette dernière société. M. B... soutient d'ailleurs lui-même dans ses écritures qu'il était salarié de la société Diaphore et qu'il a été mis à la disposition de la société Eurowebwest IT pour l'exécution des prestations en cause. Si dans son mémoire en réplique, M. B... fait valoir que les sommes perçues doivent être regardées comme des salaires en raison du lien de subordination qu'il avait avec la société Diaphore, il résulte de ce qui a été dit plus haut que le rapprochement entre les sommes en cause et les fonctions salariées qu'il occupait auprès de la société Diaphore ne peut être établi. C'est par suite à bon droit que l'activité en litige, exercée par M. B... au cours des années 2016 et 2017, a été regardée par l'administration fiscale comme une activité professionnelle, individuelle et indépendante, dont les revenus sont taxables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement des dispositions de l'article 92 du code général des impôts.
14. En quatrième lieu, aux termes du 1 de l'article 5 de la convention franco-lettone susvisée : " Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité ". Aux termes de l'article 7 de cette même convention: " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable ".
15. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. B..., dont il n'est pas établi qu'il rendait des prestations depuis la Lettonie, exerçait son activité individuelle exclusivement à partir d'une installation fixe d'affaires située en France, au sens et pour l'application des stipulations du paragraphe 1 de l'article 5 de la convention fiscale franco-lettone. Par suite, en vertu de l'article 7 de cette convention, les bénéfices tirés de cette activité, entièrement imputables à cet établissement, étaient imposables en France.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les dégrèvements accordés en cours d'instance.
Article 2 : Le surplus de la requête de M. A... B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).
Délibéré après l'audience du 7 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- Mme Bories, présidente assesseure,
- M. Magnard, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2025.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLa présidente,
S. VIDAL
La greffière,
C. ABDI-OUAMRANE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00560 2