Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Naco a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser la somme de 160 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi, résultant de la saisie conservatoire ordonnée par le juge de l'exécution le 17 novembre 2014, augmentée des intérêts au taux légal.
Par un jugement n° 2013288 du 22 novembre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2024, la société Naco, représentée par Me Ketchedjian, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 160 000 euros en réparation des préjudices subis et la somme de 14 550,56 euros au titre des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente dès lors que la responsabilité résultant des fautes commises dans l'engagement du recouvrement forcé d'un impôt relève de la compétence du juge administratif lorsque celui-ci est le juge de l'impôt en cause ;
- toute décision illégale de l'administration fiscale en matière d'assiette comme de recouvrement est constitutive d'une faute ;
- la mainlevée de la saisie conservatoire, prononcée tardivement, est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 août 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la juridiction administrative n'est pas compétente dès lors que la saisie conservatoire du 20 novembre 2014 n'est pas un acte de poursuite susceptible de fonder une obligation de paiement, mais une décision non détachable de la procédure civile d'exécution mise en œuvre avant le recouvrement de l'impôt ;
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellig, rapporteure ;
- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Ketchedjian pour la société Naco.
Considérant ce qui suit :
1. La société Naco a demandé, par un courrier du 13 août 2020, la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la saisie conservatoire de créances effectuée sur son compte le 20 novembre 2014. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 160 000 euros, assortie des intérêts au taux légal durant la période du 7 novembre 2019 au 6 janvier 2020.
Sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne les conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de la saisie conservatoire du 20 novembre 2014 :
2. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / Lorsque les contestations portent sur le recouvrement de créances détenues par les établissements publics de l'Etat, par un de ses groupements d'intérêt public ou par les autorités publiques indépendantes, dotés d'un agent comptable, ces contestations sont adressées à l'ordonnateur de l'établissement public, du groupement d'intérêt public ou de l'autorité publique indépendante pour le compte duquel l'agent comptable a exercé ces poursuites. / Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : / 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ; / 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés : / a) Pour les créances fiscales, devant le juge de l'impôt prévu à l'article L. 199 (...) ".
3. L'ordre de juridiction compétent, en application de ces dispositions, pour connaître d'une action en décharge de l'obligation de payer procédant d'un acte de recouvrement l'est également pour connaître de l'action en responsabilité résultant du caractère éventuellement fautif de cet acte. La responsabilité résultant de fautes commises dans l'engagement du recouvrement forcé d'un impôt relève, ainsi, de la compétence du juge administratif lorsque celui-ci est le juge de l'impôt en cause.
4. En l'espèce, le grief invoqué par la société, qui se prévaut de ce que la mesure conservatoire en litige, antérieure à la mise en recouvrement, concerne des impositions finalement déchargées, porte sur la décision d'engager le recouvrement forcé d'une imposition. Il relève de la compétence du juge de cet impôt en vertu des dispositions précitées de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales qui, s'agissant de cotisations supplémentaires de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et d'impôt sur les sociétés, est, en application de l'article L. 199 du même livre, le juge administratif. Par suite, la société Naco est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions indemnitaires comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
En ce qui concerne les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au versement des intérêts au taux légal :
5. La société requérante, en invoquant les dispositions de l'article 1231-6 du code civil et de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier, doit être regardée comme demandant la condamnation de l'Etat au versement des intérêts moratoires en conséquence de la saisie conservatoire du 20 novembre 2014. De telles conclusions, qui portent sur un litige relatif à la décharge juridictionnelle d'une retenue à la source des non-résidents, relèvent de la compétence de la juridiction administrative. La société Naco est dès lors également fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté de telles conclusions comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
6. Il s'ensuit que le jugement attaqué, qui a rejeté ces demandes de la société Naco comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, doit être annulé. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée par la société Naco devant le tribunal administratif de Montreuil.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne les conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de la saisie conservatoire du 20 novembre 2014 :
7. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie.
8. En l'espèce, la société Naco invoque une gêne financière et par voie de conséquence, des troubles dans ses conditions d'existence du fait de l'indisponibilité de la somme de 360 321 euros durant plus de cinq ans. Toutefois, alors qu'elle n'assortit ses allégations d'aucune précision ni d'aucune pièce susceptible d'en étayer le bien-fondé, la société Naco n'établit pas l'existence d'un préjudice autre que celui résultant du seul paiement de l'impôt. Dans ces conditions, la société Naco n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat au versement d'une somme quelconque en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
9. Par ailleurs, à supposer même que l'administration ait prononcé tardivement la mainlevée de la saisie conservatoire litigieuse le 27 mars 2020, la société requérante ne justifie pas davantage, par les pièces versées au dossier, de l'existence d'un préjudice qu'elle aurait subi de ce fait.
En ce qui concerne les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au versement des intérêt au taux légal :
10. Aux termes de l'article 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure (...) ".
11. Ainsi qu'il a été exposé au point 5, en invoquant ces dispositions, la société Naco doit être regardée comme demandant la condamnation de l'Etat au versement des intérêts moratoires sur la somme dont elle a été privée du 20 novembre 2014 au 27 mars 2020. Toutefois, les dispositions de l'article 1231-6 du code civil concernent seulement les intérêts dus en cas de retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La société Naco n'est dès lors pas fondée à réclamer le versement d'intérêts sur le fondement de ces dispositions.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de la société Naco tendant à la condamnation de l'Etat à la réparation des préjudices qu'elle aurait subis doit être rejetée. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2013288 du 22 novembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Naco devant le tribunal administratif de Montreuil et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Naco et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la sous-direction du contrôle fiscal, du pilotage et de l'expertise juridique.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- Mme Milon, présidente assesseure,
- Mme Lellig, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2025.
La rapporteure,
W. LELLIGLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00353 2